TJ de Bobigny : « La détention est le seul endroit où Monsieur peut être pris en charge, même si ça paraît invraisemblable » !
Monsieur O., présenté en comparution immédiate, souffre visiblement d’une pathologie psychiatrique qui a pu altérer son jugement. Pour que le prévenu puisse voir un expert psychiatre, le tribunal renvoie l’affaire. Reste à savoir ce qu’il va devenir dans l’attente de son jugement : détention provisoire ou libération sous contrôle judiciaire ?
Avec son bras gauche dans le plâtre et sa plaie sur le front, le prévenu semble bien amoché. Il comparaît devant la 17e chambre du tribunal judiciaire de Bobigny pour des faits de violence et pour avoir recouvert sa cellule de garde-à-vue de ses excréments. « Je vous épargne les vidéos », glisse la présidente de séance. D’emblée, elle pointe deux problèmes dans ce dossier : l’une des deux victimes présumées de Monsieur O. n’a pas été informé de la procédure. « Autre difficulté, le tribunal s’interroge sur l’opportunité d’une expertise psychiatrique », explique la juge. Et pour cause : le prévenu s’est lui-même entaillé le visage avec un morceau de rouille qu’il a délogé du mur de sa cellule en garde-à-vue, il a également déclaré avoir découpé son ancien plâtre sur ordre de voix qu’il entend et Monsieur O., suivi par le passé, est actuellement en arrêt de soins psychiatriques. Son avocate ajoute que le tribunal de Paris avait déjà acté l’irresponsabilité pénale du prévenu en 2021.
« On voudrait demander une expertise psychiatrique pour savoir si votre jugement était altéré. C’est dans votre intérêt, il ne s’agit pas de vous stigmatiser », tente d’expliquer la présidente de séance au prévenu. Il écoute attentivement, sans qu’on sache ce qu’il comprend, faute de bien maîtriser le français.
Avec l’accord de toutes les magistrates et de l’avocate du prévenu, la juge annonce le renvoi du dossier à une date ultérieure. Reste à savoir ce que Monsieur O. va devenir en l’attente de son jugement… Sans évoquer le fond du dossier, le tribunal s’attarde sur sa personnalité : 28 ans, en situation irrégulière, sans-domicile fixe vivant dans sa voiture du côté de La Villette, des revenus variables en fonction de son activité de vendeur à la sauvette, trois mentions au casier judiciaire, une pathologie de type psychotique… « Avec ce type de dossier, ce sont les affres de la psychiatrie qui arrivent devant nous », commence la procureure. Comme c’est bien souvent le cas lors des renvois, la représentante du ministère public demande à ce que le prévenu soit placé en détention provisoire. Ici, en assurant qu’il en va de la santé de Monsieur O. « La détention est le seul endroit où Monsieur peut être pris en charge, même si ça paraît invraisemblable », admet-elle.
L’avocate du prévenu rejoint la procureure sur la situation : c’est la souffrance des services publics qui atterrit au tribunal. Mais ses conclusions sont diamétralement opposées. « La réalité, c’est que l’enfermement vient accentuer les pathologies psychiatriques, on l’a bien vu lors de sa garde-à-vue », insiste Me Nina Peter. Elle plaide pour la mise en place d’un contrôle judiciaire et conclut : « C’est l’hôpital qui procure le soin, pas la prison » !
Après une pause pour délibérer, la présidente de séance se réinstalle à son siège. « Vous pouvez vous asseoir », répète-t-elle au prévenu. « Pour des raisons que je peux comprendre, vous n’avez pas d’écharpe pour votre bras, alors reposez-vous », marmonne-t-elle moins à l’intention de Monsieur O. que du reste de l’auditoire. Elle annonce le renvoi de l’audience un mois plus tard, la demande d’expertise psychiatrique et l’incarcération en détention provisoire du prévenu dans le centre hospitalier de Fresnes.
Ce nom fait bondir le prévenu. « Pas Fresnes, s’il vous plaît, pas Fresnes », implore-t-il. Jusque-là très calme, il commence à faire de grands gestes et à parler fort. La main sur le cœur, il supplie :
« — S’il vous plaît, ailleurs. Ramenez-moi à l’hôpital, s’il vous plaît.
— Fresnes a un hôpital. Dans l’état où vous êtes, il est hors de question de vous mettre dans une cellule avec des barreaux, répond fermement la juge.
— Jugez-moi aujourd’hui, s’il vous plaît !
— Il faut être sérieux quand même. On ne peut pas vous juger aujourd’hui alors que votre jugement est peut-être altéré. Je note bien de prévoir un interprète. »
Le prévenu semble poursuivre ses suppliques auprès de ses escortes de la police. Juste avant qu’il ne disparaisse, la présidente tente une dernière fois de le convaincre : « Monsieur, c’est dans votre intérêt. »
Référence : AJU011a0