Les affaires criminelles de l’Essonne : maricides et acquittements

Publié le 11/12/2024

Au début du XXe siècle, à deux ans d’écart, deux affaires vont aboutir à l’acquittement de deux femmes ayant tué leur mari respectif. Lucie Vaudard et Fernande Barfus ne se connaissaient pas mais elles ont connu un parcours similaire : d’abord victimes de violence conjugale, puis meurtrières et finalement acquittées. Un siècle après ces deux procès, la question se pose toujours : faut-il reconnaître la légitime défense des victimes tuant leur bourreau ?

En avril 1925 se tient le procès de Fernande Barfus aux assises de Seine-et-Oise. Les faits remontent au mois de janvier. Jaloux, le mari de Fernande avait cherché à la tuer, armé d’un couteau. Mais Fernande ne se laisse pas faire et lui tire dessus à coups de revolver et fusil. Lors des aveux, elle dit « en avoir eu trop vu depuis dix années ». Le journal Excelsior précise qu’en 1917, Fernande Barfus « avait introduit une instance en divorce » mais qu’« elle ne donna pas suite à cette procédure, son mari ayant menacé de tuer leur petit garçon, Fernand, si elle le quittait ».

Deux ans plus tard, c’est à Lucie Vaudard de faire face à la justice française après le meurtre de son mari. Elle aussi est jugée au sein de la cour d’assises de Seine-et-Oise. Le Petit Parisien du 20 novembre 1927 relate : « Dès le début de son mariage, elle fut malheureuse. Ce fut pis encore lorsque son époux apprit qu’elle allait être mère pour la deuxième fois. À partir de ce jour, ce furent des scènes ininterrompues, au cours desquelles Vaudard battait sa compagne jusqu’à lui faire perdre connaissance. » En attente de divorce, elle continuait d’être battue. « Un jour vint où elle perdit patience, acheta un revolver. Le soir même, Vaudard lui annonça qu’il la tuerait, ainsi que son enfant. […] Lorsque l’homme, qui avait bu peut-être plus que de coutume, s’endormit du sommeil de l’ivresse, elle prit l’arme et, à bout portant, la déchargea sur son bourreau. »

Deux acquittements

Le couple Campinchi s’occupe de la défense de Fernande Barfus, tandis que c’est Me Pierre de Bussac qui plaide pour Lucie Vaudard. Pour les deux affaires, la défense obtient l’acquittement de leur cliente. Pour Fernande Barfus, Me Campinchi réalise « une brillante plaidoirie » d’après le journal Excelsior du 30 avril 1925, emportant l’acquittement de sa cliente.

En 1927, Le Petit Parisien écrit : « Avec une chaleureuse éloquence, le défenseur Me Pierre de Bussac, plaide l’acquittement de Lucie Vaudard, meurtrière par amour maternel, contre laquelle, au cours des débats, aucune critique n’a été apportée. Pas un seul témoin à charge n’a paru à la barre. L’opinion du jury est faite. Il rapporte, après quelques minutes de délibération le verdict de pitié que l’on attendait de lui. La salle applaudit. »

Ces deux acquittements, séparés de deux années seulement, laissent à penser que les victimes de violences conjugales bénéficieraient d’une présomption de légitime défense dans le cas de maricides. Cent ans après, la question est pourtant loin d’être résolue. Pour preuve, Jacqueline Sauvage a été condamnée en 2024 à dix ans de réclusion criminelle pour des faits similaires, avant de bénéficier d’une grâce présidentielle ; tandis qu’Alexandra Lange, qui avait tué son mari d’un coup de couteau alors qu’il l’étranglait, a été acquittée en 2012.

La légitime défense, toujours en débat

Dans un article de janvier 2020 sur le site Slate.fr, la journaliste Rozenn Le Carboulec s’interroge : « Violences conjugales : faut-il reconnaître la légitime défense des victimes tuant leur conjoint ? » Le droit français peine, dit-elle, à « prendre en compte cette réalité », selon laquelle « près de la moitié des femmes autrices d’homicide sur leur partenaire avait subi des violences antérieures de sa part ». En effet, en droit français, les conditions d’application de la légitime défense sont strictes, selon l’article 122-5 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction. »

Des chercheuses en droit et en études de genre, mais aussi des activistes plaident alors pour que les critères de cette légitime défense soient revus afin de pouvoir répondre aux cas spécifiques des maricides par des personnes victimes de violences conjugales, comme au Canada. Dans l’article 34 de son Code criminel sont ainsi mentionnés « la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause », ou encore « la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident ».

En France, la proposition de loi « visant à instaurer une présomption de légitime défense pour violences conjugales », déposée par la députée Les Républicains, Marine Brenier, en septembre 2019 n’a pour le moment pas abouti.

Selon la juriste et chercheuse Catherine Le Magueresse, citée par Rozenn Le Carboulec, une autre solution pourrait consister à appliquer la notion de contrainte présente dans le Code pénal : « Pour l’instant, ça n’a jamais été fait dans la jurisprudence. Il faut que les avocats des victimes s’emparent de cette question et mettent en avant l’historique des violences, pour montrer que, pour celle qui a commis ce geste, il n’y avait pas d’autre issue. Elle était contrainte, pour sa sécurité, de passer à un acte violent à l’encontre de l’agresseur ».

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