Essonne (91)

La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis : de « 5 étoiles » à « paquebot déshumanisant » !

Publié le 09/05/2022
Prison
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En 1968, L’Express qualifiait très sérieusement la nouvelle prison de Fleury-Mérogis de « 5 étoiles ». Dehors, dans les rues, des milliers de jeunes manifestent pour la liberté. En plein mai 1968, les 500 premiers détenus arrivent dans ce qui est devenu le plus grand établissement pénitentiaire d’Europe.

La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis a été construite dans une période de grands projets immobiliers, notamment de nombreuses opérations de logements sociaux. Interrogé par Le Monde en 2008, l’architecte Augustin Rosenstiehl auteur avec Pierre Sartoux de Construire l’abolition (Urbs édition), consacré à cette prison, expliquait que « de la même façon qu’on inaugurait des grands ensembles d’habitation de 4 000 logements, on trouvait logique de concevoir une prison gigantesque avec 3 200 cellules » !

Elle est située dans le département de l’Essonne (91)sur un vaste terrain de 160 hectares à 25 kilomètres au sud de Paris. Le premier choix était Arpajon, mais faute de soutien de la population locale, c’est finalement le domaine de Plessis-le-Comte qui est retenu, avec sa faible densité de population.

Les raisons de ce projet sont multiples : d’abord, répondre aux besoins pénitentiaires portant sur les conditions de travail du personnel de surveillance, la vie en détention, l’accueil des visiteurs, mais aussi d’intégrer les évolutions technologiques et réglementaires.

Fin des années 1960, les maisons d’arrêt parisiennes sont saturées. « La moitié des 177 prisons françaises n’ont ni chauffage ni sanitaire. Celle de Bastia, date de 1515. Il n’y a que 24 000 « places » pour un effectif moyen de 35 000, solde des 120 000 entrants annuels. La moitié des condamnés ne reçoivent pas une affectation conforme à la nature et à la durée de la peine. Mais 145 maisons d’arrêt sont peuplées pour moitié de prévenus pas encore jugés – donc présumés innocents – mêlés à autant de condamnés à de courtes peines – présumés amendables. Et les suicides y sont trois fois plus élevés qu’en liberté. Surtout dans les cellules d’isolement », écrit le journaliste Jacques Derogy dans un article de L’Express du 29 avril 1968.

Le modèle français

Fleury-Mérogis devait servir de modèle pour les prisons françaises. Dans ses plans, la logique de géométrie et d’efficacité spatiale sont poussées à leur paroxysme. Une partie des fonctions de la prison sont également automatisées. « C’est perçu comme un pas en avant même si, dans l’esprit, on se situe dans la logique, déjà ancienne, qui remonte à la fin du XVIIIsiècle, du panoptique, détaille Augustin Rosenstiehl. L’idée, classique pour les prisons, est d’organiser la surveillance autour d’un point central qui permette de visualiser l’ensemble des cellules, sur 360 degrés ».

Cette fois-ci, c’est un panoptique dans le panoptique : des bâtiments à trois branches, organisés autour d’une rotonde centrale, hébergent les prisonniers.

L’architecte Guillaume Gillet, avec Pierre Vagne, Jacques Durand et René Bœuf ont été chargés du projet qui doit comprendre trois prisons (3112 hommes, 560 jeunes et 430 femmes), 712 logements, un mess et un stade (110 cadres, 520 gardiens et leurs familles) sur 120 hectares. Guillaume Gillet réalise d’autres commandes dans les années 1960 pour le ministère de la Justice et l’administration pénitentiaire, dont le centre de détention de Muret (Haute-Garonne).

La méthode de conception est significative de la période. Alliant des besoins d’économie et d’efficacité, « les travaux suivaient un process industriel avec le recours à des coffrages-tunnels, des sortes de caissons métalliques, autour desquels on coulait du béton », poursuit Rosenstiehl. En tout, les travaux ont duré quarante et un mois. « Mais comme on ne maîtrisait pas encore parfaitement ce matériau, le résultat s’est révélé très médiocre avec des performances techniques très limitées. Quinze ou vingt ans plus tard, le béton de la maison d’arrêt a commencé à se dégrader en profondeur ».

L’incompréhension de l’opinion publique

Le nouveau « confort » apporté à cet établissement provoque colère et incompréhension pour le grand public. Dans ce même article de 1968, titré : « La prison 5 étoiles de Fleury-Mérogis », Jacques Derogy raconte sa visite guidée dans la prison « flambant neuve » : « Dix mètres carrés équipés et meublés pour la traversée de l’épreuve selon les normes idéales d’une chambre en cité universitaire : un lit laqué à matelas Dunlopillo ; une chaise et une table en formica devant une baie cruciforme de quatre vitres ; un revêtement de sol plastique ; un panneau porte-photos sur un mur couleur chamois ; un placard de chêne avec cintres ; un coin toilette et sanitaire avec glace et prise rasoir ; un interphone avec branchement possible sur un programme radio ; un chauffage plancher ; un plateau-repas apporté par chariot comme dans un avion… » Plus loin, il écrit : « Les escaliers s’enroulent sans se rencontrer, comme à Chambord », osant la comparaison avec le célèbre château…

« Pas de mur d’enceinte, mais une ceinture de 2 km de bureaux et d’ateliers où seront chromés notamment les pare-chocs de DS ; pas de barreaux, sauf les barres horizontales qui protègent les panneaux ouvrants ; pas de nef centrale, mais des niveaux isolés les uns des autres ; pas de cours de promenade, mais des toits en terrasse et des terrains de sport. Et pas de bruits de clés dans les couloirs : placé au centre de trois enfilades en queue de billard, dans une sorte de cage d’écureuil, un seul surveillant commande d’un pupitre scintillant de lampes et de boutons l’ouverture des portes des cellules et peut communiquer avec chaque détenu. Pas de panne à redouter grâce aux groupes électrogènes ! », continue-t-il. Dans son article, le chef de cabinet du garde des Sceaux, Gérard David, considère ces « cabines de luxe » comme « mieux que [sa] turne [chambre sale et sans confort, NDLR] de la rue d’Ulm » !

« L’erreur de conception de Fleury-Mérogis – imputable au programme et non à l’architecture – est de passer d’un extrême à l’autre, remplaçant la promiscuité par l’isolement, l’exiguïté par l’immensité, la Cour des Miracles par le Meilleur des Mondes ! Malgré les 250 parloirs individuels, les 26 classes et la chapelle cinéma, les rapports humains risquent de se réduire à zéro », juge le journaliste. « Au lieu de confondre une fois de plus en un même lieu prévention et correction, n’aurait-il pas mieux valu implanter des petits établissements différenciés et spécialisés selon le nouveau découpage de la région parisienne ?, s’interroge-t-il. Il est vrai que dans dix ans, Fleury-Mérogis sera au centre d’une ville-satellite de 500 000 à 600 000 habitants. Et qu’il aura fallu trouver d’ici là un autre substitut à la Santé, promise à la pioche des démolisseurs ».

La démesure et l’insalubrité

Contrairement aux prédictions de Jacques Derogy, la commune de Fleury-Mérogis ne compte que 10 180 habitants en 2015 (selon l’INSEE), loin du demi-million annoncé. Quant à la prison de la Santé, elle n’a pas été démolie, comme nous le racontions dans un précédent article qui lui était dédié.

Cependant, « très rapidement, l’administration pénitentiaire s’est rendu compte qu’elle avait généré un monstre, analyse Augustin Rosenstiehl dans Le Monde. Elle n’a d’ailleurs plus construit de prisons de cette taille. Humainement, Fleury-Mérogis est invivable dans la mesure où, parfaitement géométrique, elle n’offre aucune possibilité de rupture, de désordre et très peu d’activités. Ajoutez à cela la surpopulation et l’insalubrité et vous avez le résultat actuel. Et comme les bâtiments sont conçus en un seul bloc, les rénovations se révèlent complexes et très coûteuses ».

Début des années 1990, l’amiante oppose syndicats et administration. En 1995, Libération titre : « Fleury-Mérogis prisonnier de l’amiante. Une polémique sur l’existence de cas de cancer trouble le centre pénitentiaire ». Deux ans plus tard, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST, Sénat) d’Henri Revol affirme : « Au total, la maison d’arrêt de Fleury-Merogis, bâtiment terminé en 1968, ponctuellement défloquée de 1978 à 1995 (pour 10 000 m2), devrait être totalement défloquée au mois de juillet 1997. Commencés en juillet 1995, les travaux actuels portent sur le centre des jeunes détenus et sur la maison d’arrêt des hommes ».

Durant la décennie suivante, les toits-terrasses et les façades sont en très mauvais état. Décision est prise de lancer un projet de rénovations avec élargissement du bâtiment. En 2014, 369 places sont livrées. Entre 2005 et 2016, la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis suit un programme de rénovation des bâtiments centraux, des bâtiments d’hébergement et de leur extension : installation de douches individuelles dans les cellules, création de services supports (accueil des familles, parloirs, greffe et écrou, locaux de formation, ateliers, équipements sportifs, unité de soins, cuisines…), les postes de contrôle sont aussi totalement repensés. Tout a été mené sans fermeture et en s’adaptant aux contraintes pénitentiaires.

« La construction a été une aventure, la restructuration une épopée, la directrice de l’établissement depuis 2015. Trois directeurs ont suivi cette lourde programmation, le tout en site occupé. Ce fut un chantier remarquable, mais à Fleury, on ne fait rien comme ailleurs », témoignait Nadine Picquet, directrice de l’établissement de 2015 à 2020 et première femme à avoir occupé ce poste, dans Le Parisien.

« Malgré ces contraintes, les architectes en charge de cette réhabilitation ont pris soin de préserver, mais aussi de valoriser, l’esprit de la construction initiale. Un important travail a été fait par exemple pour faire pénétrer la lumière. Le cœur de l’établissement, appelé la rotonde, est une illustration de cette rénovation architecturale réussie », peut-on lire sur le site du ministère de la Justice.

2018, les cinquante ans

Critiquée lors de sa construction pour son « luxe », Fleury-Mérogis n’a rien de splendide lors de son cinquantenaire. Nolwenn Cosson, journaliste au Parisien, parle même d’un « paquebot déshumanisant » dans un article publié en 2019. « À aucun moment l’idée de raser pour reconstruire nous est venue, assurait alors Laurent Ridel, directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris. Nous avons apporté des améliorations, comme des douches dans chaque cellule, mais Fleury est un chef-d’œuvre en termes d’architecture carcérale. C’est une structure remarquable qui s’inscrit dans l’époque et une réussite intemporelle ».

Unique en son genre, la prison de Fleury-Mérogis devait être un modèle, mais a vite été rattrapée par la surpopulation. Selon les sources, la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis devait accueillir entre 2 750 à 2 850 personnes. D’après les chiffres de l’Observatoire international des prisons, le quartier des hommes comptait au 1er janvier 2022, 3 362 personnes hébergées pour une densité carcérale de 129,4 %, 191 personnes dans le quartier des femmes et 95 dans le quartier des mineurs hommes.

Fleury, « c’est la pire que j’ai vue », déclarait Éric Sniady, ancien braqueur et militant de l’Observatoire international des prisons (OIP), qui a passé 30 ans dans les prisons françaises à l’AFP. Disproportionnée, elle a vu passer de nombreux détenus célèbres comme Jacques Mesrine, Madame Claude, Michel Fourniret.

Longtemps considérée comme « la prison dont on ne s’évade pas », elle a cependant connu plusieurs évasions. La première date de 1981. Gérard Dupré et Daniel Beaumont se font la malle en hélicoptère…

« Fleury est hors-norme. À l’époque on pensait sortir les prisons des centres-villes, aujourd’hui on veut créer des structures plus petites, plus ouvertes, au cœur de la ville pour favoriser la réinsertion », expliquait alors la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) à l’AFP, soulignant que « le mythe de la prison idéale change en fonction des époques ».

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