Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : « Il ne s’est pas sacrifié, il a combattu »

Publié le 29/01/2024

Ce lundi,  la cour a poursuivi l’audition des parties civiles dans le dossier des attentats de Trèbes et Carcassonne. La mère et le frère d’Arnaud Beltrame ont surpris l’assistance par leur courage et leur force de caractère.

Palais de justice de Paris
Photo : ©AdobeStock/ataly

« Dans notre tête, on n’avait pas la place pour un attentat, c’est Trèbes. Dans une grande ville, on doit avoir une place pour ça dans son esprit, mais pas dans notre tout petit village ». La femme qui s’exprime à la barre ce lundi après-midi est une des salariés du Super U. Au bout de six ans, cette mère de trois enfants n’a pas retrouvé d’emploi ; elle avoue ne pas savoir quoi faire de sa vie. Mais que peut-on faire quand un bruit, une image n’importe quoi vous ramène à ce jour fatidique où un homme armé abat l’un de vos collègues et un client ? Dans le Code pénal, le terrorisme consiste en le fait de commettre une infraction « dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Les victimes rappellent à l’occasion de leur témoignage que même lorsqu’on survit à un attentat, la terreur dure longtemps pour ne pas dire toujours. Impossible par exemple pour cette salariée de venir témoigner en train ou en avion, il a fallu prendre la voiture. On comprend qu’ainsi elle échappait à la foule dans une bulle d’intimité. « J’ai réussi à prendre le métro, je ne pensais pas », confie-t-elle. Aller chez le coiffeur pour la première fois depuis six ans a été une autre victoire. Mais la visite aux Galeries La Fayette s’est révélée impossible. Trop de monde. Pas plus que dîner dehors. Si le bruit est insupportable, le silence peut l’être plus encore. La femme à la barre confie encore qu’elle a dormi avec la télévision allumée la veille de l’audience. Pour que les fantômes cathodiques chassent ceux de l’attentat, songe-t-on.

« Il y en a marre de la lâcheté, de ce laxisme »

Depuis vendredi, le bal des victimes qui viennent témoigner dans cette salle rappelle les fleuves de chagrin qui se sont déjà déversés ici à l’occasion du procès V13 (2021-2022) pour lequel ce lieu a été construit, puis de celui de l’attentat de Nice (2022). Ce sont les mêmes voix brisées par l’émotion, les mêmes mouchoirs que l’on triture, les mêmes récits de vies fracassées. Mais voici que s’approche de la barre la mère d’Arnaud Beltrame.  « Il ne s’est pas sacrifié, il a combattu, il a eu une carrière extraordinaire, il a toujours été comme ça. Il y en a marre de la lâcheté, de ce laxisme il est temps de se réveiller ! Je pleure mon fils mais je suis fière de lui ». Le ton est donné, cette femme ne versera pas une larme, au contraire, elle électrise la salle d’audience. Le goût de l’armée ? Arnaud Beltrame l’a hérité de la branche paternelle, remplie de militaires, dont un grand-père rentré blessé d’Indochine. De son côté à elle, la Bretonne, c’est « la culture paysanne, pleine de bon sens et de valeurs ». « Sa vie c’était la patrie, poursuit-elle, je n’aurais jamais imaginé un attentat à Trèbes, il est temps de se réveiller ! » lance-t-elle encore. Cette femme a la trempe d’un général. Les psychiatres ? Elle n’en a pas besoin, « je vais vers les animaux, la nature l’océan, les choses essentielles, les vraies valeurs ». Et de conclure « Je crois en la justice. Qu’elle punisse vraiment sévèrement tous ces terroristes ». On s’attendait aux larmes d’une mère, on a reçu un uppercut.

« Si, dis un mot »

Alors qu’elle retourne s’asseoir, les avocats et le président échangent sur le témoignage de Damien, l’un des deux frères cadets d’Arnaud Beltrame. Il est venu mais ne veut pas s’exprimer, estimant qu’il n’a rien à dire de particulièrement utile. Sa Bretonne de mère ne l’entend pas de cette oreille « Si, dis un petit mot ! » lui lance-t-elle. Ce n’est pas l’injonction d’une mère autoritaire à un fils soumis, mais plutôt celle d’un entraîneur sportif à un champion. La salle sourit. L’homme en chemise blanche (il fait très chaud dans la salle) se lève et s’approche de la barre.

« Vous n’êtes pas obligé », intervient le président, visiblement plus tendre que Madame Beltrame. Mais les dés sont jetés. De huit ans le cadet d’Arnaud, il indique être entrepreneur à Maisons-Alfort. « Ce qui m’importait le plus était de savoir qu’il n’avait pas été une victime, qu’il était mort en combattant » explique-t-il, en cela, le procès lui a déjà apporté des réponses par rapport au dossier. « J’ai l’impression qu’Arnaud avait déjà été blessé par balle avant de sauter sur le terroriste, ça me rassure il s’est dressé contre ce terrorisme islamiste qui a fait énormément de dégâts en France, maintenant qu’est-ce qu’on fait pour empêcher cette dégradation de notre pays, de nos valeurs ? questionne-t-il. Il faut que justice soit faite ; exemplaire et très dure pour que les prochains qui aient cette idée y réfléchissent à deux fois ». Damien Beltrame est aussi solide et direct que sa mère. S’il est ému, ça ne se voit pas. Sa déclaration tient en pas plus de mot qu’il n’en faut dans un briefe d’opération militaire. Les avocats des parties civiles tentent de lui arracher quelques déclarations supplémentaires.

« Qui ose gagne »

« Sur sa tombe est inscrite la devise du 1er RPIMa* « Qui ose gagne ». Il a osé, il a gagné ? interroge une avocate des parties civiles. « Je préfère les héros vivants, j’aurais préféré qu’il s’en sorte et qu’il tue le terroriste ». Il se reprend « qu’il le neutralise ». Puis il poursuit « là où Arnaud a gagné, c’est qu’il y a des dizaines de personnes qui ont voulu devenir gendarme, policier, pompier à sa suite, c’était important pour lui de passer le flambeau. Toutes les personnes qui se sont engagées pour suivre son exemple peuvent à leur tour sauver des vies. En ce sens, on peut dire qu’Arnaud a gagné ». Pas une larme, pas un sanglot étouffé chez les membres de cette famille qui semble taillée dans du granit. Damien Beltrame retourne à sa place.

Après une suspension, voici qu’entre Rachel. C’est la nièce d’Hervé Sosna, le client assassiné dans le Super U. Avec elle, c’est tout le chagrin engendré par un attentat qui s’effondre sur le public désormais clairsemé de la salle d’audience. « Ce n’était pas son jour de course, il y allait le jeudi et pas le vendredi d’habitude » commence-t-elle. Alors qu’on projette une photo de la victime, elle poursuit le récit terrible de ces proches alertés par les médias qu’un attentat est en cours et qui cherchent désespérément à joindre l’ami, le parent qu’ils pensent en danger. Les policiers, les secouristes et les gens de justice le savent, c’est le bruit des téléphones sonnant dans le vide qui est le plus terrible sur ce genre de scène. « On l’a appelé toute la matinée, on s’inquiétait beaucoup car il avait eu une opération très grave à cœur ouvert, on a pensé à la crise cardiaque mais à aucun moment qu’il pouvait être une victime, on a appelé partout, longtemps ».

« On n’a plus que son sourire, c’est tout »

En apprenant que des personnes s’étaient réfugiées au garage Peugeot voisin, l’espoir de la famille renaît. C’est sûr, il doit être là, avec les autres survivants. Mais à 21 heures, des policiers demandent qu’on leur ouvre la maison. Ils emportent des photos et des mégots de cigarette. Plus tard dans la nuit, le maire arrive accompagné de policiers. La terrible nouvelle tombe.  « Hervé ne méritait pas ça, il était discret, il était né à Trèbes, il avait grandi à Trèbes, il était attaché à ses racines, à son village. Il aimait les grands auteurs, Hugo était son préféré, il aimait aussi aller se balader dans la nature, et puis les animaux ». Rachel s’étrangle de chagrin. La salle retient sous souffle, le silence est total. Elle reprend péniblement « Depuis qu’on l’a perdu, c’était le pilier de la famille avec mon père… ». À nouveau le silence.  « Nous avons tout perdu, il y a eu les inondations, les photos que vous avez c’est tout ce qu’il nous reste, on n’a plus que son sourire, c’est tout ». Sur la photo projetée derrière la cour, Hervé sourit pour l’éternité. « J’espère que ma parole aujourd’hui fera en sorte qu’on se rappelle d’Hervé, de qui il était ». Rachel quitte la barre, en larmes, épuisée. Elle était le dernier témoin de la journée. La greffière quant à elle a retrouvé la photo d’Arnaud Beltrame que le président réclamait depuis le milieu de l’après-midi pour la projeter au moment du témoignage de sa famille. Deux clichés du héros souriant issus de son téléphone portable apparaissent à l’écran, la salle les regarde en silence durant quelques minutes. Et puis elles s’éteignent. L’audience est levée.

Le temps des victimes est achevé. Celui des accusés débute mardi avec l’audition des proches du terroriste.

 

*Premier régiment de parachutistes d’infanterie de marine.

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