En plein débat sur la légalisation du cannabis, sévère sanction infligée au tribunal de Reims

Publié le 18/02/2025 à 15h59

Alors que les députés Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (EPR) dévoilaient, ce lundi 17 février à Paris, leurs travaux sur la légalisation du cannabis récréatif, le tribunal judiciaire de Reims (Marne) jugeait un vendeur arrêté par les douaniers à un péage que franchissent nombre de trafiquants. Il a été sévèrement condamné.

En plein débat sur la légalisation du cannabis, sévère sanction infligée au tribunal de Reims
Les amis et l’avocat de Nacer devant le tribunal judiciaire de Reims (Photo : ©I. Horlans)

 Nacer, 32 ans, barbe noire assortie à sa tenue, comparaît à la barre, encadré par les surveillants pénitentiaires. Incarcéré le 31 janvier, au lendemain de son arrestation au péage de Courcy, situé sur l’autoroute A26, au nord de Reims et à dix kilomètres de l’A4 reliant Paris à Strasbourg, il avait sollicité une comparution à délai différé. Le voici donc ce 17 février qui répond de trafic de drogue, en l’occurrence 1,5 kilo de « savonnettes » de shit cachées dans le plancher d’une voiture prêtée par son frère. Il la conduisait sans permis, en récidive. Un ami d’enfance aurait dû prendre le volant, mais il est tombé malade à Lille (Nord), point de ravitaillement. Il a été mis hors de cause.

Nacer ignore qu’au même moment, les députés Mendes (Ensemble pour la République) et Léaument (La France insoumise) ont remis leur rapport sur la légalisation du cannabis récréatif dans un objectif de santé publique et de lutte contre le narcotrafic. Le contenu détaillé de leur mission n’est pas encore disponible sur le site de l’Assemblée nationale mais on sait déjà que les deux parlementaires concluent que « le tout répressif a échoué ». Ils proposent un seuil légal de détention de cannabis – de 10 à 25 grammes – sous contrôle de l’État, afin de déstabiliser les réseaux et de renforcer la qualité des produits (notre encadré sur la dépénalisation dans le monde). Une suggestion décriée par plusieurs de leurs collègues, et que le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a fustigé : « C’est une faiblesse de l’esprit », « un discours de défaite ».

Déjà 12 mentions au casier judiciaire et 16 joints par jour

 Nacer n’est pas concerné par le débat qui agite la classe politique : s’il est effectivement consommateur – entre 10 et 15 joints par jour et jusqu’à 16, admet-il –, il est aussi dealer. Depuis l’année 2011, l’achat et la revente de stupéfiants occupent une bonne partie de la vie de ce trentenaire nourri et logé par ses parents. Certes, il a occupé quelques emplois, mal payés selon lui (1 700 €, tout de même), qui l’incitent à rechercher des à-côtés. D’où la récupération des « savonnettes » à Lille, 1,5 kilo pour un montant de 3 000 €, qu’il escomptait « partager » à Reims. À son frère et à son ami, il avait dit aller dans le Nord pour « voir une voiture qui [l’]intéressait ».

Nacer espérait échapper à la surveillance de la Douane à Courcy, un péage pourtant très surveillé. Les fonctionnaires de Bercy s’y postent souvent, et pour cause : l’autoroute des Anglais, comme elle est surnommée, relie les pays du nord à ceux du sud ; les go fast le franchissent à toute allure.

Depuis le mois de janvier 2025, nos confrères de L’Union ont rapporté des « prises » conséquentes à Courcy : quatre ans ferme infligés aux « Fangio » qui transportaient 287 kilos de résine et d’herbe, soit 814 000 € à l’achat et entre 2 et 4 millions à la revente ; 18 mois de prison ferme pour le pilote qui transportait 55 kilos de cannabis dans ses sièges et qui a roulé sur une herse avant de s’immobiliser, pneus à plat, 50 kilomètres plus loin ; une peine de trois ans dont deux ferme pour le transporteur d’1 kilo de cocaïne sous le capot. Bref aperçu de l’activité douanière à ce péage, en bordure de l’agglomération rémoise.

Autant dire que Nacer, au casier judiciaire déjà alourdi de 12 mentions, a mal choisi son trajet.

« Deux euros le gramme, ce n’est vraiment pas cher ! »

 Face à la présidente Blandine Leroy, le jeune homme reconnaît tout et s’en excuse. Mais il maintient que c’était « pour [sa] consommation personnelle et pour dépanner des amis ». Il assure n’avoir investi que 3 000 €, somme qui fait tiquer un assesseur : « Deux euros le gramme, ce n’est vraiment pas cher ! ». Le prévenu en convient, sans justifier la raison de la ristourne. À l’issue de 17 jours en détention, il espère être enfin élargi : jusqu’ici, il a échappé à la prison, la justice ayant privilégié la prévention, quatre mois avec sursis pour violence avec arme, des TIG et des jours-amende pour sanctionner ses dossiers de stups et de délits routiers.

Cette fois, le procureur Matthieu Dehu n’entend pas se montrer clément : « Il recherche l’enrichissement, les faits sont caractérisés. » Soulignant que la conduite sans permis et le trafic de cannabis ont été commis en récidive, que les analyses ont révélé qu’il était sous l’emprise du cannabis au volant, « mettant en danger les usagers de la route », M. Dehu requiert deux ans de prison, dont moitié avec sursis probatoire impliquant notamment une obligation de soigner son addiction.

En défense, Me Pascal Ammoura tente de s’en prendre aux douaniers, qui opèrent « au petit bonheur la chance », comprend vite que l’argument n’est guère convaincant, préfère finalement plaider les regrets de son client qui « est monté d’un cran dans sa consommation, c’est vraiment un problème d’addiction ».

Les juges ne sont pas dupes. Ils condamnent Nacer à 18 mois de prison et ordonnent son maintien en détention pour la partie ferme de 6 mois. Il est en outre redevable de 4 600 € à la Douane et devra se soigner. Quant à son permis de conduire, il pourra tenter de le décrocher dès sa libération.

Les surveillants pénitentiaires le menottent sous le regard d’amis venus le soutenir. Visiblement, Nacer n’est pas content.

 

Légalisation du cannabis : où en est-on dans le monde ?

 La législation varie selon les pays, certains autorisant l’usage médical et récréatif, d’autres l’ayant totalement dépénalisé. Il est illégal en France, en dépit de débats constants.

 Le cannabis récréatif est légal en Uruguay (2013), au Canada (2018) et en Thaïlande (2022). Dans trois pays européens, sont autorisés l’usage et une culture privés (jusqu’à quatre plantes) : Malte (2021), Luxembourg (2023), Allemagne (2024). Les Pays-Bas, l’Espagne, le Portugal interdisent la vente en magasin et la production mais tolèrent la consommation dans les coffee shops, les clubs ou chez soi. La Belgique ne réprime pas la possession de faibles quantités. Plusieurs villes suisses expérimentent le commerce. La Colombie, la Jamaïque, le Mexique, l’Afrique du Sud se sont orientés vers une légalisation totale.

L’usage médical est accepté en Italie, Australie, Israël, Nouvelle-Zélande et dans quelques États américains. En France, il l’est à titre expérimental depuis 2021 : quelque 3 000 patients souffrant de pathologies graves y ont un accès rigoureusement encadré. Le cannabis médical est réglementé en Italie, limité au Royaume-Uni, délivré sous conditions strictes en Irlande, Pologne, Grèce, Finlande, Norvège et République tchèque. Le Danemark conduit actuellement un programme pilote.

Si la législation française est l’une des plus strictes d’Europe (possession, vente, achat, consommation de cannabis y sont réprimés, avec l’amende forfaitaire de 200 euros pour le simple usage), les débats se multiplient en dépit de l’opposition des gouvernements successifs. Le pays étant l’un des principaux consommateurs d’Europe, les partisans et opposants rivalisent d’arguments.

 Déception des Allemands, qui ont légalisé le cannabis

Les premiers estiment que la légalisation entraînerait une diminution des trafics et par voie de conséquence les violences. Ils prennent pour exemple le Canada. Ils pensent également que la vente légale limiterait l’ajout des substances nocives et que le marché générerait des milliards d’euros pour l’État. Exemple : la Californie perçoit des recettes fiscales grâce aux taxes. Enfin, cela permettrait d’alléger la charge des tribunaux.

Les opposants, eux, évoquent un risque de hausse de la consommation, en particulier parmi les jeunes, avec tous les risques sanitaires que cela induit (troubles psychiatriques, notamment). Ils avancent aussi le danger que se développe un marché parallèle – c’est le cas aux États-Unis et en Hollande.

Emmanuel Macron et chacun de ses gouvernements y sont jusqu’à présent opposés. Ils s’inspirent en partie de l’échec partiel en Allemagne où depuis le 1er avril 2024 les critiques se multiplient : faute d’ouverture suffisante de clubs de cannabis, le marché noir continue de prospérer. Par ailleurs, les médecins s’alarment, la loi ayant semble-t-il minimisé les risques pour les jeunes. Et le taux de criminalité n’a pas baissé…

 

 

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