Escroquerie aux « aides Covid » : « Le gouvernement a ouvert la porte, je me suis engouffré »

Publié le 20/12/2022

A la barre de la 3e chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), Yohan admet avoir « saisi une opportunité ». Il compte parmi les 2 542 fraudeurs au fonds de solidarité, lié à la crise sanitaire, signalés à la justice durant la seule année 2021.

Escroquerie aux « aides Covid » : « Le gouvernement a ouvert la porte, je me suis engouffré »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 En mars 2021, la Cour des comptes alertait déjà sur le risque de fraude aux aides déployées par l’Etat afin de soutenir l’activité économique durant la pandémie de Covid, dès le premier confinement. Elle recommandait « des contrôles accrus a posteriori » tant « le cumul avec d’autres aides » pouvait entraîner « des indemnisations au-delà du préjudice subi ». Dans leur rapport de 2022, globalement positif compte tenu de l’ampleur inédite de la crise, les magistrats financiers confirmaient leurs craintes : les mesures consenties « n’ont pas été assorties de précautions suffisantes pour éviter les effets d’aubaine ».

La Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui s’attendait à un afflux de profiteurs, a mis en place trois niveaux de contrôle et formé des agents. Lesquels ont, par exemple, rejeté 444 312 dossiers et 24 820 autres demandes irrégulières en 2020. A ce jour, l’administration estime que près de 10 milliards ont été économisés grâce aux vérifications. Elle a récupéré environ 70 millions indus et près de 2 000 personnes demeurent en attente de jugement.

« Je m’étais préparé à l’idée de devoir rembourser »

 Yohan, 37 ans, est l’un des 4 168 fraudeurs fiscaux que la DGFiP a épinglés en 2021 (1 489 l’an précédent), dont 2 542 ayant ciblé le fonds de solidarité. Il s’agit-là de ceux renvoyés devant la justice, 49 049 autres faisant l’objet d’une régularisation amiable. L’autoentrepreneur de 37 ans en sweat à capuche rose répond d’une escroquerie, de deux tentatives et blanchiment des gains. Si, comme le confirme Pierre-Yves Biet, substitut du procureur à Meaux, « de nombreux prévenus optent pour une CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), il arrive que les faits soient trop graves » pour un « plaider-coupable ». En l’espèce, la gravité tient au cumul de délits, plus qu’au montant de la somme réclamée par le Trésor : 16 323 € détournés de juin à décembre 2020.

Prétendument à la tête d’un commerce de pièces automobiles, sans chiffre d’affaires depuis 2017 et dont la liquidation a été prononcée en mars 2022, Yohan ne nie rien : « Je m’étais préparé à l’idée de devoir rembourser. » Il explique à la présidente Isabelle Florentin-Dombre que, « père de famille, [il a] saisi une opportunité.

– Vous n’êtes pas le seul dans ce cas, mais expliquez-nous…

– C’est simple, le gouvernement a ouvert une porte et je me suis engouffré. J’étais dans une situation compliquée et, même si ce n’est pas une raison, j’ai saisi l’occasion. Je savais pertinemment que je me ferais attraper… »

« Je voyais cela comme un prêt de l’Etat »

 Poli et coopératif, Yohan ne semble pas mesurer les conséquences de ses actes, alourdis par le « cumul avec d’autres aides » qu’a justement pointé la Cour des comptes. Le substitut Biet révèle qu’il percevait le RSA, l’aide au logement, se dispensait de déclarations d’impôts et à l’Urssaf « tout en ayant interdiction de gérer une entreprise ! » Une punition qui l’a « un peu cassé », dit le prévenu. « Et dans ces circonstances, vous réclamez les aides Covid ? », s’indigne le représentant du parquet. « Je voyais cela comme un prêt de l’Etat », répond tranquillement Yohan.

Son casier judiciaire démontre en sus que l’idée d’exploiter le « système » n’a pas germé lorsqu’est survenue la pandémie. Dès 2015, il avait usurpé l’identité d’un tiers et, en 2017, il a écopé d’une amende de 8 000 € pour travail dissimulé dans un bar ouvert sans autorisation. La juge : « Et vous l’avez réglée ? » Yohan, sur le ton de l’évidence : « Non. » « Vous avez fait la démarche de négocier un échéancier ? », insiste M. Biet. « Non. » Il avait pourtant les moyens de s’en acquitter : sur son compte en Allemagne – il est interdit bancaire en France –, ont été saisis 11 494 €, dont 7 000 issus du blanchiment d’argent public. « Tout ne m’appartenait pas, objecte-t-il, une partie était à un client. » Mme Florentin-Dombre, un sourcil levé : « Donc, vous travailliez ? » L’homme, embarrassé : « Oui, un peu, pour quelques centaines d’euros… »

« On baigne dans la fraude fiscale et sociale ! »

 Le substitut est outré : « Cette escroquerie aggravée, via deux entités dont l’une radiée, peut vous valoir sept ans de prison. Profiter de la solidarité par de fausses déclarations est inadmissible. Votre casier porte déjà quatre mentions, le tribunal de commerce vous a interdit de gérer une société et vous a placé en faillite personnelle pendant cinq ans. On baigne dans la fraude fiscale et sociale ! » Il requiert 18 mois avec sursis, l’indemnisation de l’Etat (16 323 €), le paiement de la première amende et une seconde de 1 600 €, la confiscation de l’argent saisi. Avec exécution provisoire, c’est-à-dire maintenant, qu’il fasse ou non appel.

En défense, face aux courants contraires, Me Maxime Serverian avoue que « les bras [lui en] tombent » : « Reprenons nos esprits. L’accusation parle d’un délinquant d’habitude qui mériterait d’être dans le box ! Ce n’est pas le cas. Il ne minimise pas. En faillite personnelle, déjà le pire à ses yeux, on appuie alors qu’il est à terre. Il sait qu’il sera condamné, il veut travailler, rembourser. Une peine de 18 mois n’a aucun sens ».

Elle sera finalement réduite à 10 mois, avec sursis. L’argent est confisqué ; l’Etat sera remboursé. Yohan est satisfait. Il lui reste à trouver un accord avec le Trésor public pour échelonner sa dette globale.

Escroquerie aux « aides Covid » : « Le gouvernement a ouvert la porte, je me suis engouffré »
Me Maxime Serverian (Photo : ©I. Horlans)

 

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