TJ de Bobigny : « On ne peut pas prendre 30 mois de prison pour 6g de cannabis ! »
Chétif et âgé d’à peine 23 ans, Monsieur M. comparaît devant les juges pour avoir vendu du cannabis en récidive. Le prévenu répond de manière floue à toutes les questions, sauf celles relatives au trafic : il assure qu’il ne vendait pas de drogue et n’avait sur lui que sa consommation personnelle de cannabis.
Monsieur M. est vêtu d’un t-shirt turquoise à l’effigie du FC Barcelone et d’un jogging bleu foncé. Sa tenue, bien identifiable, a contribué à l’amener ici, devant la 18e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny, pour trafic de stupéfiants en récidive. Deux jours plus tôt, des policiers en patrouille ont vu un jeune homme ainsi vêtu échanger un pochon transparent contre un billet rouge, aux abords d’un point de deal à Aubervilliers. Sur lui, les policiers retrouvent trois pochons pour un total de 6,40 grammes de résine de cannabis, ainsi que 1 400 euros en liquide. Le président de séance poursuit de sa voix grave la lecture du dossier avec l’exploitation de la caméra piétons : sur les images, des agents de police demandent à l’acheteur non francophone de confirmer l’identité du vendeur. « This people gave you this ? », lit le juge sans un effort pour gommer son accent français. « Yes », répond l’acheteur.
Auditionné, le prévenu assure pour sa part qu’il venait juste d’acheter trois barrettes, sa consommation personnelle, et s’apprêtait à rouler un joint. « Je jouais juste au PMU, mais les policiers m’ont reconnu et savent que j’ai déjà vendu », explique le jeune homme. Il ajoute : « Ça fait deux ans que je n’ai pas vendu. » En garde à vue, le prévenu a aussi refusé de donner les codes permettant l’exploitation de son téléphone. « Il y a des trucs personnels, sur la famille et tout », assure-t-il simplement. Le juge continue à questionner :
« — D’où vient l’argent que vous aviez sur vous ?
— Je suis agent d’entretien.
— Donc vous êtes payé par virement bancaire. Pourquoi tout ce liquide ?
— Je préfère retirer mon argent et je comptais acheter un scooter à un ami à moi.
— Comment s’appelle-t-il ? »
Le prévenu ne donne pas de nom et parle d’un ami d’ami qu’il ne connaît pas vraiment. Sur sa présence à Aubervilliers, alors qu’il vit à Villeneuve-Saint-Georges dans le Val-de-Marne, Monsieur M. est tout aussi flou : « Je nettoie des bureaux, je fais le ménage dans le coin », dit-il avant qu’on comprenne qu’il ne travaillait pas ce jour-là.
Son avocate intervient : « Monsieur ne vous l’a pas dit mais il est d’Aubervilliers. Sa famille a quitté la ville mais tous ses repères sont là-bas. Jusqu’à l’année dernière, c’était chez lui », insiste-t-elle.
La procureure se saisit des réponses floues et des non-dits qui ont plané tout au long de l’audience pour entamer ses réquisitions : « Je suis frappée par le fait que Monsieur ne dise pas la vérité. Les faits sont parfaitement constitués, qui plus est dans la tenue distinctive qu’il porte aujourd’hui. » Avec quatre mentions au casier dont trois qui concernent des affaires de stup, elle estime que le prévenu a bénéficié de « faveurs » les fois précédentes, notamment avec une peine aménageable et 12 mois de sursis datant d’avril 2022.
Sous l’œil inquiet de la sœur du prévenu assise sur les bancs du public, la procureure requiert 18 mois de prison ferme et la révocation totale du sursis probatoire. Elle demande également une interdiction de séjour dans le département pour trois ans et la confiscation des sommes d’argent retrouvées par les policiers, tant les 1 400 euros que le prévenu avait sur lui, que les 200 euros perquisitionnés au domicile familial.
« Les réquisitions sont très lourdes : 30 mois de prison, soit deux ans et demi. Tout ça pour 6,40 g de cannabis ! », s’indigne Me Alix Villanove, avocate du prévenu depuis 2019. Elle rappelle que son jeune client a grandi dans un contexte compliqué, auprès d’une mère avec un handicap mental, et enjoint les juges à lire les conclusions du SPIP 94 qui a suivi Monsieur M. pour une précédente condamnation et le décrit comme « volontaire et collaboratif ». Les éléments apportés au dossier ne suffisent pas, selon l’avocate, à démontrer avec certitude que son client a fait cette transaction. « À 30 mois requis, on fait des investigations », se scandalise-t-elle, rappelant qu’aucun dépistage n’a été effectué sur les billets saisis. L’avocate demande la restitution de l’argent trouvé dans la poche de la veste du frère de Monsieur M. durant la perquisition effectuée au domicile familial – les 200 euros, qui correspondent selon l’avocate à l’allocation perçue par la mère du prévenu au titre de son handicap – et un quantum de peine plus léger. « On ne peut pas prendre 30 mois de prison pour 6 g de cannabis », répète Me Alix Villanove.
Les juges lui donnent raison : son client est condamné à 10 mois de prison assortis d’un mandat de dépôt mais le sursis n’est pas révoqué. Le scellé de perquisition est remis à la famille mais Monsieur M. est interdit de séjour dans le département pour trois ans.
Référence : AJU010l1