TJ de Bobigny : « Attention, on ne régularise pas les gens qui ont été condamnés ! »

Publié le 27/09/2024
Bobigny, instance
Clicsouris, CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons

Monsieur K., 17 ou 19 ans, est présenté en comparution immédiate pour vol, rébellion, violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique, mise en danger de la vie d’autrui et pour avoir donné à la justice de fausses identités. Malgré le soupçon de minorité, le tribunal s’empare de l’affaire et juge ce jeune homme né au Cameroun et arrivé seul en France il y a quelques mois.

L’homme qui se présente dans le box de la 17e chambre du tribunal judiciaire de Bobigny est tout jeune. Mais jeune à quel point ? Selon ses conseils, trop pour être jugé en comparution immédiate et c’est à une juridiction pour enfants qu’il devrait être présenté. Selon le représentant du ministère public, Monsieur K. ment sur son âge espérant bénéficier d’un jugement plus clément.

L’affaire avait déjà été renvoyée pour cette raison et une expertise osseuse diligentée pour déterminer l’âge du prévenu : est-il né le 1er janvier 2005 comme il l’a affirmé lors de la première fois où il a décliné son identité ? Ou le 1er janvier 2007 comme il l’a dit toutes les fois suivantes et lors de son entretien en tant que mineur isolé sur le territoire ? Question toujours sans réponse, puisque l’expertise osseuse n’a pu avoir lieu : Monsieur K. n’a pas été extrait de sa cellule. Selon le procureur, il est évident que le prévenu a refusé de s’y soumettre « pour ne pas risquer d’être déclaré majeur ». Mais quand on demande à Monsieur K. pourquoi l’expertise n’a pas eu lieu, il semble n’avoir pas compris de quoi il retournait et répond avec une voix robotique et très doucement : « Je pense être en santé, en forme. Je n’ai reçu aucune alerte sur ce que vous prononcez. »

Compte tenu des délais, le tribunal décide de ne pas renvoyer une nouvelle fois l’affaire, malgré le flou laissé sur l’âge du prévenu. Ce dernier a été interpellé pour des vols commis dans une pharmacie et un magasin de prêt-à-porter du centre commercial de Rosny-sous-Bois. D’après les policiers, le passage des menottes et le placement en garde-à-vue ont été rendus très compliqués par son agitation, il se cognait la tête contre des murs, se débattait à l’aide de ses jambes. Une fois dans la voiture, il aurait donné un coup de pied à la tête du conducteur, à l’origine d’une perte de contrôle du véhicule qui s’est encastré dans une barrière. Les trois policiers, examinés par les unités médico-judiciaires, ont chacun reçu deux jours d’ITT à la suite de l’accident. Le président de séance montre plusieurs photos de la voiture accidentée à l’auditoire.

En garde à vue, le prévenu reconnaît avoir tenté de voler des chaussures dans le magasin mais assure qu’il n’a pas voulu blesser les policiers. « J’ai été emmené de force, j’étais stressé. Je ne voulais pas faire de mal, je me suis frappé la tête pour sortir de la voiture », explique-t-il. En quelques minutes d’audition, le mot « stress » est répété une dizaine de fois. Et dans le box, Monsieur K. semble encore apeuré. Il répond avec une voix toujours aussi robotique posée par son avocate :

« — Vous n’avez pas souhaité causer l’accident de voiture ?

— Non Madame.

— Est-ce que vous avez volé dans la pharmacie ?

— Non Madame.

— Quand les policiers disent que vous les avez frappés, vous dites que non, c’est ça ?

— Oui Madame. »

Sans surprise, l’examen de la personnalité du prévenu laisse entrevoir une vie cabossée : Monsieur K. est né au Cameroun, il est en situation irrégulière sur le territoire français après être arrivé il y a dix mois, il n’a plus aucun contact avec sa famille à cause de violences intrafamiliales et aucun proche en France. L’expert psychiatre qui l’a vu relate une phobie sociale, des troubles obsessionnels compulsifs et une déficience mentale mais aucune altération du discernement.

L’avocate des parties civiles est la première à plaider. Elle représente les trois policiers municipaux de Rosny-sous-Bois et demande pour chacun 600 euros en réparation des dommages causés. Pour la ville, elle demande 780 euros au titre de l’article 475-1, qui correspondent aux frais de procédures – les dégâts matériels seront réglés par les assurances.

Le procureur enchaîne en parlant d’un dossier « pas compliqué » et met en garde le prévenu, avec une forme de bienveillance : « Attention, on ne régularise pas les gens qui ont été condamnés ! ». Prenant en compte le casier vierge de Monsieur K. et ses difficultés d’expression, il ne requiert pas d’incarcération immédiate mais huit mois de prison intégralement assortis de sursis, ainsi que l’interdiction de paraître à Rosny-sous-Bois.

De l’autre côté de la barre, la défense parle au contraire d’un dossier « pas clair du tout » mais salue des réquisitions sans prison ferme, « ancrées dans le réel ». L’avocate demande la relaxe pour le vol à la pharmacie – aucun élément dans le dossier n’en atteste –, ainsi que pour les faits de rébellion et violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique, puisque l’agitation de Monsieur K. était dirigée contre lui-même, sans la moindre volonté de nuire aux policiers. Concernant la fourniture d’identités imaginaires, elle demande là aussi la relaxe puisqu’il n’avait pas l’intention d’échapper à la justice. Quant au délit de mise en danger de la vie d’autrui, la conseille assure, images de vidéosurveillance à l’appui, que la voiture roulait doucement et dans un espace de parking au moment où a eu lieu l’accident, de sorte que le risque était minime.

Après en avoir délibéré, le tribunal relaxe Monsieur K. pour le vol à la pharmacie mais le juge coupable pour tout le reste. Il est condamné à six mois de prison avec sursis et devra payer 400 euros d’indemnités aux deux policiers passagers du véhicule, 600 euros à celui qui conduisait et les 780 euros demandés par la ville.

Plan