Affaire Palmade : « vendre de la drogue, c’est vendre la mort ! »

Publié le 20/02/2023

Depuis plus d’une semaine, l’affaire Palmade fait la une des médias. On y parle de tout sauf des ravages de la drogue qu’observent les professionnels de la justice au quotidien. Pour notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier, il est temps que les pouvoirs publics s’attaquent sérieusement à cet aspect du problème. 

Affaire Palmade : "vendre de la drogue, c'est vendre la mort !"
Photo : ©AdobeStock/Zephyr_p

Nous venons donc de passer la semaine, sur les chaînes d’information en continu, avec l’affaire Palmade : un pompier, des ex-amants, des ex-amis, des proches, des moins proches, quelques psychologues. Tous sont venus donner leur avis, assez pudique d’ailleurs, sur sa toxicomanie. Un addictologue, qui a fait une comparaison pourtant très pertinente avec Johnny Hallyday a été brusquement coupé par le présentateur car ce qu’il disait sans langue de bois « n’allait pas plaire à sa famille ».

La toxicomanie de Pierre Palmade est pourtant connue depuis des décennies. Et il est finalement le seul, ces dernières années, à utiliser les mots justes pour l’évoquer sans détour : un « poison qui lui a gâché la vie ». En 2019, lors de la sortie de son livre, il disait : « je veux en parler comme d’une maladie, pas d’une désinvolture. Quand on est dépendant à la cocaïne, on est piégé, comme avec l’alcool ou le sexe… J’étais dépendant aux trois, ça a gâché ma vie privée ».

Le souci ce n’est pas la cocaïne au volant, mais la cocaïne tout court

Vous me connaissez, chers lecteurs, je n’ai pas l’habitude de tourner autour du pot : je ne le fais pas avec mes clients, alors je ne vais pas le faire avec vous. Disons les choses : Pierre Palmade est ce que l’on appelle un polytoxicomane. Il consomme, depuis des années, de la cocaïne et d’autres drogues de synthèse très dures, ainsi que de l’alcool. Il n’est pas un consommateur mondain et riche, il est polytoxicomane. Il est aujourd’hui coincé dans cet enfer de la drogue et il a besoin de soins. C’est un malade qui doit être pris en charge et qui, par la suite, devra être pénalement sanctionné pour ce dont il est responsable. C’est d’ailleurs l’avis du juge de la liberté et de la détention qui lui a imposé une hospitalisation comme mesure principale de son contrôle judiciaire.

Alors le souci de l’affaire Palmade n’est pas « la consommation de cocaïne au volant » comme je n’ai cessé de l’entendre cette semaine, mais la consommation de cocaïne tout court. Et au lieu de recevoir sur nos plateaux télé des adeptes de « chemsex » (pratique sexuelle qui consiste à prendre de multiples drogues avant d’avoir des relations sexuelles) venant se pavaner et minimiser leur propre consommation auprès des jeunes téléspectateurs, il aurait été plus utile de parler des ravages de cette drogue dure dont on parle pourtant très souvent dans les tribunaux.

Mes clients connaissent parfaitement mon avis personnel sur la drogue : vendre de la cocaïne ou de l’héroïne (puisque j’interviens dans plusieurs dossiers de ce type), c’est vendre la mort. Ce n’est pas mon expression : je l’ai volée à l’un de mes clients il y a quelques années. Je leur explique toujours cela pour qu’ils comprennent, avant toute chose, le sens de la loi pénale. Mon rôle d’avocate n’est pas de minimiser les faits qu’on leur reproche. Mais de les défendre eux.

Ensuite vient la défense en tant que telle et je n’ai absolument aucun scrupule à faire mon métier. Vérifier la procédure pénale et l’enquête, contester ce qui n’est pas sérieux, sortir du dossier les éléments à charge mais aussi les éléments à décharge. Confronter les versions, soulever les incohérences, faire valoir les nullités : la justice ne peut être rendue qu’après ce débat contradictoire dans lequel l’avocat de la défense doit pouvoir faire son travail.

D’abord le cannabis, puis la cocaïne et enfin l’héroïne…

En 2019, un dossier m’a marquée.

J’assistais deux frères mis en cause dans un dossier de trafic d’héroïne important.

De plus en plus de consommateurs, et donc de plus en plus de vendeurs.

De plus en plus de vendeurs, et donc de plus en plus de consommateurs.

À la revente, l’héroïne est moins chère que la cocaïne. Elle touche un « public » un peu différent. Mais en constante augmentation. Elle est coupée, elle est prise avec d’autres drogues, elle s’ingère par différents moyens. Elle tue à petit feu.

Des vendeurs non-consommateurs, mais aussi et surtout des consommateurs devenus vendeurs : dans le box des prévenus pendant une semaine, des jeunes et moins jeunes, ravagés par des années de consommation. Du cannabis au début, puis rapidement, de la cocaïne. Et puis l’héroïne, moins chère, plus forte. Une addiction immédiate et une vie qui s’écroule : perte d’emploi, dettes, ruptures amoureuses, souci de santé. Des consommateurs qui se retrouvent extrêmement vite dans la précarité pour payer leurs doses et continuer à se détruire : alors ils vendent aux autres ce qui les tue eux-mêmes.

Je me souviens de leurs visages.

Ces jeunes n’ont pas commencé à consommer car ils ont vu la lumière du trafic au bout du tunnel et qu’ils y sont rentrés. Ils ont commencé à consommer pour différentes raisons liées à leur parcours de vie : l’envie de s’amuser en ne connaissant pas les effets dramatiques de la consommation, les soucis de famille, le mal-être, l’échec scolaire, le besoin de sensations extrêmes.

…et au bout, l’enfer

Et puis ensuite, l’enfer. Et l’enfer est arrivé à chaque fois.

Ces prévenus consommateurs dressaient tous le même constat : cette drogue les tuait à petit feu et ils n’arrivaient pas à en sortir. Des rechutes, toujours pires les unes que les autres, des liens familiaux brisés, une santé ravagée. Ces jeunes étaient physiquement très touchés : le teint gris, les joues creusées. Soucis de concentration, tremblements. Ils ne travaillaient presque pas, n’envisageaient pas l’avenir. Ils ne pouvaient plus voir leurs enfants, pour ceux qui en avaient, car les juges avaient souhaité les protéger de l’enfer de la drogue et de la violence qui en découle.

Nous avons tous été touchés par ces parcours de vie là.

Mes deux clients, qui ne consommaient pas, y compris.

Ils ont été condamnés à de la prison. Mais je sais que cette audience leur a appris quelque chose et qu’ils ont avancé.

Un prévenu avait passé sa semaine à dormir dans son camion pour assister à l’audience. Il touchait le RSA et ne trouvait pas de travail depuis des années. Je me souviens l’avoir vu repartir libre à la sortie de l’audience, après avoir été condamné à de la prison avec sursis, sans aide, tout seul avec sa toxicomanie. Dieu sait où il est aujourd’hui et surtout s’il est encore en vie.

« Bon Monsieur, il serait temps d’arrêter : des associations existent pour vous aider ! » lui avait lancé la présidente lors de l’audience.

Ce sont ces jeunes-là qu’il faut faire intervenir sur les plateaux télé. Pas les anciens mannequins et ex-amants qui viennent se faire de la pub sur le dos d’un malade polytoxicomane qui vient de briser des vies après avoir ruiné la sienne.

La cocaïne, l’héroïne, ce n’est pas la beauté des beaux quartiers qui fait rêver. Ce n’est pas le pouvoir, ni l’élégance. Ce n’est pas une passade de vie ou un mauvais moment, comme je l’ai entendu récemment lors d’une audience devant le juge aux affaires familiales.

Lutter contre le trafic de drogue c’est avant tout savoir à qui on a affaire : « un poison qui gâche la vie », comme l’a justement dit Pierre Palmade. Et tant que nos politiques ne traiteront pas aussi (et surtout) cet aspect-là du trafic de drogue, la consommation continuera à augmenter et des vies continueront à être brisées.

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