« Pourquoi cacher 26 995 euros dans votre PlayStation ? »

Publié le 09/08/2021

Ce vendredi 6 août, seule la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil (Val-de-Marne) assure la permanence judiciaire. Six dossiers lui sont soumis, dont celui de Nadie arrêté à Orly en possession de 26 995 € et de 405 grammes de cannabis dissimulés dans sa console de jeux.

« Pourquoi cacher 26 995 euros dans votre PlayStation ? »
Me Jules Teboul, du Barreau de Paris, au tribunal de Créteil le 6 août – ©I. Horlans

Si Nadie est « une mule » au service de trafiquants de drogue, comme le subodore l’accusation, alors il lui aurait été utile de suivre une formation. Parce que là, devant ses juges, il a tout faux. Prévenu de trafic de cannabis (acquisition, détention et transport) et de blanchiment d’argent, il invoque des arguments qui défient les lois de la logique. Pour ne rien arranger, il les assène avec toupet sans concevoir que si on risque dix ans de prison, il convient à tout le moins de se montrer affable.

Nadie, 28 ans, a été interpellé le 7 mai dernier grâce au chien renifleur des douaniers de l’aéroport d’Orly. Jusqu’au 15 juin, il a dormi en prison avant de bénéficier d’une remise en liberté pour raisons de santé. Le voici donc à la barre, déposant assis, ses béquilles à portée de mains.

Quatre « savonnettes » de résine de cannabis pour ses douleurs

 Décontracté dans son jean gris et son tee-shirt blanc, coiffé de fines tresses, Nadie est si confiant qu’il s’est présenté à l’audience avec un tout petit sac à dos, sans même un pull au cas où il réintègrerait le centre pénitentiaire de Fresnes. Le président Sébastien Hauger résume les charges.

Ce 7 mai, alors que le Guyanais repart chez lui à Kourou par le vol Paris-Cayenne, le labrador des douanes « marque » sa valise, pose sa truffe sur une PlayStation. La nouvelle version diffère quelque peu des précédentes de Sony puisqu’elle renferme trois « savonnettes » de résine – la 4e, qui ne tenait pas dans le boîtier, est cachée sous les vêtements – et 26 995 euros.

Auditionné, le suspect parle « d’économies » et de drogue « pour soulager [ses] douleurs. Victime d’un accident de la route, il souffre de séquelles l’obligeant à subir des opérations chirurgicales en métropole depuis 2018. Il va et vient plusieurs fois l’an. Au tribunal, il réaffirme que les 405 grammes sont destinés à sa consommation car « en Guyane, le shit coûte trop cher ».

« – Vous ignorez que, même à visée thérapeutique, c’est encore interdit en France ?

– Les médicaments m’empêchent d’avoir des rapports sexuels et d’aller à la selle.

– Combien fumez-vous de joints par jour ?

– Entre trois et vingt…

– Vous êtes conscient d’encourir dix ans d’emprisonnement ?

– Pour fumer du shit ? Dix ans ?… C’est n’importe quoi ! ».

« Ça vous dérange, que je sois chanceux au jeu ? »

Ses prétendus besoins personnels étant d’1 à 6 grammes par jour, le stock conséquent est susceptible d’alimenter un trafic. Nadie est choqué que l’on puisse imaginer cela : « Vous croyez que je suis une mule ? », fulmine-t-il. Passons à l’argent. « Ce sont mes économies, je ne fais plus confiance aux banques depuis que les impôts en ont saisi une partie.

– Combien leur devez-vous ?

– Dans les 2 000… », soit 10 % de son indemnité perçue après l’accident.

« – Vous disposez aussi de 11 501 € sur un Livret A, d’un salaire mensuel de 1 061 € et de 600 € d’allocation adulte handicapé. Pourquoi ne pas honorer vos dettes fiscales ?

– Je ne sais pas », balaie le prévenu, agacé par la curiosité du juge.

Les indemnités ayant été versées en 2019, il est improbable que Nadie ait thésaurisé pendant deux ans et transporte son bas de laine lors de chaque déplacement à Paris. Le président, qui instruit avec impartialité, est prêt à tout entendre, dans la limite du raisonnable. Il insiste.

« – Ben en fait, l’argent dans ma PlayStation provient de gains aux jeux de grattage.

– Vous en grattez drôlement, des tickets, pour gagner 27 000 € !

– Ça vous dérange que je sois chanceux au jeu ?

– Si tout le monde l’était à ce point, la Française des jeux serait en faillite. Pourquoi cacher 26 995 € dans la PlayStation si vous pouvez justifier leur provenance ?

– On m’a dit que c’est interdit de transporter autant d’argent.

– Alors pourquoi ne pas l’avoir déposé à la banque ?

– Arriver avec une telle somme au guichet, c’est légal ?

– Pas plus que de se balader avec 27 000 balles dans une console !

– Vous ne me laissez pas parler ! Vous ne m’écoutez pas », s’irrite Nadie.

« Des traces de cocaïne et d’héroïne sur ses billets ! »

La procureure Juliette Thiery l’a assez entendu pour se forger une opinion. « Monsieur se dit consommateur mais l’analyse d’urine est négative et sur l’argent, on a décelé des traces de cocaïne, d’héroïne et de produits pour couper la drogue », révèle-t-elle, doutant que la FDJ soit à l’origine de tels dépôts. A l’encontre de cet homme déjà trois fois condamné, elle requiert deux ans de prison dont moitié avec sursis et la confiscation du cannabis, de l’argent et de ses bijoux estimés à 5 700 €.

Me Jules Teboul, l’avocat parisien de Nadie, doit désormais s’employer à remonter la pente vertigineuse que son client a tracée. Il invoque l’absence « d’échanges suspects sur ses téléphones », « la géolocalisation qui le situe à l’hôpital ou chez sa sœur », « l’usure des bijoux de famille » et l’aisance financière qui l’exclurait de l’univers des mules, généralement en situation précaire. « Monsieur a pris rendez-vous pour régulariser sa dette fiscale », ajoute-t-il, suggérant en conclusion une surveillance électronique en guise de peine, au domicile de sa mère qu’il partage avec ses dix frères et sœurs et son fils.

A l’issue d’un long délibéré, le tribunal suit les réquisitions et ordonne un mandat de dépôt. Pas de retour à Kourou pour Nadie, renvoyé à Fresnes entre trois policiers. Ses bijoux et portables lui seront cependant restitués, le reste est confisqué. En revanche, le blanchiment que lui reprochaient les douanes n’est pas caractérisé, il n’aura pas à régler les 26 995 € exigés en supplément du butin saisi.

Menotté, Nadie quitte la salle en tee-shirt, déconfit que le président et ses assesseures n’aient pas cru en sa chance au jeu. Lui seront toutefois rendus les vingt tickets gagnants qu’il n’avait pas eu le temps d’encaisser.

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