Affaire Fillon : « Face au poison du doute, l’antidote c’est la cassation totale » plaide la défense

Publié le 28/02/2024

Le pourvoi de François Fillon contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui l’a condamné en 2022 à quatre ans de prison dont un ferme a été examiné ce mercredi. La défense soulève plus de trente moyens et invoque notamment le bénéfice de l’abrogation par le Conseil constitutionnel de l’article 385 al 1. L’avocat général a conclu de son côté au rejet de l’ensemble des moyens.

Affaire Fillon : « Face au poison du doute, l’antidote c’est la cassation totale » plaide la défense
Francois Fillon et Penelope Fillon arrivent au tribunal de Paris le 2 mars 2020. (Photo : ©P. Cluzeau)

François Fillon, son épouse Penelope et son suppléant Marc Joulaud auront-ils droit à un nouveau procès ? Tel est l’enjeu de leur pourvoi examiné par la chambre criminelle de la Cour de cassation mercredi 28 février. L’ancien Premier ministre, à qui cette affaire a coûté l’élection présidentielle de 2017, a deux axes de défense et soulève pas moins de trente-cinq moyens.

« La justice ne doit pas seulement être rendue mais donner l’apparence d’être rendue »

En entendant Me François-Henri Briard débuter par les mots de Raymond de Sèze défendant Louis XVI on se demandait bien où il voulait en venir. « Citoyens, je vous parlerai avec la franchise d’un homme libre : je cherche parmi vous des juges, et je n’y vois que des accusateurs ». Allait-il comparer le sort de François Fillon à celui du monarque décapité ? Non. Ce qui l’intéresse dans cette formule, c’est ce qui fait à ses yeux de Raymond de Sèze un « précurseur de la théorie de l’impartialité objective qui privilégie la vue du justiciable ». Et l’avocat de rappeler le fameux aphorisme du Lord of Justice Gordon Hawart (1870-1943), « la justice ne doit pas seulement être rendue, mais donner l’apparence d’être rendue ».

En d’autres termes, le justiciable ne doit ressentir aucun doute sérieux sur l’impartialité de son procès et des poursuites à son encontre. Or, ce doute, alimenté par le caractère atypique de la procédure puis par les déclarations de l’ancienne chef du parquet national financier Éliane Houlette en juin 2020, l’article 385 du Code de procédure pénale a empêché la défense de pouvoir en débattre. Celui-ci prévoit en effet dans son alinéa 1 que le tribunal ne peut statuer sur les nullités lorsqu’il est saisi par une ordonnance de renvoi d’un juge d’instruction. C’est cette disposition que le Conseil constitutionnel, saisi par voie de QPC par François Fillon, a abrogé par une décision du 28 septembre dernier (voir encadré). La défense est convaincue que celle-ci doit emporter la cassation totale de l’arrêt. Pour Me Briard, qui est l’auteur de la QPC, la question ne devrait même pas se poser. « Vous ne renvoyez au Conseil constitutionnel que les seules QPC sérieuses et déterminantes pour l’issue du pourvoi. Comment pourriez-vous dire aujourd’hui que cette QPC ne serait plus déterminante alors que le Conseil constitutionnel l’a déclarée fondée ? » interroge-t-il. La décision s’impose avec d’autant plus de force qu’elle a opté pour une abrogation du texte et non une simple réserve d’interprétation.

« Un arrêt fondé sur un texte contraire à la Constitution »

L’arrêt peut-il néanmoins être « sauvé » ? L’avocat général soutient que la cour d’appel de Paris ne s’est pas contentée de constater la forclusion sur le fondement de l’article 385, elle a aussi examiné les demandes de nullité. « Mais cet arrêt repose tout entier sur l’article 385, qui est cité à de nombreuses reprises », objecte l’avocat, lequel rappelle surtout que l’arrêt a bien jugé l’exception de nullité irrecevable et non pas mal fondée. « Vous ne pouvez pas laisser se graver dans le marbre un arrêt fondé sur un texte contraire à la constitution » plaide Me Briard. Surtout, « l’arrêt se trompe sur l’analyse de la cause » assène-t-il. La cour a en effet recherché si elle trouvait des éléments en défaveur de l’indépendance et de l’impartialité. Mais ce n’est pas le sujet, la cour aurait dû se demander si les prévenus étaient fondés en tant que justiciables à ressentir des doutes sérieux sur l’impartialité objective de ceux qui ont diligenté cette procédure. Et Me Briard de rappeler les « circonstances accablantes » de la procédure : ouverture de l’enquête le jour même de l’article du Canard Enchaîné, enquête de police clôturée en moins d’un mois alors qu’il s’agissait d’étudier une période de quinze ans, communication des procès-verbaux à la presse, mise en examen trois semaines avant la clôture des parrainages de la présidentielle…

La pression du parquet général

Et l’avocat de préciser : en 2017 une enquête financière durait en moyenne de 12 à 18 mois et une information pénale 30 mois. Sans compter bien sûr les déclarations d’Éliane Houlette en juin 2020 devant la commission d’enquête parlementaire évoquant le « contrôle très étroit » du parquet général sur les dossiers politiques, « la pression du parquet général » dans le dossier Fillon, les reproches sur son choix de rester en enquête préliminaire alors qu’on lui enjoignait d’ouvrir une information…  « Comment voulez-vous que des justiciables dans de telles circonstances considèrent qu’ils étaient poursuivis de façon impartiale ? » questionne l’avocat. « Face au poison du doute, la délivrance c’est vous, a conclu Me Briard. L’antidote, c’est la cassation totale ».

« Si vous ne nous deviez pas censurer, il faudrait examiner les moyens de fond de cette affaire exceptionnelle et des conditions rocambolesques des poursuites » attaque à son tour Me Patrice Spinosi à qui revient le soin de synthétiser ses observations sur les 30 moyens qu’il a soulevés. Il s’en tient à en évoquer brièvement cinq. À commencer par la compétence des juridictions répressives pour réparer le préjudice. Un député doit être qualifié d’agent de service public, mais alors seules les juridictions administratives sont compétentes pour statuer sur l’indemnisation, sauf si la faute est jugée détachable. L’arrêt attaqué ne s’est pas posé la question. L’avocat général affirme que ce détournement constitue forcément une faute détachable, en raison de son objet, qui est l’enrichissement personnel. « Il ne cite aucune jurisprudence, souligne Me Spinosi, car il n’y en a aucune ».

Ne bis in idem

Le deuxième moyen porte sur la caractérisation de l’intention dans le délit d’abus de biens sociaux. Penelope Fillon a été condamné pour complicité par assistance du fait de la signature du contrat et François Fillon de complicité par instruction pour avoir demandé à Marc Ladreit de Lacharrière d’embaucher son épouse. Or, de façon constante en droit pénal, rappelle Me Spinosi, l’intention s’apprécie au jour de la commission, il fallait donc démontrer la connaissance du caractère fictif lors de la conclusion du contrat, tandis que la cour s’est fondée sur les éléments d’exécution. L’avocat général estime que la formation et l’exécution du contrat constituent un « tout indivisible » mais cette notion n’a jamais été utilisée en droit pénal général ni spécial, objecte Me Spinosi.

Il en vient à la double qualification de complicité et de recel au titre l’abus de biens sociaux et du détournement de fonds publics. L’avocat soutient qu’on peut poursuivre pour complicité et recel, excepté si les faits sont indissociables et procèdent d’une infraction unique. En l’espèce, on reproche à Penelope Fillon la signature du contrat de travail et la perception de la rémunération, or c’est un seul acte. Résultat, elle est condamnée deux fois pour les mêmes faits, en violation de l’adage ne bis in idem. « L’avocat général qui soutenait le « tout indivisible » pour qualifier l’intention, défend maintenant le dissociable, on ne peut soutenir tout et son contraire », assène Patrice Spinosi.

S’agissant du moyen relatif à la peine de prison ferme, « vous retenez d’une façon constante que, pour la prison ferme, il faut apprécier la personnalité du prévenu et sa situation personnelle » rappelle l’avocat. Or, dans son arrêt, la cour a relevé l’atteinte intrinsèque grave à l’ordre public et la « constante et commune préoccupation de financer leur train de vie pourtant substantiel par des moyens illégaux » pour justifier la peine de quatre ans de prison. Ce qui n’a rien à voir avec les éléments de motivation requis.  « L’avocat général nous dit qu’il faudrait aller chercher ces informations dans la partie « renseignements », c’est un extraordinaire raccourci intellectuel ! » s’exclame Me Spinosi qui rappelle que ces informations sont contenues dans la partie qui précède la motivation en droit. À aucun moment la gravité des faits n’est de nature à exonérer de cette obligation, rappelle-t-il en citant au passage une jurisprudence dans une affaire de tentative de viol sur mineur où précisément cette exigence a été rappelée. « Qui oserait prétendre que les faits reprochés ici sont plus graves qu’un dossier de viol ? » interroge l’avocat.

Enfin, concernant l’indemnisation du préjudice subi par l’Assemblée nationale, pour laquelle la cour a ordonné le remboursement de la totalité des sommes perçues, « l’idée est simple : transposer votre jurisprudence la plus classique sur l’ABS, plaide Patrice Spinosi. Si l’emploi n’est pas fictif mais la rémunération surévaluée, l’indemnisation ne doit porter que sur la partie surévaluée ».

L’avocat général conclut au rejet de l’ensemble des moyens

C’est au tour de l’avocat général. Il a choisi quant à lui d’évoquer brièvement quatre points et commence par la question de l’irrecevabilité des nullités. Selon lui, la cour a suffisamment motivé son rejet des arguments indépendamment de la question de l’article 385 du Code de procédure pénale. Le moyen sera donc rejeté, ce qui rend de facto inopérante la décision du Conseil constitutionnel. S’agissant de la complicité « la signature du contrat est le premier élément indissociable des salaires versés » ainsi que l’a souverainement analysé la Cour. Quant à la peine, il estime que la jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas aussi univoque que soutenu par la défense, « certaines décisions admettent que les éléments de personnalité puissent être présentés dans un autre volet de la décision dès lors qu’il peut être démontré que les juges les ont pris en compte » précise-t-il. En revanche, il reconnaît que la décision est incompréhensible s’agissant de l’exécution de la peine. L’arrêt indique en effet que l’année à exécuter sera réalisée en détention à domicile sous le contrôle du juge d’application des peines mais il écrit quelques lignes plus bas « l’impossibilité de savoir où se trouve le domicile du couple (…) prive la cour de pouvoir envisager l’aménagement de la partie de la peine ». Elle a oublié deux mots « les modalités de l’aménagement » de la partie ferme, estime l’avocat général qui prône une cassation partielle sans renvoi, l’erreur étant réparable dans nouvel examen des faits. Concernant enfin la notion de faute détachable du service, la cour d’appel aurait dû se poser la question de la faute détachable, convient-il. Pour autant, « vous avez déjà refusé de censurer une juridiction répressive sur ce grief dès lors que l’infraction avait été commise pour un intérêt personnel » rappelle-t-il. Or la cour d’appel de Paris a relevé que François Fillon agissait dans la constante préoccupation de financer son train de vie pourtant substantiel. L’avocat général conclut au rejet de l’ensemble des moyens, excepté sur l’aménagement de la peine qui donnera lieu à cassation partielle sans renvoi.

La décision sera rendue le 24 avril. Elle sera sans doute scrutée attentivement, notamment par Nicolas Sarkozy qui s’était joint au recours devant le Conseil constitutionnel et envisage lui aussi d’invoquer des nullités dans l’affaire Bismuth…

 

Les condamnations prononcées par la cour d’appel de Paris dans l’arrêt attaqué

Le 9 mai 2022, la cour d’appel de Paris a condamné François Fillon à quatre ans de prison, dont un ferme (cinq ans dont deux ferme en première instance), ainsi qu’à dix ans d’inéligibilité. Son épouse Penelope a été condamnée à deux ans de prison avec sursis (trois ans en première instance). En outre le couple devra s’acquitter d’une amende de 375 000 euros chacun. Marc Joulaud est condamné à trois ans de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité (comme en première instance sauf sur l’amende de 20 000 euros). Sur les intérêts civils, la Cour a prononcé le remboursement à l’Assemblée nationale des 679 989, 32 euros versés à Marc Joulaud et des 126 167,10 versés à Pénélope Fillon sur la période 2012/2014, la relaxe ayant été prononcée pour la période 98-2002.

 

La décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023

Dans sa question prioritaire de constitutionnalité, Me François-Henri Briard soutenait que le premier alinéa de l’article 385 du Code de procédure pénale ainsi rédigé « Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction » privait le prévenu de toute possibilité d’invoquer devant le tribunal correctionnel, saisi par une juridiction d’instruction, un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure, quand bien même le prévenu n’aurait pu en avoir connaissance que postérieurement à la clôture de l’instruction. Il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.

Dans sa décision en date du 28 septembre 2023, le conseil constitutionnel juge que les dispositions de l’alinéa 1 de l’article 385 « méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense dès lors que « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient d’exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction » ».

Pour éviter que l’abrogation du texte n’entraîne des conséquences manifestement excessives, elle est reportée au 1er octobre 2024, mais, précise le Conseil « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction. Il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité ».

 

Récapitulatif des principaux moyens soulevés devant la Cour de cassation par F. Fillon

Quelles conséquences tirer de la décision du conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 prononçant l’inconstitutionnalité de l’alinéa 1 de l’article 385 du Code de procédure pénale qui a empêché François Fillon d’invoquer les révélations de l’ancienne procureur nationale financier Éliane Houlette en juin 2020 sur les pressions qu’elle avait subies au motif qu’elles intervenaient après l’ordonnance de renvoi. En cause, le réquisitoire et l’acte de désignation du juge d’instruction.

La juridiction répressive est-elle compétente pour se prononcer sur la réparation du préjudice issu d’un détournement de fonds commis par un député sans rechercher s’il s’agit d’une faute détachable du service public ?

La cour a-t-elle correctement démontré l’élément intentionnel de la complicité d’abus de biens sociaux ?

La cour d’appel a-t-elle violé le principe ne bis in idem en condamnant François Fillon et Pénélope Fillon pour complicité et recel d’ABS dès lors qu’en l’espèce le recel est indissociable de la complicité dont il est la conséquence directe.

La cour d’appel pouvait-elle prononcer une peine de prison ferme à l’encontre de François Fillon sans tenir compte dans sa motivation des éléments de personnalité et de la situation de François Fillon  ?

La cour était-elle fondée à ordonner le remboursement intégral des sommes versées à Penelope Fillon alors qu’elle condamne pour rémunération excessive et non pas rémunération fictive ?

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