Meurtre de Nogent : il faut faire quelque chose, mais quoi ?

Publié le 13/06/2025 à 11h24

Le 10 juin 2025, une assistante d’éducation de 31 ans a été tuée à coups de couteau à l’entrée du collège où elle travaillait, à Nogent (Haute-Marne). L’auteur, un élève de l’établissement âgé de 14 ans, a été immédiatement interpellé sur les lieux par des gendarmes. Cette tragédie a suscité un émoi considérable dans toute la France, et a donné lieu à de nombreux commentaires et préconisations en matière de politique sécuritaire. Décryptage.

Meurtre de Nogent : il faut faire quelque chose, mais quoi ?
Bonsales/AdobeStock

« La précipitation vient du Diable ; Dieu travaille lentement »[1]

Réagissant à ce drame, le Premier Ministre François Bayrou a proposé une expérimentation de portiques de détection d’armes aux entrées des établissements scolaires. Il s’agit d’une préconisation manifestement sans intérêt car, au-delà du coût prohibitif, ces portiques ne seraient pas en mesure de détecter les couteaux en céramique. De toute manière, le meurtre de Nogent a eu lieu à l’entrée d’un collège (pas à l’intérieur) où on effectuait des fouilles justement pour empêcher l’introduction de couteaux dans l’établissement ; sa présence n’aurait pas empêché le drame d’avoir lieu.

Pour sa part, le président de la République a déclaré que « ce n’est pas possible qu’un adolescent ait une arme blanche dans la rue ou à l’école : c’est la responsabilité des parents et des vendeurs ». Or, il s’avère que l’auteur n’avait pas acheté ce couteau, mais qu’il l’avait tout simplement récupéré le jour même chez lui, dans la cuisine : faudrait-il installer des portiques de sécurité à la sortie de chaque habitation… ?

Marine Le Pen, elle, préconise la responsabilité pénale des parents. « Quand on est parents, il y a une obligation de surveillance de parents. Il y a un article du Code pénal qui le dit et dont on se sert très peu. On a un arsenal juridique qui existe déjà et qui doit être utilisé ». Il faudrait donc engager la responsabilité pénale des parents de cet adolescent meurtrier, parents qui auraient dû effectuer une fouille à corps de leur gamin avant son départ pour le collège ?  Et qui auraient dû mettre sous clé les couteaux de cuisine ?

D’une manière plus générale, l’opinion publique, sidérée par ce drame, évoque, (leitmotiv habituel, usé jusqu’à la corde), le laxisme de la justice. Elle s’imagine donc que ce garçon de 14 ans – qui n’a strictement aucune connaissance du fonctionnement de la justice et des pénalités encourues en cas de meurtre – avant de passer à l’acte, s’est posé la question en ces termes : « À quelle peine serai-je condamné ? Bon, si c’est moins de trois ans, je tue, si c’est davantage, je ne tue pas et je passe mon chemin ».

« Et quant à celui qui scrute le fond de l’abysse, l’abysse le scrute à son tour »[2]

On peut comprendre que nos élus aient été, comme l’opinion publique, choqués par ce meurtre et qu’ils aient donc réagi, à chaud, sous le coup de l’émotion. Mais je note que les trois déclarations mentionnées ci-dessus ont, toutes, été formulées « avant » la conférence de presse du procureur de la République de Chaumont, Denis Devallois, qui date du 11 juin, et qui a permis de faire un premier point sur l’enquête en cours.

On a ainsi appris – par, je le rappelle, la seule voix autorisée par le Code de procédure pénale et, également, par la seule personne vraiment au courant, au stade actuel, de l’évolution des investigations – que l’auteur (ainsi que tous les membres de sa famille) était totalement inconnu de la justice, ainsi que des services de police ; que lui et sa famille n’étaient pas issus de l’immigration ; qu’il s’agissait d’un « bon » élève ; qu’il ne présente aucun trouble psychique évident ; mais aussi que, devant les enquêteurs, il n’a manifesté aucun regret ni même aucune empathie pour la victime à qui il n’avait aucun reproche à adresser, puisque (selon ses dires), il était sorti de chez lui, le matin, avec l’intention de « tuer une surveillante ». Par ailleurs, le procureur a précisé que le collégien manifestait une « certaine fascination pour la violence et la mort », qu’il était adepte des jeux vidéo violents sans pour autant être en situation d’addiction, et qu’il utilisait peu les réseaux sociaux.

 « Tant qu’il y aura des hommes, le monstre du mal ne sera jamais dompté » [3]

En conclusion, un portrait d’une banalité extraordinaire, bien loin de l’image du « monstre » qu’on aurait pu imaginer.

La question qui se pose est donc la suivante : ce meurtre est-il significatif de l’évolution de la société, ou bien relève-t-il d’une singulière exceptionnalité ? Malaise des cités ? Nogent, c’est une petite ville de 4 000 habitants où, d’après le maire, il fait bon vivre et où tout le monde se connaît. Délinquance des mineurs en hausse ? Non plus : en sept ans, elle a baissé de 25 % ; certes parallèlement, le nombre d’adolescents poursuivis pour meurtre a doublé, mais il s’agit de crimes en lien avec le narcotrafic. Finalement, les violences très graves (meurtres et tentatives de meurtres) au sein des établissements scolaires restent des cas tellement rares qu’ils sont impossibles à comptabiliser.

Pour revenir au drame de Nogent, pour comprendre ce qu’il s’est passé, en tirer des conclusions valables – qui ne soient pas fondées uniquement sur l’émotion et le ressenti de chacun – et connaître à la fois le profil  de l’auteur et ses motivations, il faudra donc attendre le procès, c’est-à-dire des mois… voire davantage. Bien évidemment, la justice et la politique (lire : les élections), ne fonctionnent pas selon le même calendrier.

Mais on ne peut discuter uniquement sur les responsabilités des uns et des autres dans l’enlèvement et l’exécution du duc d’Enghien : il faut, aussi, se prononcer sur l’actualité traumatisante. Or, si on analyse froidement les éléments qui sont actuellement portés à notre disposition, il me semble (ici, j’utilise sciemment la première personne…) qu’on se trouve en présence d’un cas absolument exceptionnel, qui n’a que peu ou pas de précédents, et qui n’est pas représentatif de l’évolution de la société. Il ne devrait donc inspirer que de la compassion pour la victime, et pas des projets de réforme en matière de politique sécuritaire.

 « J’aime la règle qui corrige l’émotion »[4]

Et pourtant, pour l’opinion publique, la cause est entendue : ce drame résulte d’une « crise de l’autorité » qui a sapé les bases de la vie sociale, laissant la place libre au laxisme et à la barbarie ; c’est la faute à soixante-huit, et à la doctrine dite de « il est interdit d’interdire ». En conséquence, l’opinion publique réclame le retour de l’ordre et de l’autorité, et peu importe si cela comporte des mesures qui ne peuvent pas s’appliquer au drame et à la problématique de l’instant. Le « retour de l’autorité » c’est un couteau suisse censé apporter « la » solution définitive à toutes les problématiques sécuritaires.

Certes, les élus et les ministres doivent être conscients de cet état de fait, et comprendre que l’époque où l’on pouvait rentrer librement dans les écoles (comme dans les gares SNCF), l’époque où on considérait qu’il fallait abattre tous les murs (y compris ceux des prisons) et toutes les frontières (des États) est révolue. Aucune politique sécuritaire ne pourra réussir si elle ne prend pas en compte ce besoin impérieux de protection, qui s’exprime par un retour de l’autorité. Aux élus de faire la part des choses, d’intégrer cette lame de fond émotionnelle qu’il serait désormais irresponsable de négliger… tout en restant rationnel dans les mesures à prendre. Difficile, mais nécessaire ; difficile, mais pas impossible.

 

[1] Proverbe persan.

[2] Friedrich Nietzsche.

[3] Reine Malouin.

[4] Georges Braque.

 

 

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