Lourdes sanctions pour « un déferlement de violences » à la prison de Meaux-Chauconin
Le 17 juillet 2023, dans la cour de promenade du centre pénitentiaire de Meaux (Seine-et-Marne), sept détenus se sont acharnés à coups de pied et poing sur Arnaud, un prisonnier âgé de 33 ans. Ils l’ont « laissé KO » au sol, ses blessures entraînant une incapacité totale de travail (ITT) de 21 jours. Les agresseurs ont été sévèrement condamnés le 29 août.

Ce lundi, l’audience en chambre correctionnelle débute avec une heure de retard. « Par courtoisie », que salue l’avocat Jean-Christophe Ramadier, la présidente Isabelle Verissimo a accordé un délai au vice-bâtonnier désigné pour représenter six prévenus. Ses confrères se sont désistés, l’un d’eux en matinée ! Il bénéficie de 60 minutes pour échanger avec ses clients, tenter de comprendre ce qu’il leur est passé par la tête dans l’après-midi du lundi 17 juillet. Ils devaient répondre des violences en réunion et en récidive le 25 du mois en comparution immédiate mais Djahbarry, 28 condamnations à 26 ans, voulait un délai afin de préparer sa défense. Faute de disjonction, tous ont été réincarcérés, et enfermés au quartier disciplinaire (QD).
À 14 h 30, les six font leur entrée dans le box, l’air passablement agacés sous bonne escorte. Le septième, un jeune fluet au teint terreux, arrive menotté dans la salle, encadré par quatre agents de la direction pénitentiaire. Bien qu’aussi isolé au QD, il est la cible de menaces. Son conseil, Me Antoine Renet, va réclamer son transfert cette semaine.
Devant les sept hommes, une télévision dont ils ne voient que le verso, les fils de raccordement. Sur l’écran face aux magistrats, apparaît Arnaud, la victime, en visioconférence depuis l’établissement carcéral. On distingue une attelle au majeur de sa main gauche.
« Le plat du pied sur sa tête pour l’écraser »
Le rapport des faits est étayé par les images de vidéosurveillance. La scène horodatée commence à 16 h 37 et s’achève deux minutes plus tard. Arnaud, qui sort de sa séance de boxe, est assis sur un banc. Surgit le Malien Djibril, 21 ans : il salue de trois “checks” des amis et fonce sur la victime. Coups de genou, de poing. David, Brésilien de 33 ans, Mouddathir, Soudanais de 22 ans, se pointent en renfort. L’acharnement est tel qu’Arnaud titube, tombe. Se joignent à la mêlée le Guadeloupéen Jean-Bernard, 22 ans, le Seine-et-marnais Maher, 24 ans, l’Ivoirien Djaffar, 22 ans, et Djahbarry, le jeune aux 28 condamnations qui a retardé la tenue du procès. Arnaud s’échappe, est rattrapé, Jean-Bernard lui assène « un coup de latte », selon les mots de la procureure. Ultime image : Arnaud gît au sol. Les gardiens accourent et le médecin est alerté. Ainsi se résume l’affaire selon la vidéo que la police et le surveillant chef ont étudiée, lequel a formellement identifié les sept mis en cause. Reste à savoir ce que ceux-ci admettent, ou pas.
Djibril, tout en muscles : « Je reconnais totalement l’infraction. »
David, baraqué, chauve, agressif : « J’ai frappé jusqu’à ce qu’il soit KO. Je m’en veux. »
Mouddathir, chignon haut perché : « J’ai tenté de les séparer. Arnaud m’en a mis une et là, j’ai vu tout rouge. »
Jean-Bernard, costaud en survêtement : « J’assume un coup de latte quand il était au sol. »
Maher, le chétif hors du box : « Le plat du pied sur sa tête pour l’écraser, je n’en suis vraiment pas fier. »
Djaffar, petit, trapu : « Je conteste tout ! On est une cinquantaine de Noirs dans la cour, les surveillants nous confondent tout le temps. »
Djahbarry, longues tresses nouées d’un ruban blanc, survolté : « J’ai porté zéro coup ! Si des coups de mes pieds sont partis (sic) c’était involontaire. »
« Ils m’ont bien calculé avant de me tomber dessus »
Du mitard, Djibril a écrit une lettre d’excuses à Arnaud, et se dit « prêt à le dédommager ». David regrette, convient que « s’il était mort, ben ça aurait été grave ». Mouddathir intime la juge « de repasser la vidéo pour prouver [son] innocence ». Jean-Bernard juge son geste « inexplicable ». Maher est « sincèrement désolé », entend « assumer les conséquences » : « Je n’ai rien contre Arnaud, j’ai suivi le mouvement de foule. » Puisqu’ils répètent ne pas avoir pris part au passage à tabac, Djahbarry et Djaffar se taisent. « Si je n’ai rien fait, je ne m’excuse pas », plaidera Me Ramadier.
Ceci posé, tentons de comprendre le mobile. En préambule des débats, du parloir équipé pour la retransmission, la victime a indiqué penser que « le règlement de comptes a été commandité » par un certain S. qui, deux jours auparavant, l’avait accusé « de trop reluquer sa femme » lors d’une visite. « Il m’a dit : “Ça va se régler en promenade.” Lundi, ils m’ont bien calculé avant de me tomber dessus. » Problème : S. est absent : « On n’a pas réussi à prouver son implication », révèle la procureure Zoé Debuse. La bande se serre les coudes. Ses motivations demeureront secrètes. Tout juste est-il question d’insultes proférées par Arnaud, d’une menace envers Djibril : « Il a promis de me trouer, indique celui-ci, mais c’est plus profond… » On n’en saura pas plus.
Seules les blessures constatées à l’unité médico-judiciaire ne soulèvent pas de questions : abrasions et hématomes sur le corps, le visage, œil au beurre noir, ecchymoses en nombre, contusions au crâne, et fracture déplacée du majeur justifiant l’attelle portée depuis 43 jours. Le médecin a évoqué « des séquelles psychologiques à évaluer ». L’avocate qu’il a désignée ne s’étant pas présentée, Arnaud se sent seul. Il finit par se constituer partie civile et sollicite 5 000 € pour son « préjudice physique ».
Sept détenus en déshérence absolue
Confrontée à l’absence de mobile sérieusement établi, faute d’explications convaincantes, Isabelle Verissimo va mener une instruction orale de cinq heures, soutenue par un interrogatoire minutieux du parquet ; en vain. La personnalité de chacun peut-elle contribuer à y voir plus clair ?
Djibril, 1re arrestation après l’obtention de son baccalauréat et depuis, sept condamnations pour violence et trafic de stupéfiants : « Parcoursup ne m’a pas offert de place en fac alors j’ai choisi la facilité, le deal. » Il veut étudier et se marier. Sa fin de peine est fixée au 25 novembre. David, 24 mentions au casier judiciaire (CJ), 21 condamnations (stups, violences) a une fille et un CAP, son chef hôtelier l’attend. Mouddathir, six fois sanctionné (stups, outrages), est « le seul de [sa] famille qui n’a pas obtenu le statut de réfugié en arrivant du Soudan en guerre, sans raison ». Son dossier est à l’étude. « Je sais rien faire à part trafiquer. » Jean-Bernard, six condamnations pour drogue et violence envers un policier, a un père mort, une mère hébergée par le Samu social, « des petits frères à nourrir », pas de visite depuis deux ans : « Je crois que ma mère m’a oublié. » Maher, incarcéré en 2022 pour les mêmes faits que ses codétenus, travaille depuis ses 16 ans : « Je devais être libéré en février 2024, m’installer avec ma copine, trouver du boulot, c’est pas ce qui manque ! » Djaffar, condamné à six reprises pour trafic de drogue et proxénétisme, est sous OQTF (obligation de quitter le territoire) et doit quitter la prison en novembre 2025. Enfin, Djahbarry, on l’a écrit, a 28 inscriptions au CJ. Il a commis presque tous les délits répertoriés dans le Code pénal. Deux ex-femmes, deux enfants, une amie : « Cette année, ça se passe très, très mal en détention ». Comme la plupart des autres, il a fait appel à un psychologue, qu’il n’a jamais pu rencontrer…
Ces sept-là, en déshérence absolue, sont prisonniers d’un engrenage fatal.
« Le huis clos terrible de la prison, de la courette, du box »
La procureure Debuse les considère néanmoins « chanceux : Monsieur N. n’est pas mort ». Cette affaire, rarissime de l’avis de tous les intervenants, est « aggravée par la commission en détention, en récidive légale, et par le déferlement de violences. Et peu importe le motif ! La prison n’est pas une zone de non-droit ». Elle redoute « les risques pris par la victime » qui, en déposant plainte, a reconnu sur planches photographiques les sept, « et je ne pense pas qu’il dénoncerait des innocents. Ce serait trop dangereux ». Par conséquent, elle requiert de lourdes peines, trois ans ferme à l’encontre de Djibril et David, 18 à 24 mois pour les cinq autres, avec un maintien en cellule.
En défense de Maher à la pâleur exsangue, Me Antoine Renet, du barreau de Melun, s’étonne qu’il ait pu attaquer Arnaud, lui qui « n’a pas commis de violences depuis 2016 ». Il le connaît et s’interroge : « Je ne suis pas psy mais je crois cette agression liée aux conditions de détention. Pourquoi se mêler d’une rixe sans connaître la victime ? Parce qu’il vit dans un monde de violence. » Me Renet espère une peine mixte.
Son confrère Jean-Christophe Ramadier insiste à son tour « sur le huis clos terrible de la prison, de la courette de promenade, du box où ils sont six à devoir montrer qu’ils n’ont pas la trouille, alors qu’ils ont peur, à faire le flambard. En détention, il faut avoir la plus grande gueule sinon on se fait tabasser. C’est un monde de désespoir dont les victimes sont autant les surveillants assis là ». Ce contexte peut expliquer l’origine de l’agression. Me Ramadier regrette que le pseudo-commanditaire soit absent et le blessé en visioconférence quand, face à eux, il aurait peut-être innocenté Djaffar et Djahbarry, qui nient. « Certains désespèrent de voir un psychologue, ils ont des perspectives, l’un dit que sa mère l’oublie et on requiert de lourdes peines “pour envoyer un signal” ? Mais quel signal ? On crée juste un peu plus de désespoir ! J’aimerais que vous envisagiez un aménagement des peines », conclut l’avocat.
En début de soirée, les conseils sont partiellement entendus. Tous écopent de détention ferme mais le jugement est modéré au regard du réquisitoire. Maher, Djaffar, Jean-Bernard : 15 mois. Djahbarry, Mouddathir : 20 mois. Djibril, David : 28 mois. Ils verseront solidairement 2 800 € à Arnaud. Les sept condamnés semblent soulagés. Ils n’interjetteront pas appel.

Référence : AJU386876
