Procès de l’attentat de Magnanville : L’étrange face à face entre l’accusé et son épouse qu’il n’avait jamais vue

Publié le 26/09/2023

Le procès de l’attentat de Magnanville, qui a coûté la vie à deux policiers, en 2016 s’est ouvert lundi devant la cour d’assises spécialement composée de Paris. L’audience a été marquée par un moment inédit dans les annales judiciaires.

Procès de l'attentat de Magnanville : L'étrange face à face entre l'accusé et son épouse qu'il n'avait jamais vue
Entrée de la salle des Assises Voltaire, palais de justice de Paris (Photo : ©O. Dufour)

Cheveux longs et barbe noire, polo clair, Mohamed Lamine Aberouz est accoudé sur le rebord du box immense de la salle Voltaire, au palais de justice de Paris, où il comparait seul pour répondre de complicité dans l’attentat de Magnanville. Le 13 juin 2016 au soir, Jean-Baptiste Salvaing, commandant de police aux Mureaux  a été poignardé à mort alors qu’il rentrait chez lui, ainsi que sa compagne également policière, Jessica Schneider, assassinée dans leur maison, sous les yeux de leur enfant âgé de trois ans. Simplement parce qu’ils étaient policiers et qu’un homme avait décidé qu’ils devaient mourir au nom de l’État islamique (EI). L’auteur, Larossi Aballa, retranché sur les lieux, est abattu à minuit par la police. Comme souvent dans les affaires de terrorisme, on juge les seconds couteaux, ceux qui ont participé à la commission des faits en aidant à les préparer. Ici, le second couteau est seul dans le box.

L’accusé crie son innocence

C’est la fin de la première journée d’audience, le dernier témoin est sur le point d’entrer dans la salle. Il s’agit de J.C. l’épouse de l’accusé. Elle s’avance vers la barre, vêtue d’un ample et long vêtement vert qui l’enveloppe tout entière, ne laissant apparaitre que ses mains, nues, et l’ovale de son visage. Même son menton est dissimulé. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son apparition ne va pas aider la défense. Si le fait d’être très religieux n’implique pas nécessairement d’approuver les actions violentes, loin de là, la stratégie dans ce genre de dossier consiste toujours à minimiser le plus possible l’adhésion à la religion de l’accusé parce que, chez ceux qui passent à l’acte, les deux sont liés.

Depuis le début de l’après-midi, on se penche sur la personnalité de l’accusé. La cour a entendu  l’enquêtrice et les experts psychiatre et psychologue. Né en septembre 1993 dans les Yvelines, Mohamed Lamine Aberouz  a connu une enfance sans histoire entre une mère femme de ménage et un père ouvrier chez Renault,  jusqu’à la rupture : en 2009-2010, ses parents se séparent, tandis qu’il est renvoyé du lycée (classe de 1er) pour défaut de concentration. Il décide alors de partir chez des parents en Mauritanie (la famille est marocaine) un an, afin d’apprendre l’arabe. A son retour, il décroche un CAP et son bac. C’est un timide, un casanier, un solitaire, se décrit-il lui-même. Les experts psychiatres qui l’ont examiné n’ont détecté aucune pathologie, pas l’ombre d’une dangerosité, il est d’une intelligence moyenne, sans addictions. « Pour lui être modéré c’est être laxiste, extrémiste au contraire c’est faire ce qu’on ne vous demande pas » explique-t-il aux psychiatres. Question religion, sa famille est pratiquante, lui y est venu sur le tard, s’est formé tout seul.  C’est là qu’est la faille, il estime qu’on ne peut pas vivre sa religion correctement en France. Sur l’EI il adhère au principe, mais condamne les méthodes et se dit opposé à toute forme d’attentat. Quant aux faits qui lui sont reprochés, le matin il a condamné « les actes monstrueux », désavoué son ami d’enfance qui les a commis, et réaffirmé son innocence.

« Il ne savait pas ce que j’allais faire, il n’a pas compris »

Après les experts, c’est l’heure des témoins. La première apparait sur écran à 17 heures. Il s’agit de Sarah Hervouet, 30 ans, condamnée en 2019 dans l’affaire de l’attentat manqué de Notre-Dame à 20 ans de prison. Elle comparait depuis l’établissement où elle purge sa peine. Née en aout 1993 à Lisieux, la femme élégante aux longs cheveux noirs qui apparait dans la salle en visioconférence semble perdue. Si elle est interrogée, c’est qu’elle a été la « promise » de l’auteur de l’attentat de Magnanville, Larossi Aballa, puis d’Adel Kermiche, l’un des deux auteurs de l’assassinat en pleine messe du prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray (lire nos chroniques ici) et a été également en « pourparlers » pour épouser l’accusé. Lequel a d’ailleurs été condamné à 5 ans de prison pour non-dénonciation de crime s’agissant de son dossier à elle. Il ne savait pas, affirme-t-elle tout en dressant le portrait d’un homme calme, qui l’apaisait. Sauf ce soir-là, objecte le président alors qu’elle poignarde un policier lors de son arrestation. « Il ne savait pas ce que j’allais faire, il n’a pas compris », assure le témoin.

La défense marque un point lorsqu’elle lui demande en tout fin d’audition :

« — Si vous aviez suivi ses conseils pensez-vous que vous seriez en détention aujourd’hui ?

— Non ».

L’écran s’éteint.

« Je ne donnerai aucun nom »

C’est elle qui a fait l’intermédiaire avec celle qui deviendra l’épouse religieuse de l’accusé. Il est 17h50, la femme tout entière recouverte de voiles se tient debout à la barre. Née en 1998 à Troyes, elle a été condamnée en 2020 à 7 ans de prison pour préparation d’actes de terrorisme. Depuis sa sortie le 14 septembre dernier, elle habite dans le 18e arrondissement de Paris. Comme son mariage avec l’accusé est uniquement religieux, elle a la possibilité de témoigner sous serment, ce que lui recommande le président pour donner de la force à son témoignage.

« — Levez la main et dites « je le jure ».

— Non, désolée, je ne fais pas ça. Mais comme je ne mens jamais, je dirai la vérité » affirme-t-elle, bravache.

Le président ignore la provocation et débute ses questions. A chacune d’entre elle, la femme répond qu’elle ne comprend pas, fait répéter, renâcle, discute la légitimité de l’information demandée, ou refuse tout bonnement de répondre. « Je ne donnerai aucun nom » lâche-t-elle péremptoire. Qu’à cela ne tienne, tout est dans le dossier. Le président lit les réponses qu’elle lui refuse. « Si vous savez déjà, pourquoi me poser la question ? » le défie-t-elle.

De l’accusé, elle consent à dire : « c’est mon compagnon, nous sommes mariés religieusement 20 juin 2021 ». L’avait-elle déjà vu avant de l’épouser ?

« —  On était en prison.

— Comment on se marie sans se rencontrer ? questionne le président.

— Je n’ai pas à expliquer. On se marie, c’est tout.

— Pour vous c’est quoi la signification du mariage ?

— Je ne comprends pas votre question.

— Est-ce la première fois que vous voyez votre mari ?

— Oui ».

Émoi dans la salle, les deux époux mariés il y a trois ans se rencontrent donc pour la première fois alors que l’une vient de sortir de prison et que l’autre risque d’y séjourner pour le reste de ses jours.

Plus tard le président :

« — Avez-vous choisi cet homme parce qu’il correspond à vos convictions ?

— Je ne veux pas répondre à cette question.

Les deux avocates générales ont plus de succès, avec elles, le dialogue devient plus fluide, mais les réponses demeurent succinctes.

« — Il vous disait « j’ai des attentes simples, si la femme respecte les droits de son époux et cherche à se rapprocher d’Allah, une telle femme ne peut que me convenir. Ça vous a plu ? » interroge l’une des magistrates.

— Oui

— En quoi ?

— Ça m’a plu, c’est tout ».

« Avez-vous évolué par rapport à l’action violente ? »

Mais voici qu’on aborde un incident. « « Ma sœur t’a envoyé un colis de livres sans avoir été consulté, cela ne m’a pas plu, lit l’un des magistrates du parquet,  qu’elle n’envoie plus de livres sans savoir profitable, j’avais déjà envoyé un courrier à ce sujet. Il faut que tu poursuives ton apprentissage de bonne épouse. » Que s’est-il passé ? »

— Il a raison.

— C’est-à-dire ?

— Il faut des priorités, un roman ça ne va pas me profiter.

— Trouvez-vous normal que votre époux choisisse les livres que vous devez lire ?

— Bien sûr.

— Et de ne lire que sur la thématique religieuse ?

— Il a dit qu’il avait acheté des livres plus bénéfiques pour moi. Des romans, j’en lis ».

C’est au tour de la défense. On ne peut imaginer témoin plus difficile à gérer pour elle que cette femme que la justice décrit comme aussi radicalisée à sa sortie de prison qu’elle l’était en y entrant.

« — Avez-vous évolué par rapport à la religion et à l’action violente ? interroge un avocat.

— Bien sûr. Vous étiez des ennemis, on attaquait mes frères et sœurs, après aujourd’hui dans ma religion j’ai compris que je suis une femme et que je n’ai pas à combattre ».

Le deuxième avocat de la défense lui demande ce qu’elle pense des faits qu’on lui reproche.

« — Il m’a dit qu’il est innocent.

— C’est important pour vous ?

— Je ne me serais pas engagée comme ça. Le fait qu’il soit enfermé alors qu’il est innocent des faits dont un autre est coupable, c’est injuste ».

« Tu sais combien je t’aime »

L’audition touche à sa fin.

Dans le box, l’accusé fait signe au président qu’il veut intervenir. « Uniquement pour une question, précise le magistrat, vous aurez tout le temps demain de vous expliquer ».

L’accusé se lève et se tourne vers l’épouse dont il vient seulement de découvrir le visage.

« — Est-ce que je peux compter sur ton soutien ? l’interroge-t-il.

Temps suspendu.

— Oui, répond-elle en souriant

— Tu sais combien je t’aime.

— Oui.

— Ce n’était pas une question », constate le président.

L’accusé se rassoit.

L’épouse quitte la salle en souriant, sa robe verte trop longue traine par terre, elle ajuste un petit sac à dos noir sur son épaule et disparait par la porte des témoins. Qui sait quand ce couple étrange se reverra ?

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