Course-poursuite à Boissy-Saint-Léger : « Je prendrai dix mois, je sortirai au bout de cinq ! »

Publié le 10/11/2021

Lounès*, un tout jeune homme de 22 ans prend place dans le box des comparutions immédiates du tribunal de Créteil, le 2 novembre 2021. « Je souhaiterais être jugé par vous », répond-il à la présidente qui lui demande s’il préfère un délai pour préparer sa défense. Il encourt pourtant cinq ans de prison ferme pour une cascades de délits, tous en récidive.

Course-poursuite à Boissy-Saint-Léger : "Je prendrai dix mois, je sortirai au bout de cinq !"
Photo : ©P. Anquetin

Le 27 octobre 2021 à Boissy-Saint-Léger, une brigade de la Bac voit passer « à vive allure » une Opel Corsa qui tourne à gauche sans clignotant. En voiture, les policiers suivent l’Opel et se signalent en vue d’un contrôle. Dès cet instant le conducteur accélère ; une course poursuite s’engage. Il franchit un feu rouge, prend un rond-point à contre-sens et percute une moto. Le motard est éjecté tandis que le deux-roues s’encastre sous une voiture. Le chauffard ne s’arrête pas et emprunte, toujours à contre-sens, la sortie de la nationale, slalomant entre camions et autos qui s’écartent de sa route.

Les policiers décident alors de lui laisser du champ pour éviter de nouveaux accidents. Ils le rattrapent quelques minutes plus tard dans une autre commune. Alors le fuyard repart en trombe, roule sur une piste cyclable, devant une école, fonce dans une rue en sens interdit, et se retrouve face à une Clio. Il la heurte de plein fouet et finit sa course contre un mur. Le choc est tel que les airbags de son Opel se déclenchent.

« C’était un coup de panique, l’adrénaline »

Un jeune homme quitte le véhicule et s’enfuit en courant sans se préoccuper du conducteur de la Clio. Deux cent mètres plus loin, il est rattrapé par l’un des policiers. Il s’appelle Lounès, 22 ans.

A l’audience, il reconnaît tous les faits, jusqu’au moment de l’interpellation. Ensuite, sa version diverge de celle des policiers. Le rapport de la Bac indique qu’il a porté au policier un coup de poing et un coup de tête.

Il se serait aussi répandu en provocations : « La voiture, je l’ai trouvée garée, qu’est-ce que ça peut vous foutre ? C’est votre faute, il fallait arrêter de me chasser (…) Je prendrai dix mois, je sortirai au bout de cinq. J’ai un très bon avocat… » Les policiers lui ont demandé ce qu’il fallait faire devant un rond-point. Narquois, il aurait répondu : « Freiner, regarder à gauche, à droite, respecter la signalisation… » Lounès nie toutes ces déclarations ; il a d’ailleurs refusé de signer la première audition.

Le motard accidenté s’en tirera avec un hématome à la jambe et cinq jours d’ITT, le conducteur de la Clio avec des blessures au visages, des douleurs cervicales et trois jours d’ITT, et le policier avec dix jours. Lounès aussi a été blessé : des plaies à l’arcade sourcilière et au poignet, une trace de coup sur le torse.

La présidente lui demande de s’expliquer. Pendant plusieurs secondes le garçon reste noué, silencieux, puis :

« — Je voudrais déjà m’excuser envers les deux personnes que j’ai blessées. Elles ont eu de la chance, comme moi, que ça n’ait pas été plus grave. Devant les policiers, j’ai eu peur. J’ai pas réfléchi. C’était un coup de panique, l’adrénaline…

— La course poursuite a duré vingt minutes ! Vous renversez une personne, vous continuez. Votre airbag se déclenche, vous avez encore le réflexe de courir. Vous saviez que vous rouliez sans permis et vous ne vouliez pas être interpelé, quitte à ce que des personnes soient blessées.

— J’ai pensé à ma première incarcération. Je savais que si on m’attrapait, j’irais en prison. Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait. Je n’ai jamais vécu ça, je n’ai que 22 ans… »

Un casier accablant

Il dément avoir frappé les policiers, mais les accuse de violence. « Ils m’ont cassé l’arcade, ils m’ont donné un coup de poing dans le thorax. »

Le tribunal passe de longues minutes à l’interroger car, même si les blessures des victimes sont légères, le casier du prévenu l’accable : usage de cannabis, intimidation, dégradation, vol, violence, outrage, mais surtout huit sanctions pour conduite sans permis : du sursis, puis un bracelet électronique, puis une incarcération. A cet instant, Lounès préfère lorgner du côté du public, mais la présidence insiste : qu’a-t-il retenu du stage de sensibilisation à la sécurité routière ? Elle n’obtient pas de réponse, elle s’inquiète : « On se dit que c’est un choix que vous faites de conduire comme vous l’entendez, peu importe les décisions du tribunal. On ne peut pas attendre que vous ayez peur pour que vous réalisiez que c’est grave. Je n’entends pas dans votre discours qu’il faut respecter la loi ».

La procureure se lève, ôte son masque. Elle retrace « l’équipée sauvage » du récidiviste, rappelle qu’une précédente peine de dix mois de sursis est suspendue au-dessus de sa tête. Elle requiert lourdement : deux ans fermes et la révocation du sursis. « C’est à la hauteur du mépris qu’il a témoigné. » De nouveau, Lounès regarde ailleurs.

Son avocat se dresse contre le manichéisme de la procureure : « Monsieur ne comprend rien et ne comprendra jamais rien, dites-vous. Mais est-ce qu’on a envie de voir celui-là en prison pendant 28 mois ? C’est vrai, il est difficile de trouver une jauge après la lecture de ses condamnations. » L’avocat raconte la séparation des parents et, depuis, la multiplication des écarts dans un quartier qui le piège. Mais il plaide surtout la relaxe pour les violences contre le policier.

« Le médecin constate un hématome en forme de semelle sur le thorax de Lounès, un garçon qui pèse 55 kg tout mouillé ! » Des rires dans la salle provoquent l’ire de la présidente qui menace d’expulsion. L’avocat termine en suggérant une peine qui ne dépasserait pas 24 mois, tout compris.

En fin de journée, le tribunal relaxe Lounès des violences sur le policier, mais le condamne à dix-huit mois fermes pour les autres délits, révoque le sursis de dix mois et ordonne donc son incarcération immédiate pour une durée de deux ans et demi.

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