Yvelines (78)

Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy : les conditions de détention de plus en plus difficiles depuis son ouverture

Publié le 13/04/2022
Prison
Azaliya (Elya Vatel)/AdobeStock

Les Yvelines comptent trois établissements pénitentiaires : une maison centrale et deux maisons d’arrêt. La maison d’arrêt de Bois-d’Arcy est la plus récente des trois, elle a été inaugurée en 1980. « Finie l’époque des grandes unités comme Fleury-Mérogis (4 600 prisonniers pour 3 600 places) ! La politique pénitentiaire est revenue à des normes plus raisonnables », se félicitait Michel Bole-Richard, journaliste du Monde dans l’édition du 31 janvier 1980. Trente ans plus tard, force est de constater que l’histoire de cette prison est surtout marquée par ses dysfonctionnements.

Conçue par le cabinet d’architectes Andrault et Parat, la prison du Bois-d’Arcy s’inscrit dans une volonté de désencombrer Fleury-Mérogis et de faire face à la surpopulation carcérale. En 1980, les services de l’administration pénitentiaire prévoyaient 40 000 détenus pour la fin de l’année. Ce nouvel établissement promettait de disposer de 594 places, dont 126 pour les jeunes détenus, avec une capacité pouvant aller jusqu’à 1 497 prisonniers. Plus de trente ans après, les quartiers de détention pour hommes ont une densité carcérale de 176,5 %.

Située au numéro 5 bis de la rue Alexandre-Turpault au nord, l’établissement est enclavé dans la forêt domaniale. Au premier étage, une unité de mineurs est ouverte. Elle ferme en 2008. L’année 2016 marque ensuite la construction puis l’ouverture d’un quartier de semi-liberté.

De vives oppositions

Dans Prisons des villes et des campagnes, étude d’écologie sociale, le sociologue Philippe Combessie note que « les choses ne sont pas allées sans difficultés » à Bois-d’Arcy avant la construction de la nouvelle prison. Il fait mention de « nombreuses tensions », de négociations ayant duré « plus de dix ans ». « La majorité des élus municipaux y était opposée, écrit-il. N’ayant pu l’éviter, ils ont insisté pour qu’au moins la prison construite sur leur commune n’en porte pas le nom » !

Soulmaz Alavinia, aujourd’hui cheffe du service développement des compétences au conseil départemental du Val d’Oise, raconte dans son mémoire pour l’École nationale d’administration pénitentiaire, intitulé : La prison dans son environnement. L’ouverture de la prison, nouvel enjeu pour l’institution comment, pour manifester son opposition au projet de prison, « l’ensemble du conseil municipal s’est enchaîné au monument aux morts de la commune »…

« Un attentat à l’explosif a provoqué, ce lundi 6 novembre vers 2 heures 15, d’importants dégâts sur le chantier de la future maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines), relate un article du Monde en 1978. Quatre charges de forte puissance ont explosé sous l’escalier d’un mirador du mur d’enceinte, à l’intérieur du mess des gardiens, dans la chaufferie et dans les bâtiments réservés aux détenus. […] Les policiers pensent que l’attentat, qui n’a pas été revendiqué, est l’œuvre d’un  » professionnel du plastic  » et non d’un habitant du quartier ».

Dans son étude sur l’implantation et la mise en place de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, la sociologue et spécialiste du champ pénitentiaire Monique Seyler évoque, quant à elle, l’énergie déployée pour que la maison d’arrêt s’appelle « Maison d’arrêt des Yvelines » et non « de Bois-d’Arcy » : « À tout prix éviter le marquage social dévalorisant que signifie la présence d’une prison sur le territoire de la commune ».

Le ministère accepta le nom-écran de maison d’arrêt des Yvelines mais l’usage et le langage ordinaire prirent rapidement le dessus, jusque dans certains documents officiels. « Déjà à la date du 2 juin 1981, moins de dix-huit mois après l’inauguration de l’établissement pénitentiaire, dans le Journal Officiel qui rend compte des débats au Sénat on peut lire dans la rubrique « Justice » le nom « prison de Bois-d’Arcy (Yvelines), poursuit Philippe Combessie. […]. À l’entrée du domaine pénitentiaire, la plaque officielle Maison d’arrêt des Yvelines, s’est trouvée reléguée, par suite de nombreuses dégradations, dans une cavité protégée par une vitre (« C’est comme si on l’avait mise dans un bocal », remarquera un surveillant), tandis qu’en 1991 apparaissait bien visible à l’entrée de la prison, sur l’annonce de travaux en cours, la mention : « Réfection et agrandissement de la cantine de la prison de Bois-d’Arcy ».

Une prison sous surveillance électronique

La nouvelle prison des Yvelines devait être sûre. Pour cela, l’administration n’a pas hésité à y mettre les moyens en matière de surveillance électronique. Le journaliste Michel Bole-Richard écrit dans son article qui a suivi l’inauguration du bâtiment : « Les barreaux sont insciables, indescellables, inescaladables», selon une formule de Jean-Pierre Miction, sous-directeur de l’équipement à l’administration pénitentiaire. Dans les couloirs surveillés par des caméras, une  » barrière infrarouge  » à hauteur des portes des cellules alerte, en cas d’ouverture, le surveillant installé à son pupitre dans le sas central. Ce surveillant dirige toutes les manœuvres grâce aux touches commandant électriquement les serrures et peut communiquer par interphone avec les prisonniers ». À l’extérieur, « une barrière hyperfréquence » est reliée à un système vidéo pour signaler toute approche du grillage près du premier mur d’enceinte. « Des radars croisés installés tous les 300 mètres sur les chemins de ronde et les murs des cours de promenade. Enfin, tout visiteur devra passer sous un portique de contrôle pour se rendre au parloir, où trente-huit cabines sont destinées aux familles et seize aux avocats ».

Dysfonctionnements et « traitements inhumains »

Mais ce nouvel établissement, malgré sa volonté de modernité et de répondre aux courants « humanistes » de l’incarcération qui traverse les années 1980, ne réussira pas à se défaire de ses nombreux dysfonctionnements. L’État sera par ailleurs condamné en 1996 pour défectuosité du système de détection incendie à la suite du décès d’un détenu. Jawad Zaouiya, âgé de 20 ans, est en effet décédé dans sa cellule à la suite de l’incendie d’un matelas allumé par un codétenu. Trois ans auparavant, Ignace Mabassa N’Zen Guet, un détenu meurt de faim le 11 décembre 1993 mettant déjà en avant des  » négligences « . Le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI) avaient exprimé leur indignation à l’époque.

« Ignace Mabassa N’Zen Guet, qui pesait 53,6 kg lors de son incarcération, le 24 septembre, ne pèse plus que 30,6 kg, peut-on lire dans un article du Monde. Les premiers résultats de l’autopsie réalisée le 13 décembre à la demande du parquet de Versailles font état de sous-alimentation. Condamné par le tribunal correctionnel de Versailles à quatre mois d’emprisonnement et interdiction de trois ans du territoire français pour séjour irrégulier, Ignace Mabassa N’Zen Guet était libérable le 24 janvier »…

Ce n’est malheureusement pas le dernier drame sur la liste. En juillet 2000, un détenu se suicide après avoir été placé dans une cellule disciplinaire. La France est condamnée pour « traitements inhumains et dégradants et violation du droit à la vie » par la Cour européenne des droits de l’Homme. En avril 2010, deux détenus obtiennent la condamnation de l’État pour conditions de détention indignes. Les experts mandatés par le tribunal administratif de Versailles relevaient alors la déficience du système de ventilation, l’absence d’eau chaude aux lavabos ou de cloisonnement total des toilettes installées dans les cellules.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue écrivait dans un rapport publié la même année : « Au grand quartier, des cellules de 10 m² sont équipées de trois lits, rendant les conditions de vie très difficiles, avec des zones de circulation extrêmement restreintes, écrivait-il dans ledit rapport. Par manque de place, l’ameublement y est réduit et les possibilités de rangement sont insuffisantes. Dans les cellules des deux quartiers, l’espace réservé au WC, cloisonné, est trop restreint pour s’asseoir normalement sur la cuvette. Seule l’eau froide arrive en cellule à un petit lavabo. Ces conditions de vie ne sont pas dignes et ne devraient pas perdurer. »

Cité dans Le Parisien en juillet 2011, L’Ufap, l’un des syndicats des surveillants pénitentiaires, expliquait que ces conditions de vie difficiles étaient liées à la « surpopulation carcérale » : « Initialement, Bois-d’Arcy était prévu pour accueillir un centre de détention, qui a été transformé en maison d’arrêt, explique Jean-Philippe Thomas, secrétaire général de l’Ufap de la région parisienne. Aujourd’hui, on compte deux à trois détenus par cellule alors forcément tout se dégrade plus vite ».

En 2013, la journaliste Caroline Politi écrit dans L’express : « Deux détenus dans une cellule de 9 m2, un trou dans le plafond qui laisse s’engouffrer le vent et la pluie, une configuration qui empêche les prisonniers de se déplacer entre les deux lits et les oblige à rester allonger le plus clair de leur temps… Choquée par les conditions de détention d’un prisonnier qu’elle venait interroger, une juge d’instruction a ordonné sa remise en liberté, révèle ce vendredi Europe 1 ».

En mai 2013, la garde des Sceaux de l’époque assurait qu' »un schéma directeur de rénovation est à l’étude » et que « plusieurs opérations de maintenance ont été déjà été mises en œuvre ces dernières années ». Sur la surpopulation elle écrit en réponse au rapport de Jean-Marie Delarue : « Diminuer sensiblement l’effectif des personnes détenues est difficile compte tenu de la surpopulation que connaissent les autres maisons d’arrêt parisienne et de l’effet limité des opérations régulières de désencombrement ».

Une nouvelle prison pour désengorger Bois-d’Arcy ?

L’une des réponses apportées, comme souvent, est la construction d’une nouvelle prison de 700 places à Magnanville. Elle doit ouvrir fin 2027. Éric Dupont-Moretti, le ministre de la Justice, l’a annoncé en octobre 2021 par un communiqué : « Le centre pénitentiaire de Magnanville contribuera à renforcer le maillage pénitentiaire en Île-de-France et viendra compléter les projets de construction déjà annoncés à Bernes (Oise), Crisenoy (Seine-et-Marne) et Noiseau (Val-de-Marne) ».

Ce projet complète le Plan 15 000, un programme immobilier pénitentiaire ambitieux entrepris depuis 30 ans et prévoyant la création nette de 15 000 places de prison supplémentaires en France à l’horizon 2027. L’objectif, comme à chaque fois (ou presque) : offrir de meilleures conditions de travail au personnel pénitentiaire et fermer certains établissements qui ne sont plus adaptés. Il vise aussi à résorber la surpopulation dans les maisons d’arrêts.

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