Mort de Bastien Payet : « J’ai senti le dernier battement du cœur de mon fils »
La cour d’assises de la Marne, où comparaissent les trois jeunes gens qui ont tué Bastien Payet, a vécu hier une matinée déchirante. Les parents et amis de l’étudiant de 23 ans, victime de violences gratuites en 2019, ont témoigné de son exemplarité. « Il était mon fils unique, je l’avais espéré [durant] trois ans », a indiqué sa maman. En fin d’après-midi, la fille qui a retardé l’instruction a avoué ses mensonges, sans les expliquer.

La salle d’audience est comble, quelque 100 personnes s’y serrent coude à coude, et pourtant le silence est écrasant. Seul le bruit des mots, portés par le cœur, résonne tel l’ouragan qui dévaste tout sur son passage. À la barre, Frédérique Couturier se tient droite en dépit du fardeau qu’elle porte. Il y a six ans, à Reims, trois jeunes lui ont arraché son grand garçon. Depuis le 27 mars, ils sont jugés pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner – en réunion, une circonstance aggravante. Sur Bastien Payet, à cause d’une remarque futile, ils se sont acharnés après l’avoir jeté à terre (notre article du 26 mars ici). Alors « Fred », comme tous la surnomment, expose la dévastation : « Je suis en invalidité, dit l’ancienne sage-femme. Comment voulez-vous que j’aide les mamans maintenant que je n’en suis plus une ? »
« Bastien était mon fils unique, je l’avais espéré trois ans… Il était toute ma vie. Il rayonnait. » Elle raconte ses dernières années : l’amour qu’il portait à sa compagne Marie, son master de droit, l’école d’art à Paris qu’il devait intégrer, les livraisons de nuit pour alléger la charge des siens, sa passion pour ses grands-parents. « Mon père de 80 ans a tatoué sur sa poitrine les dates de naissance et de décès de son petit-fils. » Elle s’étrangle : « Qu’a-t-il fait pour qu’on lui inflige la peine de mort ? »
« Je n’ai pas pu lui faire un bisou sur le visage tant il était difforme »
Disant « survivre », elle évoque la fin : « Dans ma main, j’ai senti le dernier battement du cœur de mon fils », ce « héros sans cape » qui a croisé « trois lâches », les blessures si graves « que je n’ai pas pu faire don de ses yeux, comme il le souhaitait ». Frédérique regrette aussi d’avoir « dû mendier ce procès » – son calvaire date du 9 mars 2019 ! La présidente Émilie Philippe, remarquable d’attention, lui précise que « personne n’avait oublié Bastien. Mais il est vrai que la justice est engorgée et a trop tardé ».
Avant la maman, il y a eu Clément qui a vu son ami cher massacré à terre : « J’étais à l’école d’infirmier, j’ai aidé. On avait l’impression qu’il étouffait, qu’il était conscient d’être en train de mourir. » Après, il appelle Fred « qui travaille de nuit, je lui dis “ça va ?”, c’est débile. » Il la retrouve à l’hôpital, près de Bastien à l’agonie : « 53 minutes de massage cardiaque. Avec Fred, on savait ce que ça signifiait. » Vient le moment de l’adieu : « Je n’ai pas pu lui faire un bisou sur le visage tant il était difforme. »
Clément, qui s’est longtemps « réveillé huit à dix fois la nuit », continue à « chercher un défaut à Bastien ». Peine perdue.
Une ovation debout et un tonnerre d’applaudissements
Jean-Marc, le beau-père qui a élevé Bastien durant 12 ans, et Marc-André, le père du jeune homme, unis dans la douleur, témoignent du « manque ». Puis vient Marie, la compagne tant aimée depuis le lycée, premier amour de l’une, de l’autre. « Tous les vendredis, on dînait d’une pizza et de glace avec supplément chantilly. » Pas ce vendredi maudit, que la jeune femme avait « échangé avec Clément qui n’allait pas fort ». Ils s’en veulent d’avoir, malgré eux, incité Bastien « à sortir ce soir-là ».
Marie décrit son compagnon : « Naturel, poli, respectueux des autres, et si drôle ! Ce 9 mars, il m’a embrassé deux fois, m’a dit “je t’aime”, puis je l’ai revu branché à des tuyaux… Il voulait que l’on fasse le tour du monde, que l’on se marie. » Victime de stress post-traumatique, la kinésithérapeute se « réveille chaque nuit à l’heure de sa mort. Personne ne mérite de mourir battu à coups de pied ». Laurent, l’ami mentor, confie aussi son désespoir : « Lorsque je lui ai dit au revoir en réa, une dernière larme est tombée de ses paupières. »
La cour projette une série de photos de Bastien avec Marie, en famille : les sanglots rompent le silence. Plus encore lorsqu’est diffusée la séquence sur le plateau de TF1 : Bastien le slameur déclame sa poésie. Le choc de le voir si vivant pétrifie la salle. Même les accusés. Le film s’arrête et tout le public se dresse, ovationnant le défunt dans un tonnerre d’applaudissements. La cour n’interrompt pas l’instant de communion. « En 40 ans de carrière, je n’avais jamais vu cela », confiera Me Gérard Chemla qui, avec les avocates rémoises Pauline Manesse-Chemla et Fanny Quentin, porte la voix des 29 parties civiles.
« On s’est bagarrés, je crois qu’on l’a tué »
L’après-midi chasse le chagrin ; place à la consternation. Défilent un frère d’Oussama Zeroual, principal mis en cause, des amis d’Osman Dogan et d’Enzo Andolini, les coauteurs. La pauvreté de leurs témoignages laissent pantois. Il n’y avait « rien de grave », bien que Dogan ait parlé d’un « mec au visage violet avec du sang dans la bouche », qu’il ait précisé : « On s’est bagarrés, je crois qu’on l’a tué. » Somme toute, des péripéties qui ont gâché leur week-end.
L’audition de Léa B., qui a tant menti jusqu’en 2022 pour essayer de sauver Dogan, « par amour », plonge plus encore la cour dans la perplexité. À 25 ans, elle ne paraît pas réaliser qu’elle risque 7 ans de prison. Indifférente à l’audience – elle polit ses ongles manucurés, se recoiffe –, elle l’est autant à la barre. Si Léa, poursuivie pour faux témoignage en matière criminelle, admet ses multiples mensonges qui ont retardé la clôture de l’instruction, elle ne fournit pas de justification. « Je ne sais plus, ça fait six ans », répète- t-elle, soupirant au point d’agacer la juge, les assesseures. Comme Mounir, précédemment interrogé, Léa invoque le cannabis, « trop de stups », pour être en capacité de se remémorer la mort d’un homme sur un trottoir. Tout juste concèdera-t-elle que « c’est triste ».
Le procès se poursuit aujourd’hui avec l’interrogatoire des agresseurs.

Référence : AJU497851
