Procès de l’attentat de Magnanville : l’enfant témoin et le mystère du deuxième homme

Publié le 03/10/2023

Lundi 2 octobre, la cour d’assises spécialement composée s’est penchée sur le sort de l’enfant du couple de policiers assassiné à Magnanville le 13 juin 2016. Âgé de trois ans et neuf mois à l’époque, il a évoqué auprès de ses proches à plusieurs reprises la présence d’un deuxième homme qui pourrait être l’accusé dans le box. 

Palais de justice de Paris
Le palais de justice de Paris où se tient le procès de l’attentat de Magnanville (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision

« Je viens de tuer un policier et son épouse. Derrière moi, le petit, je ne sais pas ce que je vais en faire encore ». Les mots de Larossi Abballa résonnent dans le prétoire. Glaçants. Ce lundi 2 octobre, la cour d’assises a décidé de projeter la vidéo de revendication du double assassinat, le 13 juin 2016, d’un couple de policiers à Magnanville. Derrière le visage terrifiant de l’homme qui se vante de son crime atroce, on aperçoit une petite forme recroquevillée par terre, l’enfant otage. L’auteur de l’attentat, Larossi Abballa, est mort ce soir-là, abattu par le RAID. Dans le box, Mohamed Lamine Aberouz, son ami d’enfance, musulman « orthodoxe » revendiqué, comparaît pour complicité, il encourt la perpétuité. L’accusation est convaincue non seulement qu’il est le prédicateur qui a poussé Abballa à l’acte en lui donnant une légitimité religieuse, mais aussi qu’il était lui-même sur place le soir de l’attentat et qu’il serait parvenu à s’enfuir.

 « L’innommable, l’impensable, l’irreprésentable »

Le « petit » dont le terroriste ne sait encore ce qu’il va en faire, c’est M., l’enfant du couple, trois ans et neuf mois. Ce terrible soir, il est en état de sidération sur la mezzanine, quand un policier (aujourd’hui décédé), ami de ses parents, arrive sur la scène de crime que vient de sécuriser le RAID. « J’ai vu le corps de Jessica sur le dos et le corps de l’agresseur, j’ai appelé M., il était entouré de collègues du RAID, il a tendu les bras vers moi, j’ai demandé que soient recouverts les corps, et j’ai fermé les yeux de l’enfant ». M. est la victime de ce crime atroce. Il en est aussi le seul témoin. Assis sur un canapé, tout seul face à l’écran noir de la télévision indiquant « vous n’êtes pas abonné », il a vu sa mère se faire égorger. M. n’en parle jamais, mais la psychologue, que l’on entend ce lundi après-midi comme témoin, est parvenue à lui faire exprimer sa souffrance par une technique de récit avec des figurines, et il a représenté sa mère allongée avec un « méchant » posant une épée sur elle. La décision a été prise à l’époque de le protéger. Personne ne l’a donc interrogé, ni la police, ni la justice. Trop petit, trop fragile. La psychologue explique que pour un enfant, voir sa mère assassinée sous ses yeux est de l’ordre de « l’innommable, l’impensable, l’irreprésentable », c’est une « torture psychique » qui « persiste dans le temps, c’est toujours là aujourd’hui et c’est très envahissant ». Elle confirme qu’on a pris alors la bonne décision.

Seulement voilà, sept ans plus tard, la justice cherche à déterminer si l’homme dans le box était sur place, alors la tentation est grande d’interpréter les travaux réalisés avec la psychologue. Dans l’une des scènes qu’il fabrique avec les figurines, l’enfant a mis « deux méchants ». Interrogée successivement par le président, le parquet et la défense sur ce détail qui semble accréditer l’hypothèse d’un deuxième homme sur place, la psychologue répète inlassablement à la barre qu’elle est dans le soin, pas dans la quête de vérité. L’enfant pourrait bien mettre quinze méchants que ça ne signifierait ni qu’il y en avait quinze, ni le contraire. Ces scènes qu’il compose expriment ses conflits intérieurs, elles ont la même valeur qu’un rêve ou un cauchemar, avec leur indissociable mélange de réalité et de symbole.

« Il y avait un méchant et un gentil »

Plus délicat pour la défense est le récit de sa tante paternelle qui est devenue sa tutrice. L’enfant lui a peu parlé des événements, explique-t-elle. De son côté, jamais elle n’évoque le sujet avec lui. En sept ans, l’enfant a cependant égrené quelques maigres confidences. Trois fois, il a évoqué un deuxième homme, dont une de façon particulièrement précise : « Il y avait un méchant et un gentil, un qui voulait me tuer et l’autre qui a dit “pas encore”. » Il y aurait donc bien eu deux « monstres rouges » ce soir-là dans la maison. Ce que permet également de supposer la présence de l’ADN de l’accusé sur le repose-poignet de l’ordinateur des victimes. Mais là aussi, les experts ne peuvent être formels quant à la source de cette trace. Un transfert (l’ADN est transporté sur les lieux par une autre personne ou un objet) est peu probable, mais impossible à exclure tout à fait.

« Je n’ai pas aidé papa et maman »

Il est bouleversant, cet enfant qui a vécu l’indicible, et dont la mémoire contient sans doute quelque part les images précises de ce qu’il s’est passé ce soir-là. Le questionner, c’est prendre le risque de le briser. La justice se retire donc sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller la douleur atroce, mais aussi parce qu’elle s’interdit de faire peser sur M. le poids terrible de la preuve dans ce procès. Dans son box, l’accusé disparaît derrière la rambarde au point que l’on se demande s’il est encore présent. Se sent-il coupable, au minimum, d’avoir embrassé une idéologie capable de pousser un homme à tuer froidement une mère devant son enfant ? À la barre, la tante de M. raconte qu’un jour, il lui a confié : « Tu sais tatie, je ne me sens pas bien parce que ce soir-là je n’ai pas bougé, je n’ai rien fait, je n’ai pas aidé papa et maman. » Il n’avait que trois ans et neuf mois…

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