Affaires non élucidées : un nouvel outil d’appels à témoins
Deux ans que le Pôle national des crimes sériels et non élucidés (PSCNE) existe au parquet de Nanterre (92). Comme pour célébrer cet anniversaire – contrasté selon certaines familles et avocats – un nouvel outil a été présenté à la presse en avril, pour resserrer l’étau autour des criminels impunis.
La vidéo commence comme une vidéo de « Faites entrer l’accusé », avec un tableau de liège, des photos de lieux et de couteaux, un portrait-robot, un signalement. Des filins rouges relient les éléments sous quelques notes lancinantes de synthétiseur, pas aussi glaçantes que celles de l’alerte enlèvement, mais nous comprenons vite que l’heure est grave. « Le violeur au couteau » est le titre de cette première vidéo « En quête d’indices ». Pascal Prache, procureur de Nanterre, Sophie, commandante de police à la PJ de Bayonne et Guillaume, major de police à l’OCRVP se partagent la parole face caméra pour présenter les faits. En arrière-plan, des cartes animées s’affichent avec des photos et des cartes. Le mugshot du suspect s’affiche en gros avec le signalement détaillé : « La police a besoin de vos témoignages pour identifier et traduire cette personne devant la justice », énonce Guillaume après que l’appel à témoin soit lancé à destination des personnes présentes sur les trois lieux du crime à l’heure des faits.
« Vos témoignages sont la clé », « On a besoin de vous ! », indique la vidéo qui se termine par les logos des ministères de l’Intérieur et de la Justice et le partage d’une adresse mail (assez peu lisible, par ailleurs). Cette invitation n’étonnera pas le téléspectateur amateur de faits divers : cela fait plusieurs années que les séries documentaires de « true crimes » appellent au témoignage pour faire avancer des enquêtes.
Les appels à témoins officiels, bien plus efficaces que Netflix ?
Dans la première version d’Unsolved Mysteries, lancée en 1987 sur la chaîne NBC, le présentateur promettait : « Peut-être serez-vous à même de résoudre un mystère… ». Une interactivité qui a été remise à jour avec un site internet et un formulaire en ligne pour soumettre ses infos à la production, qui transmet aux enquêteurs. À peine 24 heures après le lancement d’un épisode consacré à l’affaire Dupont de Ligonnès sur Netflix, les producteurs se vantaient d’avoir transmis six « indices crédibles aux autorités » pour les affaires évoquées dans les nouveaux épisodes. L’équipe de la PJ de Nantes avait collaboré avec la production américaine d’Unsolved Mysteries, mais l’opération s’était révélée mauvaise : trop de temps perdu à vérifier les informations.
Selon Jean-Paul Le Tensorer, l’ancien directeur interrégional Ouest de la Police judiciaire de Nantes, ces documentaires prétendument appels à témoin ne relevaient que de « l’exploitation commerciale d’un drame humain » : « En trente-six ans de PJ, je n’ai jamais eu connaissance de plus-value apportée à une enquête par une production audiovisuelle de ce type. Par contre, des appels à témoins par voie de presse émis à la demande de la police ou de la justice, comme les « alertes enlèvement » peuvent se révéler déterminants. Mais les annonces alléchantes du style « Des journalistes relancent l’enquête » sont diffusées dans le seul but d’attirer les téléspectateurs. Il n’y a en fait aucune relance, et heureusement, car s’il y en avait, ça voudrait dire que les enquêteurs ont mal fait leur boulot. Je pense au final que cela pollue davantage le dossier qu’autre chose. »
Loin de Netflix et des plateformes de streaming, le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer et celui de la Justice ont dévoilé début avril un nouvel outil, des capsules vidéo d’appel à témoin baptisées « En quête d’indices », qui seront diffusées à la fois sur les sites des ministères et seront partagées sur les réseaux sociaux. Elles retracent les faits d’affaires de crimes sériels et non élucidés suivis par le PCSNE. Conformément au Code de procédure pénale, « le procureur de la République procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » et « Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge ». C’est suivant ces dispositions que le procureur de la République et le magistrat instructeur du PCSNE choisiront, dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction en cours, de recourir à un appel à témoins décliné sous cette forme.
La sélection des dossiers qui profiteront de ce nouveau dispositif ainsi que la date de diffusion des vidéos relèveront de la décision des magistrats et ceux après deux concertations avec les services d’enquête afférents. Les informations collectées dans le cadre de ce nouveau format innovant d’appel à témoins seront ensuite exploitées par l’un des services d’enquête dédiés de la Police nationale, de la Gendarmerie nationale ou de la Préfecture de Police de Paris en fonction de l’unité en charge du dossier. De quoi donner de l’espoir aux victimes cherchant une réponse judiciaire, et aux familles en attente de réponses.
« Il faudra de vrais moyens et une vraie volonté politique pour pouvoir identifier tous les crimes et toutes les disparitions », Didier Seban
En février dernier, le cabinet parisien de Me Didier Seban ainsi que les associations Estelle, Christelle, les Disparus du Fort Tamié et les handicapés de l’Yonne ont organisé une conférence de presse à l’occasion du deuxième anniversaire du PCSNE. À cette occasion, l’avocat avait rappelé combien la création du Pôle avait ouvert un espoir là où il n’en existait plus pour beaucoup, avec l’élucidation de deux affaires et la condamnation de Monique Olivier dans trois dossiers criminels anciens. Le collectif avait également rappelé un bilan, selon eux, en demi-teinte : « les ambitions que vous aviez placées dans cette création sont très amoindries par le manque de décisions et l’absence d’ambition pour le Pôle », était-il indiqué dans une lettre à destination du garde des Sceaux.
Quatre points retiennent particulièrement l’attention du collectif. En premier lieu, la crainte, avec l’obsolescence des serveurs du logiciel Winstru, de perdre de nombreux dossiers d’instruction si aucun moyen informatique n’est mis à disposition du Pôle. Ensuite, les moyens dédiés au Pôle, qui attend toujours l’arrivée d’un quatrième juge promis par la Chancellerie et n’a toujours pas repris de nouveaux dossiers. L’avocat pénaliste a également évoqué sa frustration que le PCSNE ne puisse être force de propositions pour peser sur la loi en ce qui concerne par exemple l’obligation de prélèvement pour les funérailles sous X (projet de loi rejeté en 2019), et qu’il n’existe pas, pour répondre aux questions des familles, de policier ou gendarme référent pendant toute la procédure (comme cela existe en Grande-Bretagne). Des inquiétudes auxquelles le collectif n’a pour l’heure pas obtenu de réponses.
Malgré ce bilan contrasté, Me Didier Seban salue la mise en place des capsules « En quête d’indices » : « Toute solution qui pourrait apporter des réponses aux familles est une bonne nouvelle, nous dit-il. Mais cet outil reste perfectible : il n’y a pas de sous-titre donc pour les malentendants ou les personnes qui consultent les vidéos dans le métro, c’est compliqué. Le ministère devrait prendre modèle sur les médias sociaux… Néanmoins c’est assez clair, assez bien fait. Selon moi, il s’agit d’une première étape : il devrait exister un site internet répertoriant les disparitions et les cold-cases en France avec la possibilité pour les internautes de déposer des informations. Aujourd’hui, les personnes ne savent pas à qui s’adresser : le commissariat, des journalistes, des avocats… il faudrait que tout soit centralisé. Interpol a un site internet pour les disparitions d’enfants, mais rien en France alors que nous disposons d’un site pour retrouver des œuvres d’art disparues (« Collections sur Mesure », lancé en 2015 par le ministère de la Culture, NDLR). Il est positif de mettre en place de nouveaux outils comme celui-là, mais il faudra de vrais moyens et une vraie volonté politique pour pouvoir identifier tous les crimes et toutes les disparitions qui ne parviennent toujours pas à intégrer le PCSNE. Éric Dupont-Moretti a annoncé un 4e juge d’instruction qui arriverait en janvier 2025, mais nous sommes dans un véritable goulot d’étranglement, les nouveaux dossiers ne sont pas pris en charge par le Pôle et les familles qui espèrent ce transfert sont dans un sentiment d’abandon. Quant à la culture « du cold case », même deux ans après, il ne s’infuse toujours pas sur les autres juridictions ».
Référence : AJU013f8