Affaire Quatennens : « un fait divers = une loi », encore et toujours…

Publié le 07/02/2023

En réaction au retour du député (LFI) Adrien Quatennens à l’Assemblée nationale le 6 janvier dernier, après une mise à l’écart consécutive à sa condamnation pour violences conjugales, la députée de la majorité Aurore Bergé (Renaissance) a proposé une réforme du code pénal. L’objectif ? Étendre la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux violences ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) inférieure à 8 jours ou pas d’ITT du tout. Une proposition que notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier juge très discutable. 

Affaire Quatennens : "un fait divers = une loi", encore et toujours...
Photo : Sophie Cottin-Bouzat/Adobe

Je me disais que cela faisait quelques semaines que nous n’avions pas eu une proposition de loi en réaction à un fait divers. C’était sans compter le retour à l’assemblée nationale d’Adrien Quatennens, le 6 janvier dernier, tout juste condamné par le tribunal correctionnel de Lille à 4 mois d’emprisonnement avec sursis pour des violences conjugales sur sa future ex-femme.

 Ni une ni deux, le 11 janvier, devant la presse évidemment, la députée Aurore Bergé annonçait en grande pompe :

 « Nous considérons que l’on ne peut plus rester dignement un parlementaire et représenter l’ensemble des Français quand on a été condamné pour des faits de violence. C’est la réponse politique qui est la nôtre ».

Et de proposer une énième modification du code pénal afin « d’étendre la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux violences aggravées visées par l’article 222-13 du code pénal, c’est à dire aux violences commises, notamment, sur un mineur de 15 ans, sur une personne vulnérable, sur le conjoint, avec une arme etc.. ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à 8 jours ou n’ayant pas entrainé d’ITT ».

Créer des délits pour plaire à son électorat

Peine complémentaire OBLIGATOIREMENT prononcée par le tribunal, sauf motivation expresse visant à l’écarter.

La politique, encore la politique, toujours la politique…Créer des délits pour satisfaite son électorat : décidément, je ne m’en lasse pas !

Décryptage.

Le code pénal prévoit le maximum des peines qu’un suspect risque lorsqu’il est déclaré coupable. Il existe ainsi une échelle de peines, entre la dispense de peine et le maximum prévu par loi. Pour se décider, les juges vont prendre en compte plusieurs éléments : la gravité des faits, évidemment, mais aussi le temps qui s’est écoulé entre les faits et l’audience, le regard du suspect sur les faits, sur sa vie, sur les raisons pour lesquelles il est passé à l’acte. C’est ce que l’on appelle : l’individualisation de la peine. C’est un principe fondamental issu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et qui interdit, en principe, les peines fixes et automatiques.

 Je le maintiens : pour une même infraction, deux personnes ne méritent pas la même sanction. Et c’est le rôle de la justice que de prendre en compte ces personnalités.

 A coté de ces peines principales encourues, il existe des peines complémentaires : le juge peut, s’il l’estime nécessaire et pour certaines infractions, condamner le coupable à d’autres peines, en complément de la peine principale. Par exemple, l’interdiction temporaire de se présenter à une élection (la fameuse inéligibilité), l’interdiction temporaire de voter, l’interdiction de porter une arme..

Là encore, aucune automaticité : ce sont les juges, après un débat judiciaire, qui décident. Et c’est heureux.

 Enfin. C’était sans compter le manque de confiance grandissant dans la justice, dans nos élus et les accusations de laxisme qui inondent régulièrement nos chaines de télévision. L’idée d’imposer aux juges des peines automatiques a commencé à naître dans la tête de nos politiciens..

 Le 8 septembre 2017, le Conseil constitutionnel (n°2017-752DC) s’est ainsi penché sur certaines dispositions de la « loi dans la confiance de la vie politique ». Il a jugé « qu’en instituant une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, le législateur a entendu renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants (…) D’une part, la peine d’inéligibilité doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d’en moduler la durée. D’autre part, le juge peut, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, décider de ne pas prononcer cette peine complémentaire ».

Quand l’exception devient le principe 

Et c’est comme cela que la peine complémentaire obligatoire est rentrée dans notre quotidien pénal.

« Ni vu ni connu j’t’embrouille », comme dirait ma mère.

 Mais il faut bien comprendre une chose importante. Dans notre droit, le principe est celui de l’individualisation de la peine pénale. Pour condamner un coupable à une pleine complémentaire, le juge doit motiver sa décision. Le principe est donc de celui d’une motivation pour condamner un coupable à une peine complémentaire.

Avec les peines complémentaires obligatoires, le système est inversé : le principe devient celui d’une motivation pour écarter une condamnation à une peine complémentaire.

Le principe est devenu l’exception.

Et l’exception, le principe.

Mais comme il s’agissait d’empêcher des délinquants de se présenter aux élections, on n’y a finalement pas vu grand mal. Comme si les Français n’étaient pas capable de décider eux mêmes !

Seulement vous voyez, le souci avec le fait d’apporter des « réponses politiques » à des affaires pénales, c’est que c’est un puit sans fond. En 2017, il avait été prévu une peine d’inéligibilité automatique pour les violences sur conjoint (..) ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours. Aujourd’hui, pour les violences sur conjoint ayant entrainé moins de 8 jours d’ITT…

En 2017, il était question de la loi sur la confiance dans la vie politique..

Et aujourd’hui, il est question d’apporter une réponse politique à l’affaire Quatennens. 

Et demain ?

Alors je m’interroge.. Plutôt que de modifier encore et encore le code pénal, plutôt que de revenir, petit à petit sur nos principes, ne serait-il pas préférable que nos élus se tiennent correctement lorsqu’ils exercent leurs mandats ?

Ou alors, ne peut-on pas laisser aux électeurs le choix de voter pour les candidats qu’ils veulent, même s’ils ont été condamnés pénalement ? Ne serait-ce pas cela, finalement, la démocratie ?

La confiance que nous devrions avoir dans nos représentants doit-elle se payer à ce prix là ?

 

 

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