Au tribunal correctionnel de Bobigny, des prévenus sans avocat et sans défense
Deux prévenus comparaissent devant le tribunal correctionnel de Bobigny sans avocat et reconnaissent les faits. L’un par résignation, l’autre par illusion.
Deux prévenus pour trafic de stupéfiant se succèdent devant la 13e chambre correctionnelle du tribunal Bobigny ce vendredi 11 mars 2022. L’un est venu « en costard », comme il dit. Il comparaît libre et le répète à l’envi : il vient de décrocher un CDI d’opticien. « J’ai validé ma période d’essai. »
Un profil sage et rangé pour faire oublier des faits déjà anciens : en octobre 2020 à Bondy. Sasha* fait des navettes en voiture sans se rendre compte qu’il est surveillé par la police. Elle l’arrête, fouille le véhicule et saisit 2,6 kg de résine de cannabis et d’herbe. En garde à vue, « il se tape la tête contre la porte » pour faire croire à des violences, écrivent les policiers. Il est testé positif au cannabis.
Sasha crie à la manipulation : « Le test urinaire a été fait devant moi. Il était négatif. Il a été modifié. D’ailleurs le PV a été raturé. Ils ne m’aiment pas. D’ailleurs, il y a conflit d’intérêt. »
La présidente balaie l’argument. « Quel intérêt ? Et puis on n’en est pas là, Monsieur ! Les faits sont plus graves. » Un témoin atteste avoir acheté pour 20 euros de cannabis. La cession de stupéfiants s’ajoute aux autres chefs de prévention : acquisition, détention, transport. Et aussi refus donner le code de son téléphone.
Ne pas gâcher ma réinsertion
La présidente l’interroge sur son implication dans le trafic toujours en cours.
« — Votre dealer a abandonné votre dette des 2,6 kg de drogue saisis ?
—Je ne suis pas à sa place. Je ne vais plus à Bondy. Grâce à Dieu, je suis tranquille. Je suis opticien, j’essaie de me réinsérer au maximum ».
Il fournit ses fiches de paie, il gagne le Smic. Seulement, il y a ce casier, qui pèse lourd : une condamnation à des jours de travail d’intérêt général en 2014, une amende de 800 € en 2016 pour usage de stupéfiants, six mois de sursis en 2018 pour trafic, mise à l’épreuve prolongée, révocation du sursis en 2020 pour trafic et condamnation ferme avec surveillance électronique.
La procureure retient donc la récidive légale et requiert 15 mois ferme avec mandat de dépôt, interdiction de séjourner à Bondy et 10 000 € d’amende.
Dans son costume noir, Sasha se défend seul. « Le téléphone, je ne l’ai pas débloqué parce que j’avais peur de mon ex-dealer. S’il m’avait retrouvé, je ne serais pas là. Je serais peut-être avec une balle dans la tête ! Je suis en train de me réinsérer. Ma mère, elle, est contente. Je vous demande de ne pas gâcher ma réinsertion. »
Tout de suite après sa plaidoirie, une deuxième affaire est appelée.
Sous contrôle judiciaire
Pas de costume de ville pour celui-ci, mais un sweatshirt bariolé, des cheveux en bataille sur un visage flegmatique. Tony* est aussi moins prolixe : il se contente de murmurer oui ou non.
Quand, en novembre 2021, il est interpelé à Saint Ouen avec plusieurs capsules de cannabis – 55 gr en tout – il n’est pas en sursis probatoire, comme Sasha, mais sous contrôle judiciaire.
« Que faut-il penser de la commission de nouveaux faits quand on est sous contrôle judiciaire, Monsieur ? » morigène la présidente. « Ça ne donne pas envie de faire du contrôle judiciaire mais plutôt de décerner du mandat de dépôt…»
Qui il est ? Où vit-il ? On n’aborde pas la question. Le procureur écarte la thèse qu’il a soutenue devant les policiers selon laquelle il revendait des stupéfiants pour son propre compte. « Il est impliqué dans un trafic plus large. Il trouve que c’est une bonne idée de vendre des stups à Saint Ouen, là où il a été interpelé précédemment. » Elle demande 90 jours amendes à 10 €.
Il n’a pas d’avocat, il n’a rien à ajouter. Il est condamné aux 90 jours-amendes. « Chaque jour non payé est un jour de prison », explique la présidente qui rappelle qu’il est déjà condamné à 6 mois fermes.
Ce n’est pas l’absolution
Pour Sasha, le tribunal suit les réquisitions de la procureure : 15 mois fermes avec mandat de dépôt « à effet différé », afin qu’il puisse prévenir son employeur. Le jeune homme est pris de dépit, il rage, il pleure : « Merci ! Merci, Madame la procureure de me laisser me réinsérer. Merci, ça m’aide à sortir de la rue. Je leur dis quoi au travail ? »
« Travailler ce n’est pas l’absolution, coupe la procureure. Vous avez dix jours pour faire appel. » Le bruit sec du tampon sur le formulaire retenti : il devra se présenter à la maison d’arrêt le 18 avril.
*Les prénoms ont été modifiés.
Référence : AJU281709