Chien d’assistance judiciaire et aide aux victimes

Publié le 05/03/2025
Chien d’assistance judiciaire et aide aux victimes
Photography by Adri/AdobeStock

Le chien d’assistance judiciaire s’impose progressivement dans les pratiques d’aide aux victimes. Son intégration constitue une évolution majeure dans la prise en charge des victimes au sein du système judiciaire. Or l’aide aux victimes est confrontée aux traumatismes profonds provoqués par l’infraction pénale et risquant d’être aggravés par la procédure pénale. En ce sens, le chien d’assistance judiciaire apparaît comme un outil innovant, répondant non seulement aux besoins spécifiques des victimes, mais aussi aux exigences de professionnalisme des intervenants. Il permet de prévenir la victimisation secondaire et de garantir un accompagnement adapté. Il apparaît dès lors opportun de pérenniser son usage.

1. L’entrée du chien d’assistance judiciaire dans les nouvelles pratiques d’aide aux victimes peut parfois voir sa légitimité remise en cause. On le qualifie même parfois de « gadget »1. Il faut cependant y voir un véritable bond dans la dynamique d’aide aux victimes au sein de notre ordre juridique. En effet, l’aide aux victimes acquiert aujourd’hui une place indéniable en droit, tant du côté des professionnels de justice que du côté des personnes victimes d’infractions. Elle répond donc à des problématiques de justice, puisqu’elle garantit les droits à la reconnaissance, à l’information, à la protection et à la réparation2 tout en renforçant la confiance des victimes dans l’institution judiciaire3. Or, il faut prendre conscience de l’implication professionnelle demandée aux personnes qui ont fait le choix d’exercer ces missions d’aide aux victimes. Il s’agit aujourd’hui d’un véritable corps de métier qui allie à la fois les dimensions juridique, psychologique et sociale. Cependant, la prise en charge de personnes affectées par la commission d’une infraction pénale particulièrement traumatisante peut soulever des problématiques humaines non négligeables et laisser inassouvis certains besoins des victimes. À ce titre, le chien d’assistance judiciaire doit être perçu comme un outil particulièrement innovant et efficace. Non seulement il constitue un véritable instrument d’aide aux victimes en lui-même (I), mais il permet également de garantir le caractère professionnel de l’aide aux victimes (II).

I – Un véritable instrument d’aide aux victimes

2. La victimisation emporte des conséquences psychiques (A) impliquant une prise en charge adaptée dans laquelle le chien d’assistance judiciaire a vocation à jouer un rôle clé (B).

A – Les conséquences durables du traumatisme psychologique des victimes

3. La victimisation crée une réponse émotionnelle intense qui entraîne un certain nombre de conséquences psychologiques mais également physiques. Le traumatisme psychique résulte d’une réaction de l’amygdale cérébrale au moment de l’événement, qui se traduit par une production de certaines hormones du stress, notamment l’adrénaline et le cortisol4. Cette réaction va rendre impossible l’encodage de l’événement par l’hippocampe, comme un simple souvenir et le faire persister dans ce que des psychiatres appellent la « mémoire traumatique »5. Cette dernière contient donc l’ensemble des réponses émotionnelles extrêmes à l’événement traumatisant et se nourrit d’autres événements qui rappellent le traumatisme. Si elle peut être temporairement passée sous silence via une « dissociation traumatique »6, empêchant toute réaction, elle est susceptible de se manifester face à certains stimulus7. En ce sens, le traumatisme psychologique peut être aggravé du fait d’une prise en charge inadaptée de la victime. Il s’agit de la victimisation secondaire.

4. La victimologie identifie la victimisation secondaire comme une « seconde blessure »8, autrement dit « l’idée que la victime est blessée une première fois par l’acte criminel et une seconde fois par les réactions d’autrui, en particulier les autorités de justice pénale qui échouent à répondre à ses besoins »9. Elle prend même une place particulière dans notre ordre juridique dans la mesure où elle est dorénavant mobilisée par la Cour européenne des droits de l’Homme qui enjoint aux États d’en prévenir les effets10 et leur interdit d’en être à l’origine11. Le chien d’assistance judiciaire doit donc être conçu comme un instrument permettant d’éviter ce risque de victimisation secondaire durant des étapes clés de la procédure pénale, notamment les auditions durant lesquelles la victime va devoir revivre l’événement traumatisant, afin de le raconter. Il s’agit également d’étapes durant lesquelles elle va être confrontée à l’auteur. On va même parfois la remettre en cause et la suspecter de mentir. Cela peut être d’une violence inouïe, notamment pour des victimes mineures.

B – Le rôle-clé du chien d’assistance judiciaire auprès des victimes

5. Le chien d’assistance judiciaire n’est pas une révolution. Les chiens d’assistance sont aujourd’hui utilisés pour compenser un certain nombre de troubles. On les voit désormais tous les jours auprès des personnes malvoyantes, des personnes souffrant de crises d’épilepsie, malentendantes ou encore de personnes atteintes de troubles du spectre autistique12. Alors pourquoi pas les victimes ?

6. Lorsque le chien d’assistance est utilisé pour procéder à l’audition de la victime ou encore pour l’assister à l’audience, il sert non seulement les intérêts de cette dernière mais également ceux de l’institution judiciaire. En ce sens, il permet de limiter le risque de victimisation secondaire qui comprend une dimension très subjective à travers la réponse émotionnelle personnelle de la victime. Sa place a évolué grâce à une plus grande considération envers sa qualité de personne humaine et sa souffrance personnelle. Cependant, elle demeure une des pièces de la procédure. Solliciter sa coopération, son récit, sa présence, nécessite de respecter ses droits et sa dignité, ce qui implique par ailleurs de disposer des ressources nécessaires. Pour cette raison, les victimes ont le droit d’être assistées par un majeur de leur choix, notamment un professionnel de l’aide aux victimes, lors de leur audition13. Ainsi, le chien d’assistance judiciaire va plus loin car il permet de répondre à un certain nombre de besoins auxquels il est exclu que les intervenants des services d’aide aux victimes répondent. En cela, il garantit le caractère professionnel de cette pratique. Il apparaît donc comme une évidence judiciaire.

II – Un garant du caractère professionnel de l’aide aux victimes

7. Le chien d’assistance judiciaire a pour fonction de répondre à certains besoins émotionnels qu’éprouvent les victimes et auxquels les professionnels n’ont pas la possibilité de répondre (A) ce qui pose indéniablement une problématique de victimisation secondaire. Il garantit ainsi la préservation du caractère professionnel de l’aide aux victimes (B)

A – La possibilité de répondre aux besoins émotionnels des victimes

8. L’idée d’introduire les animaux au cœur de la justice est bienvenue. La distance que doivent nécessairement prendre les intervenants dans leurs missions auprès des victimes peut accentuer la victimisation secondaire à travers un sentiment d’impuissance, de souffrance incomprise14. Les animaux sont alors susceptibles de constituer la catharsis émotionnelle nécessaire aux victimes dans des étapes difficiles.

9. La participation à la procédure pénale favorise la reviviscence traumatique. Le chien d’assistance judiciaire permet ainsi de canaliser et de réduire ces effets. Lorsque la victime doit expliquer lors de son audition les détails de son agression, la « mémoire traumatique »15 est susceptible de se réactiver, ce qui peut entraîner certains symptômes tels qu’une accélération du rythme cardiaque, une certaine confusion, un blocage psychologique l’empêchant d’expliquer clairement les faits et s’apparentant à une réelle souffrance. Dans cette situation, le contact physique a notamment vocation à apaiser les symptômes du stress et à canaliser la réponse émotionnelle de la personne qui le subit16. Le toucher joue donc un rôle capital dans la création d’un sentiment de sécurité, permettant par ailleurs de réduire la douleur et de favoriser la communication17. Cependant, face à une victime d’agression sexuelle, de viol ou de tentative de meurtre, il est exclu de créer ce contact spontanément ou en l’absence de son consentement sans risquer d’être intrusif et donc d’aggraver le traumatisme.

10. Or, le contact avec des animaux semble pouvoir correspondre à cette attente. L’effet bénéfique des animaux a ainsi pu être démontré sur des mineurs victimes d’abus sexuels18 ainsi que sur des personnes souffrant de stress post-traumatique19. Par ailleurs, il faut prendre en compte d’autres éléments émotionnels, particulièrement chez les victimes d’infractions pénales, telles que la peur d’être jugées ou de ne pas être crues, qui, lorsqu’elle se réalise, constitue une forme de victimisation secondaire. Cependant, ces sentiments n’ont la possibilité d’apparaître qu’avec des personnes, de sorte que les animaux semblent pallier cette lacune. Le chien d’assistance judiciaire démontre ainsi un potentiel important afin de réduire la victimisation secondaire20.

11. Par ailleurs, cela demande une implication émotionnelle et personnelle qui n’appartient pas à un professionnel, même de l’aide aux victimes. Le chien d’assistance judiciaire permet donc de répondre à ces besoins émotionnels à travers la possibilité de contact physique, tout en protégeant la distance professionnelle nécessaire des personnels de l’aide aux victimes dont il devient alors le meilleur allié.

B – La protection des professionnels de l’aide aux victimes

12. Il ne faut pas oublier que les professionnels dont il est question sont des salariés d’associations agréées d’aide aux victimes21. Ainsi, dans le cadre de leurs missions, ils doivent autant respecter la dignité des victimes que voir leur vie privée protégée. En ce sens, ils doivent pouvoir conserver la distance nécessaire avec la victime accompagnée. Pour ce faire, ces professionnels suivent des formations qualifiantes auprès d’organismes tels que France Victimes et Citoyens-Justice22. Ils doivent par ailleurs respecter certaines règles contenues notamment dans la charte des associations d’aide aux victimes23. Travailler au sein d’une association d’aide aux victimes demande cependant une implication humaine très intense et impacte nécessairement la personne qui exerce ces missions. L’empathie fait partie des comportements attendus de la part de ces professionnels afin de répondre au besoin de soutien des victimes. Mais de l’empathie à la compassion et la sympathie il n’y a qu’un pas qu’il ne faudrait pas franchir trop vite. Il est parfois difficile pour les professionnels qui sont confrontés chaque jour à une certaine détresse émotionnelle de se prémunir contre une réaction émotionnelle trop vive. En tant qu’intermédiaire entre la victime et le professionnel, le chien leur permet de conserver la distance nécessaire.

13. L’idée de placer entre la victime et le professionnel un animal qui soit le réceptacle de ses émotions était tout ce qu’il manquait à notre ordre juridique pour démontrer son changement de paradigme sur la question des victimes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’aide aux victimes est avant tout une clinique victimologique dans laquelle le chien d’assistance est un outil pratique qui a toute sa place. À ce titre, le législateur devrait s’emparer de la question pour systématiser et garantir cette pratique dans l’avenir. Si une proposition de loi avait tout de même été déposée en 202324, l’on peut regretter la dissolution de l’Assemblée nationale l’année suivante alors que cette proposition n’avait encore jamais été placée à l’ordre du jour. Il faut tout de même souligner l’effort du ministère de la Justice qui aura signé une convention le 10 février 2023 avec l’association Handi’Chiens, la Société protectrice des animaux et la fédération France Victimes afin de généraliser le recours aux chiens d’assistance judiciaire25.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. sur ce point, C. Dupuy, « Chiens d’assistance judiciaire : gadgets à poils ou aide thérapeutique ? », GPL 22 nov. 2022, n° GPL442s9.
  • 2.
    PE et Cons. UE, dir. n° 2012/29/UE, 25 oct. 2012, établissant les normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil.
  • 3.
    En témoigne la loi n° 2021-1729, 22 déc. 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire.
  • 4.
    M. Salmona, « La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma », Cah. just. 2018, n° 1, vol. 1, p. 69-87.
  • 5.
    M. Salmona, « La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma », Cah. just. 2018, n° 1, vol. 1, p. 69-87.
  • 6.
    M. Salmona, « La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma », Cah. just. 2018, n° 1, vol. 1, p. 69-87.
  • 7.
    M. Salmona, « La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma », Cah. just. 2018, n° 1, vol. 1, p. 69-87.
  • 8.
    M. Symonds, « The second injury: Evaluation and change », Criminal Justice Press 1980, numéro spec., p. 36-38.
  • 9.
    J.-A. Wemmers, Victimologie, une perspective cannadienne, 2017, Presses de l’Université du Québec, p. 143.
  • 10.
    CEDH, 20 juin 2019, n° 7144/15, A. et B. c/ Croatie – CEDH, 14 mai 2020, n° 30373/13, Mraović c/ Croatie.
  • 11.
    CEDH, 9 févr. 2021, n° 40591/11, N. Ç. c/ Turquie – CEDH, 27 mai 2021, n° 5671/16, J. L. c/ Italie : obs. J. -P. Marguénaud, « La consécration européenne de la notion de victimisation secondaire », RTD civ. 2021, p. 853 – CEDH, 7 févr. 2023, n° 36328/20, B. c/ Russie, obs. A.-B. Caire, « Quand la victimologie dynamise la Cour européenne des droits de l’Homme », D. 2023, p. 1098.
  • 12.
    Délégation ministérielle à l’accessibilité, Le chien guide d’aveugle ou le chien d’assistance le compagnon du quotidien, https://lext.so/C7yWne.
  • 13.
    CPP, art. 10-2.
  • 14.
    J.-A. Wemmers, Introduction à la victimologie, 2003, Montréal, p. 79-89.
  • 15.
    M. Salmona, « La mémoire traumatique : violences sexuelles et psycho-trauma », Cah. just. 2018, n° 1, vol. 1, p. 69-87.
  • 16.
    M. Eckstein, I. Mamaev, B. Ditzen, U. Sailer, « Calming Effects of Touch in Human, Animal, and Robotic Interaction – Scientific State-of-the-art and Technical advances », Frontiers in Psychiatry, 4 nov. 2020.
  • 17.
    M. Eckstein, I. Mamaev, B. Ditzen, U. Sailer, « Calming Effects of Touch in Human, Animal, and Robotic Interaction – Scientific State-of-the-art and Technical advances », Frontiers in Psychiatry, 4 nov. 2020.
  • 18.
    Tracy J. Dietz, D. Davis, J. S. Pennings, « Evaluating Animal-Assisted Therapy in Group Treatment for Child Sexual Abuse », Journal of Child Sexual Abuse 2012, vol. 21, p. 665-683.
  • 19.
    C. Lefkowitz, M. Prout, J. Bleiberg, I. Paharia, « Animal-Assisted Prolonged Exposure : A Treatment for Survivors of Sexual Assault Suffering Post-Traumatic Stress Disorder », Society & Animals 2005, vol. 23, n° 4, p. 275-296.
  • 20.
    S. Mcdonald et L. Rooney, « L’utilisation des chiens de soutien pour aider les victimes d’actes criminels », in Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, 2014, Gouvernement du Canada, n° 7.
  • 21.
    D. n° 2019-1263, 29 nov. 2019, relatif à l’agrément des associations d’aide aux victimes d’infraction – v. aussi : A., 29 nov. 2019, fixant le référentiel national des associations agréées d’aide aux victimes d’infraction.
  • 22.
    France Victimes est la fédération nationale des associations d’aide aux victimes. Citoyens-Justices est la fédération nationale des associations socio-judiciaires. Ces deux entités ont conclu une convention en 2023 afin de formaliser leur relation et de développer leurs échanges et actions communes. Elles dispensent toutes deux des formations certifiées Qualiopi aux salariés des associations qui en font partie.
  • 23.
    INAVEM (ancien nom de France Victimes), Charte des services d’aide aux victimes et de médiation, https://lext.so/A5pz6l.
  • 24.
    AN, prop. L. n° 732, 17 janv. 2023, visant à renforcer l’accompagnement des victimes par des chiens d’assistance judiciaire du tribunal, par Huguette Tiegna.
  • 25.
    Ministère de la Justice, Convention nationale relative au déploiement du chien d’assistance judiciaire, 10 févr. 2023.
Plan