Au Tribunal judiciaire de Créteil : quatre prévenus pour proxénétisme libérés pour faute de procédure

Publié le 27/04/2022

Quatre prévenus pour proxénétisme aggravé et violences sont remis en liberté avant même les débats sur le fond au cours d’une audience de renvoi de la 13e chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Créteil le jeudi 14 avril 2022. La raison : une omission du président lors de la première audience.

Au Tribunal judiciaire de Créteil : quatre prévenus pour proxénétisme libérés pour faute de procédure
Photo : ©P. Anquetin

C’est le dossier le plus volumineux de cette audience, celui d’un réseau de prostitution. Dans le box, trois hommes aux carrures de basketteurs et un quatrième qui fait figure de jouvenceau. A 19 ans, il est le benjamin, quand les autres approchent la trentaine. Ils sont mis en cause pour proxénétisme aggravé – avec pluralité d’auteurs ou de complice – en récidive pour deux d’entre eux.

Trois victimes

Le parquet leur reproche d’avoir « aidé, assisté, tiré profit de la prostitution » de deux femmes, en organisant l’activité, en diffusant des annonces sur internet, en récupérant l’argent gagné, en assurant leur sécurité, leur transport sur le lieu de la prostitution. Le réseau couvre Champigny-sur-Marne et Villecresnes, Metz et Nancy, Lille et même Montpellier et Cannes. Autre chef de prévention : des violences sur un homme, ayant entraîné un jour d’ITT (incapacité temporaire totale de travail) ; il n’est pas présent sur le banc des parties civiles.

En revanche, les deux femmes, sont bien là. L’une, anxieuse, soigneusement maquillée, vêtue d’un tailleur noir, n’a pas vingt ans. Une amie la soutient, la rassure. L’autre femme, un peu plus de vingt ans, affiche un visage de marbre.

« On a oublié une question »

Un dossier de cette envergure en comparution immédiate provoque une classique réaction en chaîne : la saturation de l’audience déjà surchargée et le renvoi à une date ultérieure, avant six semaines. C’est l’histoire de ce dossier. Les quatre hommes ont déjà été présentés en audience correctionnelle le 3 mars 2022. Cela n’a pas manqué : le tribunal a renvoyé l’affaire au 14 avril, dernier jour des six semaines imparties.

Avant même l’exposé des faits, l’avocat du benjamin demande la parole. « Mesdames, Messieurs du Tribunal, je vous observe depuis le début de cette audience parce qu’il y a une obligation qui est inhérente à la comparution immédiate. Le législateur a accordé au prévenu un droit : celui de ne pas être jugé tout de suite. Une question doit impérativement lui être posée : « Souhaitez-vous être jugé aujourd’hui ou souhaitez-vous un délai pour préparer votre défense ? » Le 3 mars, on a décidé de renvoyer ce dossier au motif de « surcharge » en raison du trop grand nombre de procédures et du caractère volumineux de ce dossier. Mais on l’a renvoyé pour surcharge dans des conditions qui ne sont absolument pas celles prévues par le Code de procédure pénale. Avant de décider du renvoi, on a oublié poser une question à mon client : s’il souhaitait être jugé le 3 mars ou s’il souhaitait un délai. C’est une question obligatoire ; vous ne pouvez pas vous en affranchir. »

L’avocat demande que la question lui soit donc posée aujourd’hui et annonce que son client fera valoir son droit à un délai.

Demande de remise en liberté

Le président invite le défenseur à aller au bout de ses conclusions : « Maître, est-ce que vous posez la question de la remise en liberté ? » L’avocat rappelle le délai de détention prévu par l’article 397-1 du Code de procédure pénale. Ce texte pose en effet : « Si le prévenu ne consent pas à être jugé séance tenante ou si l’affaire ne paraît pas en état d’être jugée, le tribunal, après avoir recueilli les observations des parties et de leur avocat, renvoie à une prochaine audience qui doit avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à deux semaines, sauf renonciation expresse du prévenu, ni supérieur à six semaines ».

« On est au-delà des six semaines. La conséquence est très simple : c’est automatiquement la remise en liberté de mon client. » Les avocats des trois autres prévenus s’engouffrent dans la voix ouverte par leur confrère et s’associent à ses demandes.

« Pas de grief, pas de nullité »

Le président se tourne vers la procureure qui répond en deux volets. Oui, il y a bien eu une irrégularité, admet-elle. « La question n’a pas été posée ; le code pénal n’a pas été respecté. »

Mais cette irrégularité ne constitue pas un grief pour les droits de la défense, contrairement à une irrégularité plus grave, par exemple l’absence de l’avocat en garde-à-vue. Et dans la mesure où l’audience a été reportée, les prévenus ont automatiquement bénéficié d’un délai pour préparer leur défense. Il n’y a donc selon elle pas de grief. « Pas de grief, pas de nullité. »

« La méthode la plus répressive »

La défense vient de remporter une première victoire : le ministère public reconnaît que la question du délai n’a jamais été posée aux prévenus. L’avocat insiste alors de plus belle : « Ce n’est même pas un problème de grief. Tant que cette question n’a pas été posée, on ne peut pas aller plus loin. Votre tribunal est coincé parce que le 3 mars le renvoi ne s’est pas fait dans les conditions exigées par le Code de procédure pénale. »

Une jeune consœur abonde : « Je suis un peu surprise de la distinction qui est faite entre les droits fondamentaux le temps de la garde à vue et après. La comparution immédiate est la méthode la plus répressive. Les règles procédurales doivent être impérativement sauvegardées au nom du peu droits qu’il reste à exercer quand on comparaît dans un box, après six semaines de détention provisoire. »

Joie et accablement

Pour une fois, le tribunal ne joint pas l’examen des exceptions de nullité au fond et se retire promptement pour délibérer. Il rend sa décision une demi-heure plus tard et c’est une double surprise.

Le président rappelle d’abord que l’accord du prévenu doit être recueilli lors de la première présentation devant le tribunal – et uniquement la première – ce qui n’a pas été fait le 3 mars. Mais il ajoute qu’il n’y a pas lieu de recueillir cet accord lors de la deuxième audience, celle de ce jour.

En revanche, le président et ses assesseurs constatent que le 3 mars le tribunal a violé l’article 397-1 du Code de procédure pénal sur le délai de renvoi. « Cette omission fait nécessairement grief ». Ils ordonnent la remise en liberté immédiate des quatre prévenus.

Ils sont libres, mais toujours poursuivis. La nouvelle audience est fixée au 13 octobre devant une autre chambre correctionnelle, la 10e. Le président s’adresse aux quatre prévenus : « Il vous appartient de vous présenter le 13 octobre ou de ne pas vous présenter. Vous faites comme vous voulez, vous choisissez. »

Ils ne s’attendaient pas à ce dénouement et manifestent une allégresse contenue. Sur le visage des deux jeunes femmes, une seule expression : l’accablement.

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