Procès des attentats de Trèbes-Carcassonne : « Notre famille a honte d’être associée à cet événement »
Au 10e jour du procès des attentats de Trèbes-Carcassonne, on a entendu à la barre la mère et le frère aîné de deux des accusés. Alors que l’éloignement engendre un recours intensif à la visioconférence, ils ont eu le courage de faire le déplacement. La défense a marqué des points.
Au procès des attentats de Trèbes-Carcassonne qui ont fait quatre morts le 23 mars 2018, la visioconférence évite à de nombreux protagonistes, en particulier les proches des accusés, de s’infliger un trajet de 800 kilomètres pour répondre aux questions de la justice. Parfois cependant, on se demande si c’est une si bonne idée que cela. Mercredi matin par exemple, on a entendu une ancienne amie du terroriste, depuis Carcassonne. Elle usait avec la Cour d’un ton si peu adapté que l’une des avocates générales, au moment de poser ses questions, a jugé bon d’opérer cette mise au point : « Madame, c’est peut-être l’effet de l’éloignement, mais je suis obligée de vous rappeler que vous vous adressez à une cour d’assises, alors vous ne m’interrompez pas, c’est moi seule qui juge de la pertinence d’une question, et c’est le président qui décide si la projection d’une pièce est utile, pas vous ».
Des enquêteurs sans visage et des témoins lointains
Les jours suivants, on a entendu des enquêteurs sans visage, et des témoins lointains. La situation se complique dans ce procès, pour le public comme pour les journalistes, par le fait que depuis plusieurs jours, les écrans disséminés dans la salle ne diffusent plus ni les auditions des témoins présents (en principe une caméra les filme de face), ni surtout les personnes entendues en visioconférence. Ce procès est donc devenu un son sans images. Et encore, quand le son fonctionne…
C’est dire à quel point tout le monde a été soulagé lorsqu’en fin de journée vendredi, deux personnes en chair et en os se sont enfin présentées à la barre. Le terroriste Radouane Lakdim est mort lors de l’assaut du Super U. Les accusés que l’on juge sont des personnes de son entourage proche. Parmi eux, deux frères : Sofiane et Samir Manaa. Le plus âgé, Sofiane, comparait libre. Il lui est reproché une détention d’arme et de munitions de catégorie B et C sur le contenant desquels on a retrouvé l’ADN de Radouane Lakdim. À cette exception près, c’est un garçon presque sans histoire (un petit casier pour violences), qui a un métier, cuisinier, une maison et une famille. Les armes ont été dissimulées chez lui par son frère cadet, Samir dont le profil est nettement plus problématique aux yeux de la justice. Non seulement il a un casier étoffé, mais il était un ami de Radouane Lakdim. Au point de pleurer, en apprenant qu’il était l’auteur de l’attentat. La justice le poursuit pour avoir accompagné le terroriste lorsque celui-ci est allé acheter, dans un magasin de chasse, le poignard à lame de 15 centimètres qui blessera mortellement Arnaud Beltrame.
« Samir n’est pas parfait, mais ce n’est pas un criminel »
Il est 16 h 53 quand la mère des deux accusés entre dans la salle. Manteau noir, tête nue, elle s’approche, très digne, de la barre et commence par adresser ses condoléances aux victimes. Puis elle dit ce que disent toutes les mères dans de telles circonstances, que ses fils sont gentils, serviables. De Samir elle précise « il n’est pas parfait mais ce n’est pas un criminel ». Elle est arrivée à l’âge de 6 mois dans le fameux quartier Ozanam, « il n’y avait que nous les Kabyles avec quelques familles espagnoles, nos pères étaient mineurs » explique-t-elle. « Mes enfants n’ont jamais manqué de quoique ce soit, on allait à la mer, ils faisaient du sport, du judo, de la boxe ».
Le parquet voudrait bien savoir comment ses deux fils ont réagi quand ils ont appris ce que venait de faire Radouane Lakdim, mais la mère s’abrite derrière une unique réponse quel que soit l’angle d’attaque : « c’était quelqu’un du quartier. Ce n’est pas parce qu’on connaît une personne qu’on sait ce qu’elle va faire ».
Puisque cette femme née en 1967 est arrivée dans à Ozanam à l’âge de six mois, un avocat des parties civiles l’interroge sur l’évolution d’un quartier désormais gangrené par le trafic de stupéfiants et les armes. « J’ai grandi là, il n’y a jamais eu de violences, on était tous frères et sœurs, on est parti en 2003, c’est là que ça a commencé à empirer ».
« —Vous parlez arabe ? interroge un avocat de la défense.
—Non.
—Et Samir ?
—Non. Je suis kabyle, mais je ne le parle pas, mes parents parlaient très bien français, on fête Noël et Pâques.
—Vous n’avez pas donné d’éducation religieuse à vos enfants ?
—Non, ça ne m’intéresse pas. Même papa et maman ne faisaient pas la prière, on fêtait Noël, moi, je fais le ramadan, c’est tout ».
« Mes fils et les autres n’ont rien à voir »
Quand on évoque les attentats, cette mère répond « Qu’est-ce que c’est ce monde, où on va ? ». Puis elle déclare en désignant les accusés : « Pour moi, mes fils et les autres n’ont rien à voir, la personne responsable elle n’est pas là. Eux tous ils n’ont rien à voir là-dedans ça a été prouvé, il n’y a pas de complicité ».
Sofiane demande la parole. Il explique que c’est difficile de parler face à sa mère, puis s’adressant à elle « Ta place n’est pas là, je m’excuse.
—Je le sais, sinon je ne serai pas ici, lui répond-elle. Samir n’a pas pu dire au revoir à sa grand-mère morte l’an dernier, jusqu’au dernier moment elle l’a réclamé, poursuit-elle en se tournant vers le président.
—En même temps, il y avait des armes chez lui, précise doucement le magistrat.
—Il n’aurait pas dû les cacher » convient-elle.
Elle cède la place à l’aîné de la fratrie, Idriss, 33 ans, chaudronnier soudeur, marié, deux enfants. Comme sa mère, il commence par un mot d’hommage et de soutien « aux victimes de cet acte ignoble, en espérant que le procès apporte réponse et quiétude à tout le monde ». Après avoir demandé l’autorisation au président (les témoins en principe ne doivent pas lire un document à la barre), il sort un minuscule papier de sa poche qu’il a rédigé dans le train, c’est la liste des choses qu’il a peur d’oublier de dire sous l’effet du stress.
« Nous n’avons rien à voir avec cette idéologie »
« Notre famille a honte, moi aussi, d’être associée à cet événement, nous n’avons rien à voir avec cette idéologie. On a grandi dans le partage, le respect, la tolérance avec des amis de toute confession et de toute origine ». De son frère Sofiane, il explique qu’il avait vite compris que l’école n’était pas pour lui, à 16 ans il entre en apprentissage, puis devient l’un des plus jeunes chefs cuisinier, avec une très bonne image ». Quant à Samir, il admet qu’il a pu être « immature ». De Radouane Lakdim, il n’a jamais vu qu’une seule face, celle d’un homme gentil, respectueux. « En effet il avait une pratique assidue de la religion, comme toute personne pratiquante, mais je l’ai déjà vu ivre ou en train de fumer. Quand j’ai su que c’était lui, j’étais abasourdi ». Il a terminé sa déclaration et précise au président que c’est bien lui qui l’a écrite, proposant même de lui donner le papier. La cour décline son offre.
Aux questions qu’on lui pose sur les actes de son frère Samir, il répond inlassablement : « immaturité ». Et précise « Mon frère n’aurait jamais permis la mort d’un être humain. Ce n’est pas possible.
—Dans ces conditions on se met à distance des armes, rétorque le président.
—Peut-être qu’il a subi des pressions, peut-être qu’il a voulu se racheter du quartier » suggère Idriss.
L’explication de l’immaturité ne convainc guère un avocat des parties civiles qui engage le fer avec le témoin. « Nous sommes 90 avocats à Carcassonne et 15 magistrats. Les gens que fréquentait votre frère, tout le monde sait qu’il faut les éviter, on les voit toutes les semaines en comparution immédiate.
—Le quartier est petit, on se connaît tous, on se fréquente tous » répond le témoin.
La justice n’en tirera rien de plus. Le fait que cette mère et ce grand frère aient fait l’effort de se déplacer depuis Carcassonne pour dire leur vérité dessine l’image d’une famille respectable dont un des membres s’est égaré à cause de ses mauvaises fréquentations. La défense de Sofiane et Samir a marqué un point important. C’est là sans doute une nouveauté attachée au recours de plus en plus fréquent à la visioconférence : il y a une prime évidente au témoin qui se présente physiquement à la barre. Chacun sent bien qu’une présence dans la salle d’audience contribue davantage qu’un témoignage par écran interposé à ce travail de compréhension des faits et des hommes qui permet de juger le moins mal possible.
Pour lire nos chroniques de ce procès, c’est par ici.
Référence : AJU418735