Seine-Saint-Denis (93)

La rafle du Vél’ d’Hiv’ : les Franciliens se souviennent

Publié le 21/07/2022
La rafle du Vél' d'Hiv' : les Franciliens se souviennent
L’exposition « C’est demain que nous partons. Lettres d’internés, du Vél’ d’Hiv’ à Auschwitz » au Mémorial de la Shoah de Drancy (93), jusqu’au 22 décembre 2022. Entrée gratuite

Entre les 16 et 17 juillet 1942, plus de 13 000 personnes sont arrêtées dans les rues de Paris et menées au camp de Drancy (93) et au stade du Vélodrome d’Hiver, d’où elles seront déportées vers Auschwitz. Une opération orchestrée avec minutie par la préfecture de police. C’était il y a 80 ans et l’Île-de-France n’a pas oublié.

La première chose que l’on remarque, au 14 rue de Bretagne dans le quartier du Marais à Paris, c’est l’impressionnant immeuble Art déco aux têtes sculptées semblant monter la garde. Au rez-de-chaussée, le café branché vend son café bio allongé à 3 euros. Près de l’entrée, un parking où l’on peut laver son véhicule. Dur de croire qu’il y a 80 ans, c’est ici que furent concentrées, avant d’être envoyées par bus au Vél d’Hiv’, les habitants du IIIe arrondissement parisien – en majorité des femmes et des enfants – arrêtés au tout petit matin, parce qu’ils étaient juifs. Une survivante de la rafle, Annie Beker, avait raconté à l’historien, Laurent Joly (spécialiste de l’étude de l’antisémitisme par le régime de Vichy) que, repassant devant l’immeuble pour trouver refuge chez ses parents, une fois les agents passés à son domicile, elle avait été saisie par « des hurlements comme on en entendait naguère dans les salles d’accouchement », des « hurlements » qui s’élevaient « jusqu’aux cieux ».

Les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 hommes et femmes juifs installés en région parisienne, dont environ 4 115 enfants, sont arrêtés par la police parisienne, massivement mobilisée grâce au zèle de plusieurs hauts fonctionnaires de la préfecture de police. Une partie (les hommes seuls) est envoyée directement au camp de Drancy (93), la plupart (notamment les familles avec enfants) est enfermée plusieurs jours dans des conditions sanitaires déplorables, au sein du Vélodrome d’Hiver (le Vél’ d’Hiv’), seul bâtiment capable de recevoir un tel nombre de personnes. Après un bref transfert vers des camps de transit dans le Loiret (7 600 à 7 800 seront acheminés vers les camps de Beaune-la-Rolande et Pithiviers), presque tous finissent déportés à Auschwitz. Moins de cent adultes reviendront, tous les enfants sont assassinés dès leur arrivée.

Paris a été particulièrement touchée par la persécution nazie à l’égard des juifs, car c’est en région parisienne que se concentrait la majorité des personnes de confession juive à l’époque et que c’est vers Paris que nombre de réfugiés avait trouvé secours, quand les persécutions les ont chassés d’Union soviétique, d’Allemagne ou d’Autriche. En 1933, sur les 330 000 personnes juives vivant en France, 200 000 vivent dans le département de la Seine. La préfecture a déterminé un nombre de personnes à arrêter, des juifs étrangers, symbolisés par des fiches : le XXe (4 378), le XIe (4 235), et le IIIe arrondissement (2 675) concentrent le plus de population. Si chaque école de Paris rappelle que des petits élèves ont été victimes de la rafle, aucune plaque ne commémore l’histoire du 14 rue de Bretagne, comme tous les centres de rassemblements d’arrondissement d’ailleurs. En 1959, le site du Vélodrome d’Hiver est détruit sans véritable polémique à l’époque : il faut construire le Paris de l’après-guerre. Jusqu’à 2016, un petit jardinet du souvenir rappelait son emplacement, rue Nélaton, dans le XVe. S’y recueillaient régulièrement des survivants, d’anciens enfants qui étaient parvenus à tromper les gardes pour s’enfuir, laissant derrière eux leurs mères. Un projet immobilier a déplacé ce lieu de la mémoire un peu plus loin, près du métro Bir Hakeim. Le jardin mémorial des enfants du Vél’ d’Hiv’, composé de plantes grimpantes (clématites) et de vivaces (carex, iris, pulmonaria), symboles de persistance, a été créé à l’initiative de Serge Klarsfeld et de la Commission du Souvenir du CRIF, le 16 juillet 2017 avant d’être cédé à la Mairie de Paris en 2019. Il accueille un mur du souvenir où sont inscrits les noms et les âges des 4 115 enfants raflés les 16 et 17 juillet 1942.

• Plus d’informations concernant le Mémorial de la Shoah de Drancy sur https://drancy.memorialdelashoah.org/

Un épisode noir

C’est en mémoire de la rafle qu’en 1993, François Mitterrand choisit de faire du 16 juillet la Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite « gouvernement de l’État français » (1940-1944). Une journée qui, en 2000, devient la « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français », ainsi que la « Journée d’hommage aux « Justes » de France ». Car il faut aussi savoir que l’histoire de la rafle est aussi l’histoire d’un échec pour le régime de Vichy : seules 27 % des personnes fichées ont été arrêtées lors de cette rafle. D’abord, parce que certains ont tiré profit de cette fameuse concentration. Comme le dit Laurent Joly dans un article : « Ils ont emmené votre maman et votre petite sœur… La grande rafle du 16 juillet 1942, à l’échelle d’un quartier du IIIe arrondissement de Paris, là où les juifs sont les plus concentrés, dans les mêmes rues, immeubles ou appartements voisins, ils ont pu davantage échanger des informations, être alertés et s’entraider. 29 % des juifs visés ont été trouvés alors que, redisons-le, il s’agit de l’un des plus petits arrondissements de la capitale ; le taux d’échec le plus élevé (79 %) étant justement dans l’arrondissement le moins étendu, le II» ! Il cite dans son article le cas particulier de la rue des Immeubles-Industriels, tout près de la place de la Nation, où la population (des ouvriers tisserands pour beaucoup) avait pu anticiper la rafle et avait été protégée par la population non juive du voisinage.

Beaucoup de personnes se sont révélées être des Justes, ce jour-là. Des concierges, des voisins, des passants, des employés, des cafetiers, des boulangers, des inconnus. Si l’immense majorité des policiers et gendarmes ont fait ce qui leur avait été demandé à ce moment-là, voire ont procédé avec zèle aux arrestations, certains ont décidé soit de faire le minimum (ne pas repasser à un appartement, ne pas défoncer une porte), soit de désobéir. C’est le cas par exemple de l’inspecteur Roger Lanier, de Courbevoie, qui connaissait une famille de travailleurs juifs polonais, les Taklender. Le jour de la rafle, il est allé les chercher pour les protéger dans son immeuble jusqu’à la Libération. Il va également ravitailler d’autres réfugiés dans la région. Même chose pour Alfred Le Guellec – commissaire de police dans le XIIe arrondissement – et son épouse Augustine, qui vont sauver plusieurs personnes.

Le Mémorial de la Shoah commémore dignement la rafle

De l’extérieur, on dirait une petite gare comme il en existe des centaines en France. L’ancienne gare de voyageurs de Pithiviers. Une jolie bâtisse flanquée d’une horloge où se décomptent les heures et les minutes, quelques portes-fenêtres arrondies donnant sur la voie ferrée. C’est de là que partirent les six convois qui menèrent les enfants du Vél’ d’Hiv’ à leur destination : la gare est située à quelques dizaines de mètres de l’ancien camp d’internement de Pithiviers, détruit dans l’immédiate après-guerre. En partenariat avec la SNCF, qui comme dans bien des gares avait déjà installé une plaque pour rappeler sa participation au génocide, le Mémorial de la Shoah a décidé de créer un tout nouveau lieu de mémoire, non loin du centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement du Loiret, basé à Orléans. Ses 400 m2 d’exposition permanente revenant sur le rôle des gares de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande dans l’internement et la déportation des juifs de France auront pour enjeu essentiel la transmission de la mémoire aux générations futures.

Le Mémorial de la Shoah, plus grand centre d’archives en Europe sur l’histoire de la Shoah, installé rue Geoffroy Lanier à Paris, a décidé de multiplier les moyens de perpétuer la mémoire de cette rafle, qui fut une catastrophe humaine, politique et historique. Le musée a ainsi décidé d’exposer jusqu’au 7 novembre 16 dessins de Cabu, l’une des 12 victimes de l’attentat djihadiste du 7 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie Hebdo, datant de 1967 et illustrant la rafle. Des dessins très touchants, en noir et blanc. « Il faut qu’ils soient vus par le plus grand nombre, pour que les gens comprennent ce qu’a été la rafle du Vél’ d’Hiv’ dont nous ne possédons qu’une seule photographie aujourd’hui. La grande force du trait de Cabu c’est de réussir, en un coup d’œil, à transmettre l’horreur de cette tragédie », ont expliqué Laurent Joly et Véronique Cabut, la veuve du dessinateur.

C’est à un autre artiste bien connu des Parisiens que le Mémorial a décidé de confier un travail de mémoire particulièrement touchant, à l’occasion de la commémoration de la rafle. Il a invité le street artist C215, Christian Guémy de son vrai nom, connu pour ses pochoirs colorés disséminés un peu partout dans Paris, dont celui de Simone Veil, elle aussi victime de la barbarie nazie. Sa mission ? Représenter les 11 400 enfants victimes de la Shoah en France, montrer qui ils et elles étaient. L’artiste a choisi parmi eux 14 enfants « qui vivaient entre l’Île Saint-Louis et la rue des Archives, la rue Pavée ou la rue Beautreillis, qui allaient à l’école, rue des Hospitalières Saint-Gervais ou rue des Tournelles, qui ont été brutalement arrachés à leur quotidien d’enfant ». Les portraits seront disseminés dans toutes les rues du quartier et les pochoirs exposés dans le musée jusqu’au 1er décembre 2022. Ils ont été pensés sur la base de photographies rassemblées par Serge Klarsfeld et l’association des Fils et Filles déportés Juifs de France, qui sont à présent préservées dans les collections du Mémorial de la Shoah.

Les deux expositions permettent d’ailleurs aux visiteurs de se balader dans un lieu de la mémoire particulièrement riche, avec une exposition permanente immersive racontant l’histoire des juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour les chercheurs, les archives comptent 50 millions de pièces d’archives et 1 500 archives sonores, 350 000 photographies, 3 900 dessins et objets, 12 000 affiches et cartes postales, 30 000 documents cinéma, 14 500 titres de films, dont 2 500 témoignages, 80 000 ouvrages.

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