Mort de Bastien Payet : les trois agresseurs « au bal des menteurs »

Publié le 02/04/2025 à 8h21

La récitation mécanique d’une leçon apprise par cœur, dont le titre serait « Ce n’est pas moi mais les autres », a exaspéré la mère de Bastien Payet. Elle a quitté la cour d’assises de la Marne lorsque le troisième agresseur de son fils s’est défaussé sur ses deux amis, lesquels se jurent innocents des coups de pied « qui ont écrasé la tête » de l’étudiant rémois.

Mort de Bastien Payet : les trois agresseurs « au bal des menteurs »
Mes Fanny Quentin, Pauline Manesse-Chemla et Gérard Chemla, avocats des 29 parties civiles (Photo : ©I. Horlans)

 

Ils conjuguent désormais leur amitié à l’imparfait. Dans un sauve-qui-peut pitoyable, élaboré au gré des changements d’avocats pas forcément de bon conseil, les accusés ont débité hier leurs éléments de langage qui confinent à l’invraisemblance. Trois jeunes qui répondent des violences, en réunion, ayant entraîné la mort de Bastien Payet, un étudiant en droit âgé de 23 ans, le 9 mars 2019 à Reims (voir notre article du 26 mars ici). Ils comparaissent devant les assises de la Marne depuis quatre jours et, en dépit de l’appel déchirant de la mère du défunt, aucun n’a voulu endosser la responsabilité des coups qui ont massacré le slameur sur un trottoir du centre-ville.

Ont-ils été insensibles au chagrin de la maman, Frédérique Couturier, des père, beau-père, tante, fiancée et amis de Bastien qui, tous, ont bouleversé la salle d’audience lundi (notre article du 31 mars ici) ? Probablement pas, à voir la pâleur et la rigidité de leurs traits. Simplement, l’enjeu du procès est trop conséquent : Oussama Zeroual, en récidive de délits, encourt une peine de prison à perpétuité ; Enzo Andolini et Osman Dogan risquent 20 ans de réclusion criminelle.

« Je ne suis pas du tout concerné par cette histoire ! »

 C’est donc dans une unité formelle de dessein – échapper au pire – que les complices du drame ont servi aux jurés (trois hommes, trois femmes) et à la cour une version peaufinée du drame. Leur implication dans l’agression est avérée, au moins pour deux d’entre eux, les témoignages des trois amis de Bastien ayant assisté à son agonie sont unanimes, constants, depuis six ans. Reste à identifier les « cogneurs ». Si Zeroual a toujours prétendu être le « médiateur » dans l’altercation, assurant avoir « écarté » ses camarades, les déclarations des deux autres ont beaucoup varié durant l’instruction. Et les voici qui, de nouveau, affinent leur déposition à la barre.

Enzo Andolini, d’abord. Il avait 19 ans le jour des faits et préparait un BTS. Après avoir admis « deux ou trois coups de poing » portés à la victime, en « réflexe » à celui qu’aurait asséné Bastien – accusation démentie par tous les témoins et protagonistes –, il évacue cette hypothèse : « Je me suis mal exprimé durant l’instruction. » Finalement, il n’a rien fait : « Je ne suis pas du tout concerné par cette histoire, je suis parti quand la scène de violence a débuté. » L’avocate générale, Mathilde Campagnie : « En fait, vous êtes une victime ? » Andolini répond qu’il veut « être dédouané. Je ne suis pas responsable du décès de M. Payet. Je n’aurais jamais supporté ça, j’ai de la peine pour la famille ». Il souhaite que « monsieur Zeroual dise la vérité », désignant ainsi son « ancien meilleur ami ».

« Je veux laver mon honneur, je suis là pour la vérité »

Me Gérard Chemla, au nom des parties civiles, oppose ses contradictions, en vain : « On a l’impression que vous animez le bal des menteurs auquel on assiste depuis plusieurs jours ! » Sa consœur Fanny Quentin lit les cotes du dossier démentant sa nouvelle version : « Je comprends que vous ayez la trouille au ventre de retourner en prison, mais dites-nous la vérité !

– Je la dis. Je pâtis de cette situation ! J’ai honte que mon nom soit associé à cette catastrophe. Je veux laver mon honneur, je suis là pour la vérité. Je n’ai rien à voir avec ces gens-là », conclut-il avec mépris pour MM. Dogan et Zeroual.

Visiblement éprouvé, souffrant d’un cancer, Enzo Andolini faiblit sous le poids des questions ; son avocat parisien sort de ses gonds, lance une volée de bois vert à destination du ministère public « qui pose 53 fois la même question ! » La présidente Émilie Philippe l’enjoint au calme.

Osman Dogan lui succède, 18 ans en 2019, auteur de la remarque vaseuse sur la taille de son sexe qui a déclenché les hostilités. Il vante désormais sa « maturité », mot qu’il répète à l’envi. Donc, il regrette la mort de Bastien, « un garçon en or, à ce que j’ai compris », à laquelle il n’est toutefois « pas mêlé ». Selon lui, il faut regarder du côté d’Oussama Zeroual, qui a donné « des coups à la tête » et d’Enzo Andolini. La présidente : « Ce sont donc eux qui sont responsables de la mort de Bastien Payet ?

– Oui. »

C’est pourtant lui, Dogan, qui dira plus tard à des copains : « On a tapé un mec, je crois qu’on l’a tué. » Il a oublié : « Je ne comprends pas moi-même pourquoi j’ai été si incohérent dans mes précédentes auditions. J’avais 18 ans. Aujourd’hui, j’ai gagné en maturité, je regrette pour la famille. »

« Je vois le visage de Bastien Payet et je reste figé »

 Milieu d’après-midi, Oussama Zeroual à la barre, 20 ans lors de l’agression et visant l’obtention d’un BTS. « On va chercher à boire à l’épicerie ouverte 24 heures sur 24. Enzo et Osman s’arrêtent pour uriner contre une porte et j’attends près d’une voiture. Des filles arrivent [les amies de Bastien] et ils leur font une remarque sur leurs parties génitales. Il y a des coups. Je vois le visage de Bastien Payet, qui est à terre, et je reste figé. Les filles crient. J’attends 30 secondes, je reprends mes esprits, je pars. Je reviens pour voir si je peux aider. Une fille veut me filmer. Je comprends que je ne suis pas le bienvenu », explique celui qui sera arrêté une heure plus tard.

La mère de Bastien en a assez entendu. Elle quitte la salle avec son mari.

La présidente : « Les deux frappaient ?

– Oui.

– Comment étaient les coups ?

– Puissants.

– Vous êtes sûr que MM. Andolini et Dogan sont responsables ?

– À 100 %. »

Le paradoxe, c’est qu’il a l’air plus sincère que les autres quand, pourtant, il est identifié par les amis du défunt comme étant l’auteur des blessures. « Je pense qu’ils se trompent à cause du choc, de leur panique. Ils se sont dit : “On tient l’agresseur, on va le garder”. »

Que garderont-ils, eux, les jurés, de cette journée exaspérante ? Sans doute la commission en réunion du crime, peu importe qui a fait quoi. En droit, ils sont coauteurs, par conséquent tous condamnables.

Le réquisitoire et les plaidoiries sont programmés jeudi.

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