TJ Créteil : « Elle n’est pas tout en haut du trafic, mais elle n’avait pas non plus de la cocaïne dans le ventre ! »

Publié le 18/06/2024
TJ Créteil : « Elle n’est pas tout en haut du trafic, mais elle n’avait pas non plus de la cocaïne dans le ventre ! »
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La prévenue est présentée en comparution immédiate devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil pour avoir tenté de transporter près de 300 000 euros issus du trafic de drogues de l’Hexagone à la Guyane. Malgré un casier vierge et la reconnaissance totale des faits, la procureure requiert une peine de prison ferme, tandis que la défense met tout en œuvre pour l’éviter.

Veste en jean, tresses impeccables, maintien exemplaire. Madame K., 32 ans, comparaît pour la première fois devant un tribunal mais joue très gros… Elle a été interpellée à l’aéroport d’Orly, d’où elle comptait rejoindre la Guyane, sa terre natale. Dans sa valise, 275 980 euros en liquide. Le président du tribunal montre des photos de la découverte à ses assesseurs avant de demander à la prévenue :

« — Vous pouvez expliquer ?

— On m’a donné les paquets et je les ai mis dans ma valise, répond-elle sans hésitation.

— On vous fait confiance ?

— Ils avaient ma photo. »

Les billets ont été analysés en laboratoire et les traces de cocaïne et de cannabis retrouvés dessus sont 10 fois, 20 fois, parfois 100 fois supérieures à la normale, preuve que cet argent est le fruit d’un trafic de drogues. Elle le savait.

« — À qui deviez-vous remettre l’argent ?

— Je ne sais pas à qui, ils avaient ma photo et devaient venir me chercher à l’aéroport.

— Qu’est-ce que vous veniez faire de ce côté-ci de l’Atlantique ?

— Une formation en coiffure. Je suis coiffeuse de formation. »

Madame K. assure qu’elle ne devait pas être rémunérée pour la transaction – même si elle espérait toucher une petite somme – et qu’elle l’a fait, parce qu’elle entretenait une relation intime avec celui qui l’a sollicitée pour ce transport. « Il m’a demandé une première fois, j’ai refusé. Puis il m’a relancé sur Snap et j’ai accepté. »

Droite, immobile, digne, cette coiffeuse à domicile aux revenus confortables (jusqu’à 4 000 euros par mois) répète, dès qu’elle en a l’occasion, qu’elle regrette ce qu’elle a fait, et répond aux questions de son avocate, simplement mais fermement :

« — Vous aviez conscience du très gros risque ?

— Oui.

— Avez-vous des proches dans le trafic ?

— Non.

— Est-ce que vous voyagez souvent ?

— Peu. »

Comme de coutume dans les affaires relatives au trafic de cocaïne entre la Guyane et l’Hexagone – et ils sont fréquents à atterrir devant cette juridiction –, la procureure entame ses réquisitions sur les « ravages » que provoquent cette drogue. Concernant la somme retrouvée sur Madame K. : c’est à la fois peu, ne représentant que quelques kilos de cocaïne, et beaucoup, « ce n’est pas une somme qu’on prête à n’importe qui ». De quoi en déduire le rôle d’intermédiaire tenu par la prévenue dans le trafic : « Elle n’est pas tout en haut, mais elle n’avait pas non plus de la cocaïne dans le ventre ! » La magistrate assure ne pas croire à la version de la prévenue, qui se serait rendue dans l’Hexagone pour une formation de coiffeuse et aurait finalement accepté de faire la transaction. Elle demande aux juges de prendre une décision forte, proportionnelle à « l’immensité de la somme », et requiert deux ans de prison, dont six mois ferme avec mandat de dépôt et dix-huit mois avec sursis, ainsi que de ramener l’amende douanière à de plus justes proportions.

Sur un ton indigné, la défense rappelle que Madame K. comparaît pour blanchiment et non pour trafic de stupéfiant. L’avocate insiste sur la bonne foi de sa cliente, qui a donné ses codes de téléphone et tous les éléments en sa possession pour aider les policiers dans leur enquête. Elle salue des réquisitions qui ne sont pas « hors sol » mais poursuit un but : éviter à sa cliente le choc carcéral avec le maintien en détention, proposant même d’allonger la durée de la peine si les juges l’estiment nécessaires. « Elle a compris que transporter de l’argent ou de la cocaïne, c’était pareil. Pas besoin de l’envoyer six mois à Fresnes pour ça ! » L’avocate demande un aménagement ab initio de la partie ferme qu’elle pourrait effectuer chez sa sœur à Poitiers et qui a d’ores et déjà fourni une attestation d’hébergement. « Ce serait déjà une punition de la maintenir ici, toute sa vie est en Guyane. » Et dernière demande : sur la somme totale, lui restituer 6 000 euros qui correspondent à ses économies.

Les juges reconnaissent Madame K. coupable et la condamnent au-delà des réquisitions à trois ans de prison, dont un an ferme avec mandat de dépôt et deux ans avec sursis. La totalité des scellés est confisquée et l’amende douanière fixée à 100 000 euros.

Si un drame se joue à l’intérieur d’elle, Madame K. n’en laisse rien paraître. Elle répond aux questions du juge concernant sa santé avec la même rectitude qu’en début d’audience. Doucement, son avocate se tourne vers le box : « On va aménager cette peine, ça va aller », lui promet-elle.

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