Nouvel homicide routier : on ne peut pas piétiner le droit au nom de la politique !
Suite au décès tragique de trois policiers le 21 mai dans un accident de la route à Villeneuve-d’Ascq, et d’une petite fille à Trappes deux jours plus tard, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à de nouveau évoqué son projet, avec Éric Dupond-Moretti, de créer un délit d’homicide routier. L’idée avait été lancée au moment de l’affaire Palmade. Elle fait bondir notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier, voici pourquoi.
Un jour, une affaire judiciaire ; une affaire judiciaire, une idée absurde de réforme lancée par nos politiques dans la course aux élections de 2027 ! Et chers lecteurs, vous savez à quel point cela m’agace !
Dernière idée saugrenue en date ? La création d’un délit « d’homicide routier », une nouvelle fois annoncée gravement par notre ministre de l’Intérieur il y a quelques jours, après qu’un nouveau drame routier a frappé notre pays. Un conducteur qui avait consommé de la drogue avant de prendre le volant a tué trois policiers. Comment empêcher ces drames ? Comment empêcher que des automobilistes, drogués et alcoolisés, ôtent des vies sur nos routes ?
C’est la question que nos dirigeants se posent depuis des années : permis à points, ceinture de sécurité obligatoire, véhicules ultra-équipés et plus sûrs, routes sécurisées et éclairées, prévention routière… Et surtout, pénalisation de nos comportements. Pendant des années, la prévention est allée de pair avec la répression. Et cela a fonctionné puisque les chiffres sont clairs : en l’an 2000, on dénombrait encore 7 643 morts sur nos routes, contre 3 267 en 2022. Aujourd’hui, 48% des condamnations pénales prononcées concernent une infraction routière. La justice fonctionne donc à plein régime malgré les moyens calamiteux qui lui sont alloués.
Mais les chiffres stagnent depuis 2018. Alors comment répondre à l’émotion publique pendant qu’elle est encore sous le choc ? J’imagine que dans la tête de notre ministre, l’idée d’un « homicide routier » devrait apaiser l’opinion blessée et meurtrie par les témoignages des proches des victimes qui défilent sur tous nos plateaux télé. Leur peine devient notre peine, leur vie brisée notre propre vie, leur deuil notre deuil. Leur enquête pénale la nôtre. Téléspectateurs de ce marasme médiatique, nous sommes aussi victimes et nous voulons que justice nous soit rendue !
L’homicide involontaire routier…existe déjà
Comme à chaque fois, une petite explication s’impose.
Le terme homicide signifie « tuer » une personne. Ôter la vie. En droit pénal, il existe deux types d’homicide :
*l’homicide volontaire qui est prévu et réprimé par l’article 221-1 du code pénal : « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle». Celui qui tue volontairement a donc nécessairement l’intention de tuer au moment où il tue.
*l’homicide involontaire qui est prévu et réprimé par l’article 221-6 du code pénal : «le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ». Celui qui tue involontairement n’a tout simplement pas eu envie de tuer.
L’homicide involontaire est ainsi celui que son auteur n’a pas voulu. Il a ôté la vie sans le vouloir, après avoir adopté un comportement dangereux, voire interdit par la loi. Par exemple, on peut prendre sa voiture en ayant bu de l’alcool ou pris de la cocaïne et ne pas vouloir tuer quelqu’un en rentrant chez soi. La plupart du temps, le conducteur n’y pense d’ailleurs même pas. C’est ce qui se produit dans l’immense majoriré des accidents mortels de la route. Et la souffrance est souvent des deux côtés de la barre lors du procès, perte irréparable pour les victimes, poids de la culpabilité pour les auteurs.
Mais pour lutter contre les infractions routières en particulier, il a été créée depuis 2003, un « homicide involontaire commis par un conducteur d’un véhicule terrestre à moteur » dans un nouvel article 221-6-1 du code pénal, qui dispose que :
« Lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l’article 221-6 est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’homicide involontaire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque :
1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;
2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste ou était sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;
3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;
4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;
5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h ;
6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir.
Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’homicide involontaire a été commis avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° et suivants du présent article ».
Lorsque le conducteur a bu de l’alcool ET consommé de la drogue, il risque dix ans de prison et 150.000 euros d’amende, outre des peines complémentaires classiques comme le retrait du permis de conduire.
L’homicide involontaire routier existe donc déjà.
G. Darmanin veut réprimer la simple connaissance d’un potentiel risque homicide
Alors pourquoi annoncer quand même la création d’une nouvelle infraction ? Parce qu’il faut réagir à tout prix, tweeter, apporter son soutien, se rendre sur les lieux du drame, recevoir les familles des victimes. Et légiférer pour changer ce vilain code Pénal qui n’a pas encore réussi à éradiquer totalement la délinquance routière. C’est évidemment à cause de la justice pénale qu’il y a encore des morts sur nos routes.
Ce nouvel « homicide routier » considère que celui qui prend le volant après avoir bu et/ou consommé de l’alcool entend nécessairement tuer sur sa route. La volonté de tuer ne serait plus celle d’ôter la vie au moment de l’acte, mais la simple connaissance d’un potentiel risque homicide au moment de prendre le volant.
L’homicide involontaire deviendrait ainsi un homicide volontaire du fait de la connaissance d’un risque mortel potentiel.
Il ne s’agit même plus de tordre le droit pénal à ce stade-là, mais de s’essuyer les pieds dessus comme s’il s’agissait d’un vulgaire paillasson. Je ne peux donc évidemment pas être d’accord avec cette idée.
D’abord parce que la connaissance de l’existence d’un risque pour la vie d’autrui au moment de monter dans sa voiture ne peut pas constituer l’intention homicide comme le code pénal mais aussi la langue française le prévoient.
Ensuite parce que cette théorie pourrait alors être élargie à tout risque que l’on prend au quotidien, vidant de sa substance l’homicide involontaire. Et faisant de chacun d’entre nous un meurtrier potentiel.
Prenons un exemple.
Je fais construire une piscine dans mon jardin et le système de protection que je décide d’installer n’est visiblement pas suffisant. Mon enfant se noie. Ayant acheté cette piscine en sachant qu’un drame pourrait advenir, dois-je répondre du meurtre de mon enfant devant une cour d’assises et risquer trente ans de prison ? Évidement que non.
La connaissance d’un risque mortel ne doit pas être considérée comme une intention de tuer si, par extraordinaire, le risque mortel se réalise.
On ne peut pas piétiner le droit comme cela au nom de la politique et d’une réponse qu’on croit devoir apporter en urgence à une opinion publique qui souffre. Cela n’est plus seulement agaçant, mais dangereux. Gouverner, c’est réfléchir. Et lorsqu’une affaire judiciaire fait la une des médias, le mieux serait de se poser et de prendre son temps pour éviter d’abimer, encore un peu plus, une justice pénale qui n’a vraiment pas besoin de cela.
Référence : AJU371053