Affaire de « la sextape au Sénat » : son autrice révèle sa version pour la première fois

Publié le 11/02/2025 à 15h30

Ce lundi 10 février, l’ancien médecin du Sénat et sa collaboratrice, qui a filmé un parlementaire dans son bureau après leurs ébats, devaient être jugés par le tribunal correctionnel de Paris pour « atteinte à l’intimité de la vie privée » d’un sénateur. Lui, parce qu’il a transmis la vidéo à Gérard Larcher, elle, parce qu’il est interdit d’enregistrer des images intimes. La femme à l’origine de la sextape révèle à Actu-Juridique sa version des faits.

Façade du Sénat
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À la cafétéria du tribunal judiciaire de Paris, ce lundi 10 février 2025, Chantal (prénom modifié) refuse une bouteille d’eau, un café, un brownie. « Je ne peux rien avaler », s’excuse-t-elle d’une voix altérée par l’émotion d’avoir été confrontée, 45 minutes plus tôt, à l’ancien médecin du Sénat qui fut son chef. Le revoir lui est insupportable. Tous deux devaient comparaître dans la salle 4.03, où siégeait la 10e chambre correctionnelle, pour une atteinte à l’intimité de la vie privée par enregistrement et transmission de vidéo au caractère sexuel. En l’occurrence, l’affaire dite « de la sextape du Sénat » – ainsi la nomme-t-on depuis que Le Canard enchaîné l’a révélée le 7 février 2024.

Leur procès n’a pas eu lieu, le sénateur honoraire, partie civile, s’étant au final désisté. En vertu de l’article 226-1 du Code pénal, l’action publique ne peut être exercée que sur plainte de la victime. Le procureur a indiqué que son retrait met fin aux poursuites. Les prévenus encouraient deux ans de prison et 60 000 € d’amende.

Me Jean-Pierre Mignard, représentant le parlementaire septuagénaire, a expliqué que « son client voulait savoir ce que contenait le dossier », que désormais il le savait et ne souhaitait pas aller au-delà. Son contradicteur, Me Claude Benjamin Mizrahi, défenseur du Dr El Hassan L., a simplement pris acte de la décision. Me Jean-Christophe Ramadier, avocat de Chantal, l’ex-assistante médicale qui a filmé le sénateur dans son bureau au Palais du Luxembourg, a dit comprendre la position de l’élu : « C’est dommage, a-t-il simplement commenté, il y avait des choses à dire dans ce dossier. »

« Je reconnais mes torts, je n’aurais jamais dû faire cette vidéo »

 Tout de noir vêtue, comme portant le deuil de sa vie d’avant, Chantal reste éprouvée par l’année écoulée. Et pour la première fois, elle parle à la presse bien que de nombreux journalistes l’aient malmenée en prenant pour argent comptant ce que racontait le médecin licencié de la chambre haute. Il s’est répandu à plusieurs reprises sur le plateau de « Touche pas à mon poste » (TPMP), l’émission de Cyril Hanouna, puis sur TF1 et BFMTV, présentant sa collaboratrice « comme une pute », estime-t-elle, les larmes aux yeux.

Chantal ne se défausse pas : « Je reconnais mes torts, je n’aurais jamais dû faire cette vidéo. C’est une bêtise, une connerie que j’ai faite. Mais ce n’était pas destiné à être une arme contre le sénateur, pas du tout ! »

Selon elle, le Dr El Hassan L. (son nom n’est plus un secret depuis qu’il est apparu maintes fois à l’écran) la lui « a volé » dans son téléphone. Jamais, jure-t-elle, elle ne la lui a « donnée » pour signifier qu’elle avait dû pouvoir au Sénat – la thèse que le médecin avance pour étayer « le chantage ». Une incrimination d’ailleurs écartée par la police qui a entendu les suspects.

Chantal demeure persuadée que « l’origine de la révélation de la sextape » se situe dans le conflit professionnel qui l’a opposée au Dr El Hassan L. en septembre 2023 : « Il avait une activité parallèle à la SNCF, dans un cabinet boulevard Magenta [Xe arrondissement de Paris] et je travaillais pour lui, en plus de mes fonctions au Sénat. L’infirmière et moi devions être payées au black, mais il ne me réglait pas. »

C’est à cause de cette activité pour la SNCF qu’il a été licencié par le Sénat, puis expulsé de son appartement de fonction. Le président Gérard Larcher est formel sur ce point : « Le médecin n’a pas respecté le contrat de travail qui était le sien. » En plus de l’article 40  qu’il a déclenché, il a effectué un signalement auprès du conseil de l’Ordre. La procédure est en cours.

De son côté, le Dr L. conteste son éviction devant les prud’hommes.

« Curieusement, en novembre, apparaît la vidéo… »

 À la rentrée 2024, le torchon brûle entre le médecin et Chantal. La pense-t-il capable de révéler qu’il exerce à « la SNCF Magenta » ? Se croit-il plus ou moins en disgrâce depuis qu’il a accordé un certificat à Joël Guerriau, le sénateur (Horizons) de Loire-Atlantique soupçonné d’avoir drogué une collègue députée (LREM), qui le dispense de siéger au Sénat ? Cette affaire dans l’affaire est en tout cas concomitante. Le certificat du Dr El Hassan L. a déclenché la colère du président Larcher. « Curieusement, en novembre, apparaît la vidéo » du sénateur socialiste… Elle est transmise aux instances dirigeantes de la chambre haute par le médecin. Et en début d’année 2024, au Canard enchaîné par quelqu’un ayant intérêt à salir le Sénat.

Dans ses déclarations, le docteur indique l’avoir récupérée en 2021 puis se ravise : Chantal la lui a donnée en septembre 2023. « Je ne la lui ai jamais envoyée, je suis formelle ! Je n’ai jamais eu ne serait-ce que l’idée de la montrer à quiconque pour faire du chantage ! Jamais ! » Pas même pour une augmentation de salaire, selon la version du toubib : elle a été engagée via deux CDD à 80 % de temps de travail avant de décrocher un CDI à 100 %, justifiant la hausse de sa rémunération, précise-t-elle, preuves à l’appui.

Il l’a aussi accusée d’avoir fourni une fausse date de naissance – « l’erreur de frappe est rectifiée dans le contrat » –, jusqu’à nier sa carrière d’hôtesse de l’air, réelle. Chantal a fait l’objet d’une enquête approfondie par le Sénat et a dû remettre son bulletin vierge de casier judiciaire. « Il a tout fait pour me démolir… »

Interrogé, le sénateur en position délicate sur la sextape a affirmé ne jamais l’avoir visionnée, n’en pas connaître l’existence. Pour Me Ramadier, « c’est la preuve qu’il n’y a pas eu chantage. Ignorant avoir été filmé, il ne pouvait pas lui accorder de “faveurs” pour empêcher la divulgation de la vidéo ».

« J’ai failli finir à l’hôpital… »

La belle jeune femme, qui dissimule sa maigreur sous des vêtements épais, n’est toujours pas remise des torrents de boue qu’elle a essuyés : « J’ai failli finir à l’hôpital… Je suis toujours sous antidépresseurs. Ça a stoppé ma vie, et celle de ma fille traquée par des journalistes. » Il faut dire que le Dr L. a défendu sa cause sans prendre de gants ni de pincettes. Sur le plateau de TPMP, il est indiqué que le « comportement » de Chantal « laisse à penser qu’elle détient d’autres vidéos », que « le Sénat va imploser » à cause « de la maître chanteuse », qu’elle était « intenable » (il détache les syllabes afin d’accentuer le mauvais effet de l’adjectif).

Les sénateurs, en particulier les questeurs qui veillent sur leur magot et les cadres dirigeants, sont également diffamés : le docteur El Hassan L. accuse ces derniers de « cabale », et les premiers de s’adonner « à des parties fines quand ils sont seuls à Paris, trois jours par semaine ». Le médecin pourtant tenu au secret professionnel révèle qu’il « prescrit du viagra » aux élus les plus âgés : « Pendant cinq ans dans mon petit bureau, raconte-t-il en riant, j’ai su à peu près tout ce qu’il se passait. » Exemple : « Quand je prescrivais cinq bilans pour détecter les maladies sexuellement transmissibles… » Nul besoin de terminer sa phrase, on en a compris le sens qui jette un discrédit sur les parlementaires. Il promet que « d’autres scandales vont éclater. J’ai eu accès à tous les secrets du Sénat ».

On peut comprendre que l’ancien élu victime n’ait pas souhaité de procès, vu le déballage public qu’il aurait à nouveau impliqué…

 

 

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