TJ de Bobigny : « Lancer des cailloux sur un commissariat, ce n’est pas bien, mais ça ne va pas le faire s’écrouler » !

Publié le 01/02/2024
hotel de police nationale, commissariat
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Monsieur P. est présenté en comparution immédiate pour avoir participé, à l’attaque du commissariat de Rosny-sous-Bois (93) lors des émeutes du début de l’été. Jeune homme sourd au casier judiciaire vierge, il a reconnu dès son audition en garde à vue avoir lancé des pierres sur le bâtiment.

En ce jour, la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny est replongée dans les événements qui ont eu lieu un peu partout en France au début de l’été 2023. Monsieur P. comparaît pour rébellion, groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences et dégradations lors de l’attaque du commissariat de Rosny-sous-Bois (93) pendant les émeutes qui ont embrasé les quartiers populaires après la mort de Nahel.

Petit et trapu, le gaillard de 22 ans est debout, derrière la vitre, l’air grave. Pour comprendre ce qu’il se dit dans la salle, il regarde fixement la jeune interprète qui traduit en langue des signes chaque parole des magistrats. Et c’est par sa voix à elle qu’il reconnaît sa participation aux émeutes en ayant jeté des pierres sur le commissariat. Dès son audition en garde à vue, le prévenu avait reconnu ces faits et s’était même effondré en larmes. Pendant l’audience, il assure aussi être « désolé pour la main du policier », cassée cette nuit-là. Le fonctionnaire de police, après être arrivé à 13 heures pour le début des comparutions immédiates, n’est plus présent en ce début de soirée mais est bien représenté par un avocat pour se constituer partie civile.

Une question fait débat : le prévenu est-il à l’origine de la blessure du fonctionnaire de police ? Oui, assure le procureur, en raison de son agitation décrite par la police au moment de son interpellation. Il requiert 12 mois de prison avec sursis, malgré le casier vierge du prévenu et en reconnaissant qu’il a pu, en raison de son handicap, se retrouver dans une position particulière. « Mais il est adulte et responsable », nuance le jeune magistrat. Il ajoute, solennel, que « le commissariat est un lieu qui accueille les victimes » pour justifier des réquisitions si lourdes et rappelle au passage le contexte de l’infraction, lors des émeutes du début de l’été qui ont secoué le pays.

L’interprète se rassoit en même temps que le procureur, elle est remplacée par sa consœur qui se met à traduire les propos de l’avocate de Monsieur P, dont la plaidoirie va droit au but. Elle rend coup sur coup au procureur, le contredisant point par point. La rébellion ? « Dans le PV d’interpellation, il n’y a pas la moindre information qui indique précisément ce qui a causé la blessure du fonctionnaire de police. C’est la relaxe que vous devez prononcer », intime-t-elle aux juges. Quant aux deux autres chefs d’accusation – groupement en vue de commettre des dégradations et dégradations : « Il faut choisir. Si c’est dans le même moment, on ne peut pas entrer en voie de condamnation pour ces deux motifs à la fois. » Elle insiste sur la vie semée d’embûches de son client – sourd, placé à l’aide sociale à l’enfance tout en s’étant toujours tenu éloigné de la délinquance – et ajoute : « Lancer des cailloux sur un commissariat, ce n’est pas bien, mais ça ne va pas le faire s’écrouler !  » Elle finit en demandant au tribunal d’envisager plutôt une peine de travaux d’intérêt général.

L’une des juges assesseurs se tourne vers le prévenu pour lui demander son avis sur une peine éventuelle de TIJ.

« — C’est quoi ?, demande-t-il naïvement.

— Un travail non rémunéré, faire quelque chose de bien pour la société.

— Oui, oui. Il y a juste que si tout va bien, je souhaiterais déménager à Lyon à partir de février 2024.

— Ça ne poserait pas de problème. À condition bien sûr qu’on opte pour le TIJ », précise la présidente de séance.

Comme de coutume, Monsieur P. a le dernier mot. « La situation au commissariat, ça a été très bête. J’ai envie d’avancer dans la vie, d’emménager à Lyon, de m’impliquer dans le foot là-bas. » Il termine en disant qu’il est « désolé pour la main du policier ».

Après une pause pour délibérer, la présidente revient s’asseoir. Monsieur P. est relaxé pour les faits de rébellion au bénéfice du doute et le policier par conséquent débouté de sa demande pour se constituer partie civile. Le prévenu est également relaxé pour la participation à un groupement mais bien reconnu coupable de dégradations. Il écope de 140 heures de travaux d’intérêt général, à effectuer sous six mois. « Ce sera possible de les faire à Lyon », précise la juge.

Monsieur P. sourit. L’une de ses interprètes lui fait de grands gestes en quittant la salle : même sans maîtriser la langue des signes, on comprend qu’ils se donnent rendez-vous devant le tribunal, duquel Monsieur P. peut désormais sortir librement.

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