Mort de Bastien Payet, « victime de l’acte gratuit d’hommes ordinaires »
La cour d’assises de la Marne, qui juge les suspects de l’agression contre Bastien Payet six ans après les faits, a concentré hier, sur une journée, le réquisitoire et dix plaidoiries. Une épreuve pour les proches du jeune étudiant tué à coups de pied, a fortiori parce que l’enquête « bâclée » a motivé la demande d’acquittement du troisième accusé. Contre les deux autres, l’avocate générale a réclamé 15 ans de réclusion criminelle.

Personne, dans la salle d’audience bondée, ne s’attendait à ce que Mathilde Campagnie, portant l’accusation et représentant « l’intérêt général », ainsi qu’elle l’a expliqué aux jurés, recommande d’exonérer Osman Dogan, l’un des trois accusés jugés depuis cinq jours. Et certainement pas la famille de Bastien Payet, un étudiant en droit de 23 ans massacré le 9 mars 2019 dans le centre de Reims (notre article du 26 mars ici). Pas plus que ses nombreux amis. Tous ont paru recevoir un uppercut. Seul l’intéressé a exulté, poings serrés, tête renversée, yeux au ciel.
Si l’avocate générale a suggéré que la cour acquitte ce jeune désormais âgé de 24 ans, c’est en raison des failles de la procédure – une enquête qualifiée de « naufrage » par Me Mourad Benkoussa, l’avocat de Dogan. « Je ne suis pas en mesure de prouver qu’il a donné des coups, même s’il l’a sans doute fait », a reconnu la magistrate. Avant elle, Me Gérard Chemla, intervenant pour 26 parties civiles, avait également déploré que « l’enquête ait déraillé dès la première minute ». La parquetière a préféré charger Enzo Andolini et Oussama Zeroual, responsables selon elle de la mort, sans intention de la donner, du slameur : elle a requis contre eux 15 ans de réclusion. Et six mois de prison ferme pour Léa B., qui a produit un faux témoignage.
« Il est mort parce qu’il a donné, à la violence, une leçon d’élégance »
Bouleversés, la mère de Bastien Payet et son mari ont quitté la salle, suivis de près par le père du défunt (notre article du 1er avril ici). En matinée, ils avaient beaucoup pleuré à l’écoute des avocats de 30 parties civiles.
Me Mathilde Martiny, d’abord, qui restitue « le cauchemar » de Clément, l’infirmier désespéré de n’avoir pu sauver son ami agonisant sur le trottoir, « impuissant » face à la multitude de blessures. « L’onde de choc », aussi, « l’immensité du vide » ressentie par « la belle fratrie que s’était construite Bastien » : « Il est mort pour rien, sans avoir pu finir sa phrase », une petite remarque adressée à Osman Dogan dont la vulgarité l’avait choqué. Ce 8 mars, quand la soirée a débuté, « c’était la Journée de la femme », rappelle Me Fanny Quentin, avocate des deux Cassandre et de Simon, témoins de la sauvagerie. « Ce 8 mars, il ne sait pas qu’il aura 23 ans pour toujours », mais « il sait qu’il faut respecter les femmes ». À Dogan, qui urine dans la rue, vante la taille de son sexe auprès de Cassandre B. et Cassandre M., il fait une réflexion sans animosité – les accusés l’ont admis. Puis s’écroule, frappé d’un poing. Des pieds écrasent le torse, le visage, le crâne. « Ce soir-là, deux camps s’opposent : celui de la violence ; celui de la bienveillance. Bastien est mort parce qu’il a donné, à la violence, une leçon d’élégance. »
« Perdre un enfant, c’est une déflagration, c’est la pire épreuve »
Me Quentin fustige « les menteurs, les coupables » (notre article du 2 avril ici), convoque le visage de Bastien « en sang, bleu, déformé ». Me Pauline Manesse-Chemla lui succède et, d’une voix douce, l’avocate si proche des parents depuis six ans raconte le « fils merveilleux, un vrai clown. Perdre un enfant, c’est une déflagration, la pire épreuve… J’aimerais pouvoir vous dire qu’ils se sentent apaisés ; il n’en est rien » : les accusés ne leur ont pas accordé la vérité qu’ils escomptaient. Les larmes redoublent.
Me Gérard Chemla poursuit : « À l’instant où l’enfant naît, on commence à avoir peur. Peur de cela. » De la mauvaise rencontre qui brise un destin. Il reprend le dossier, démontre la culpabilité des suspects qui se trouvaient indubitablement sur place, ce point ne souffre aucun doute. Puisque le trio s’accuse mutuellement, il invoque la jurisprudence de la Cour de cassation relative à « la scène unique de violence ». L’arrêt du 16 février 2022 dit que l’on peut condamner des violences commises par plusieurs auteurs, de manière indivisible, même si l’un s’abrite derrière les autres : « Chacun a participé, explique-t-il, vous n’avez pas besoin de savoir qui a porté les coups mortels. »
S’il stigmatise durement les erreurs de la police de Reims (25 minutes pour arriver dans une rue située à 300 mètres du commissariat, scellés annulés, témoins « maltraités », etc.), il énumère surtout « les multiples mensonges élaborés : si l’on organise un mensonge, c’est qu’on a une raison. La vérité n’a pas plusieurs versions ».
« En prison, avec sa maladie, on en meurt »
L’avocate générale pointe d’ailleurs le revirement d’Enzo Andolini : « En présence de son avocat, spontanément, il a reconnu avoir porté “deux ou trois coups” devant la police, le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention. Et à cette barre, il revient sur ses propos au motif qu’il s’est mal exprimé ! » Quant à Oussama Zeroual, il a été identifié par les témoins comme s’étant acharné : « Des traces de l’ADN de Bastien ont été relevées sur ses baskets ». Il est mort de « l’acte gratuit d’hommes ordinaires ».
Ses parents n’écouteront pas la défense, c’est préférable. Les trois témoins du crime, eux, vont souffrir, particulièrement de leur mise en cause par un défenseur d’Oussama Zeroual, Me Denis Fayolle : il souligne à gros traits leur état ébriété, impliquant qu’ils se « sont trompés de bonne foi ». Son associé Charles Benoit tance le jury : « Vos sentiments, on n’en veut pas ! C’est la loi qui le dit. » Il plaide l’attitude de Zeroual au cours de cette « nuit abominable : il ne s’échappe pas, au contraire revient sur place. Il ne jette pas ses baskets. Pour un champion d’échecs, que l’on présente comme un grand manipulateur, il n’a pas un coup d’avance. »
Me Philippe-Henry Honegger, lui, s’étend sur le cancer d’Enzo Andolini : « S’il est condamné à 15 ans de prison, il ne pourra pas suivre ses soins à l’hôpital Cochin. En prison, avec sa maladie, on meurt ». Il invite les jurés « à prendre des précautions », réintroduit Dogan dans l’équation. Chacun pour soi.
Me Mourad Benkoussa, au côté de ce dernier, objecte que « personne ne l’a vu frapper la victime ! À aucun moment ! Vous l’acquitterez parce qu’il est innocent ». Me Cécile Nathan insiste : « Il a une responsabilité morale, il a déclenché les faits en tenant des propos graveleux, mais on ne le juge pas pour cela. »
Enfin, Me Pascal Ammoura, au soutien de Léa B. qui a fourni un faux alibi à Dogan, espère que sa cliente, « une jeune fille amoureusement paumée », sera dispensée de peine.
Le verdict est attendu en fin de journée.
Mise à jour 19 h 54 : La cour d’assises est allée au-delà des réquisitions. Les trois accusés ont été condamnés à 14 ans de réclusion criminelle, Léa B. à un an de prison aménageable sous bracelet électronique.
Référence : AJU497955
