Le droit français peut-il réprimer la nouvelle délinquance issue de l’intelligence artificielle ?

L’apparition d’une nouvelle délinquance issue de l’intelligence artificielle a obligé plusieurs États à adapter leur législation. Des procédés innovants susceptibles de modifier une image ou d’altérer la réalité ont posé de nouvelles problématiques juridiques. En France, l’existence d’un article prohibant toute représentation illicite permet de sanctionner ces dérives.
Le 28 octobre 2024, un ressortissant britannique a été condamné à 18 ans d’emprisonnement pour avoir vendu sur internet des photographies d’enfants dont le caractère pédopornographique avait été créé par l’intelligence artificielle.
Cette condamnation a suscité des interrogations quant à la consécration d’une nouvelle forme de délinquance et d’une criminalité virtuelle. En réalité, cette décision n’a rien de novateur dans la mesure où des juridictions américaines ou coréennes ont prononcé des condamnations pour des affaires strictement identiques.
Ce positionnement n’a d’ailleurs rien de surprenant puisque l’intervention de procédé pour modifier la réalité a toujours existé. Ce que l’on qualifie de procédé innovant via l’intelligence artificielle n’est finalement qu’une évolution de la technologie permettant de modifier ou altérer la réalité.
Aucune décision d’une juridiction française n’ayant fait l’objet d’une publication à notre connaissance dans ce domaine, il convient de s’interroger sur le fait de savoir si les textes législatifs permettraient que soit prononcée une condamnation similaire en France.
Selon l’article 227-23 du Code pénal, « le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Lorsque l’image ou la représentation concerne un mineur de quinze ans, ces faits sont punis même s’ils n’ont pas été commis en vue de la diffusion de cette image ou représentation.
Le fait d’offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l’importer ou de l’exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsqu’il a été utilisé, pour la diffusion de l’image ou de la représentation du mineur à destination d’un public non déterminé, un réseau de communications électroniques ».
Le terme de « représentation » permet immédiatement de comprendre que le droit français a souhaité appréhender cette infraction dans son acception la plus large, le support semblant indifférent à caractériser le délit. Dès lors, il est incontestable qu’une image modifiée ou créée par une intelligence artificielle serait susceptible d’entraîner une condamnation pénale.
Il semble également que le développement de ce procédé n’ait pas davantage d’incidence au niveau de l’enquête ; la seule question qui pourrait se poser serait la difficulté pour les enquêteurs de déceler une image réelle modifiée parmi des images qui ne seraient que des créations de l’intelligence artificielle.
La caractérisation de cette infraction étant indifférente à l’existence d’enfants ayant véritablement subi des actes de nature sexuelle, cette distinction n’a pas à être prise en considération par les enquêteurs.
La Cour de cassation a eu l’occasion d’étendre, s’agissant d’un manga, l’objet du délit « à toute représentation d’un mineur, les images non réelles représentant un mineur imaginaire, telles que des dessins ou des images résultant de la transformation d’une image réelle »1.
Ce positionnement de la Cour de cassation vient ériger le principe que l’essence de cette infraction est de condamner l’atteinte à l’image d’un enfant et non l’existence d’un enfant ayant subi une atteinte.
La tentation pourrait être grande de faire une différence entre la fiction et la réalité au stade de la sanction. Pourtant, la juridiction suprême semble refuser d’introduire une possible différence dans l’appréciation de la gravité du comportement entre des images réelles mais modifiées et des images intégralement créées, affirmant ainsi le caractère totalement autonome de ce délit qui ne saurait ainsi être en lui-même un accessoire d’autres infractions commises à l’encontre de mineurs (traite des êtres humains, viols et agressions sexuelles sur mineurs…).
La question de la responsabilité des entreprises gérant les plateformes permettant l’échange de tels contenus reste posée. La responsabilité pénale des personnes physiques et morales peut d’ores et déjà être engagée. En effet, les entreprises ont l’obligation générale de surveiller les contenus diffusés sur leur plateforme et doivent mettre en place des dispositifs permettant de lutter contre ces contenus illicites sur le fondement de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Toutefois, des difficultés ne manqueront pas d’apparaître dans la mesure où ce type d’agissements répréhensibles sont susceptibles d’impliquer des entités basées dans différents pays. Il pourrait être ainsi opportun de renforcer les accords entre les pays en vue de lutter contre ce type de comportement sur internet afin de pouvoir lutter plus efficacement contre ces contenus.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. crim., 12 sept. 2007, n° 06-86.763.
Référence : AJU016s6
