TJ de Bobigny : « Quand j’ai perdu la garde de mes enfants, ça a tué ma famille » !

Publié le 07/12/2023
TJ de Bobigny : « Quand j’ai perdu la garde de mes enfants, ça a tué ma famille » !
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En plus de faits de violence qui ont valu à Mme F. 2 jours d’incapacité totale de travail, les médecins lui ont accordé 21 jours d’ITT en raison du harcèlement que lui a fait subir son ex-conjoint. Celui-ci reconnaît en partie les faits mais se pose surtout en victime d’une femme et d’une justice qui lui ont retiré la garde de ses enfants.

Assise au premier rang du public depuis le début de l’après-midi, la nuit commence à tomber quand Mme F. voit enfin apparaître son ex-conjoint derrière la vitre qui isole les prévenus de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny. Chignon impeccable, elle a les traits tirés et les yeux fatigués. Lui est souriant. Il semble à l’aise dans son sweat à capuche gris, pas du tout intimidé d’être là. Il risque pourtant la prison ferme, pour des faits de violences et de harcèlement sur son ex-compagne et pour s’être rendu à son domicile malgré l’interdiction décidée par les juges moins de trois mois avant cette audience.

Madame F. rentrait chez elle après avoir fait des courses avec ses jumeaux de 18 mois et un ami, quand elle aperçoit le père de ses enfants. Lui n’a plus la garde et surtout une interdiction d’entrer en contact avec elle. Mme F. assure qu’il l’insulte, essaye de saisir la poussette et la pousse par terre. Monsieur B. conteste formellement. « Elle s’est jetée sur le mur, en faisait « aïe, aïe, aïe »», dit-il en agitant ses bras pour mimer la scène qu’il raconte. Il prend ensuite un air sérieux et fait mine de se confier aux juges : « Vous allez peut-être trouver ça idiot, mais je voulais juste les voir, je voulais les entendre. Maintenant, je suis tout seul avec le chat » !

Cette altercation vaut deux jours d’ITT (incapacité totale de travail) à Mme F., qui porte plainte dans la foulée. Pas grand-chose, par rapport aux 21 jours d’ITT que l’unité médico-judiciaire lui a octroyés en raison d’un « symptôme psycho-traumatique majeur sans début de résolution ». La faute au harcèlement du prévenu.

Mme F. a fait installer des caméras de vidéosurveillance et fournit à la justice des captures d’écran où son ex-conjoint apparaît : il s’est rendu chez elle presque tous les jours du mois d’août, parfois plusieurs fois par jour, jusqu’à son interpellation. Le bornage de son téléphone portable corrobore les images et confirme sa venue. Une nuit, il a même tenté de s’introduire dans son logement mais les clés qu’il avait ne fonctionnaient plus, parce que Mme F. avait fait changer la serrure…

« — Vous ne respectez pas l’interdiction de contact, souligne la juge.

— Je n’y allais pas pour faire du mal.

— Mais vous reconnaissez que vous ne respectez pas l’interdiction. On est d’accord ?

— On est d’accord », admet le prévenu, toujours souriant.

Dès qu’il le peut, le prévenu revient au même sujet : les enfants. C’est dans la garde exclusive décidée par le juge aux affaires familiales à son ancienne compagne qu’il voit le nœud du problème. « Je ne méritais pas ça. Quand j’ai perdu la garde de mes enfants, ça a tué ma famille », insiste-t-il. Le prévenu jongle entre apitoiements sur son sort et accusations à l’encontre de la plaignante : « Elle savait que mon talon d’Achille, ce sont les enfants », dit-il en la décrivant comme ayant « l’alcool mauvais » et tout fait pour le voir entrer en prison.

La juge assesseure assise à gauche de la présidente essaie de faire entendre raison au prévenu :

« — Je m’interroge sur votre capacité à entendre le non. Celui de Madame, celui du juge aux affaires familiales, celui du tribunal correctionnel…

— Je suis capable d’entendre mais comprenez-moi ! Je veux juste voir mes enfants. Pourquoi avoir tout compliqué et tout détruit ? »

Quand Madame vient livrer son récit à la barre, son avocate la suit, protectrice. Elle commence par raconter les derniers mois de cohabitation, fait d’insultes au quotidien et de cocaïne retrouvée dans des coins. « Il disait aux enfants « maman est un caca ». C’est avant tout aux enfants qu’il fait du mal, assure-t-elle. Quand je me suis séparée, j’ai tout fait pour que ça se passe au mieux. » Sa voix est tremblante mais elle est habituée aux tribunaux : elle-même est avocate, en droit des affaires. « Plus je supportais ce qu’il me faisait subir, plus il allait loin dans sa violence », explique-t-elle.

« Monsieur, levez-vous au lieu de dormir », intime la présidente de séance au prévenu qui a gardé les yeux clos tout au long du témoignage de Mme F.

« — Je ne dors pas, je pense, réplique M. B. qui a toujours réponse à tout.

— Vous pensez à quoi ?

— C’est l’antidote de la vérité (sic). Je n’ai jamais levé la main sur elle. Je n’ai jamais insulté Madame, surtout devant les enfants. C’est juste que je suis un rigolo. Et avec les enfants, j’ai été parfait avec eux. Je suis quelqu’un de très doux, surtout avec les enfants. »

L’avocate de Mme F. entame sa plaidoirie en demandant 3 000 euros au titre du préjudice moral et 1 000 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. « Mais ce n’est pas le plus important », poursuit Me Anne Lassalle, pour qui le cœur de cette audience n’est pas les enfants, mais l’incapacité du prévenu à accepter les décisions de son ex-compagne. « J’ai vraiment très peur pour ma cliente qui dépérit. Elle a passé son été à surveiller les vidéos des caméras. Le peu de fois où elle est sortie avec les enfants, pour aller faire des courses, elle s’en prend une », poursuit l’avocate.

Au tour du procureur de partager ses inquiétudes, que l’audience n’a pas permis d’estomper : « Monsieur ne parle que de ses émotions. » Il insiste sur l’état de récidive et requiert 20 mois de prison dont 8 mois ferme avec mandat de dépôt et 12 mois de sursis. Le magistrat souhaite voir prononcer une interdiction de contact avec la victime et de paraître chez elle, ainsi qu’un stage de responsabilisation aux violences sexistes et sexuelles.

Avec son débit mitraillette, l’avocat du prévenu assure que les violences arrivent tardivement dans la relation et souligne que la profession d’avocate de la partie civile fait d’elle « un très beau soutien du défenseur civil ». Selon lui, il manque des preuves pour condamner son client pour les faits de violence, parce que le dossier montrerait « deux versions équivalentes » de la scène survenue au retour des courses. « Je verrais une de mes ex qui vient tous les jours chez moi, ça m’inquiéterait », reconnaît toutefois le jeune avocat. Mais il sous-entend au passage que Madame pourrait surréagir : « Après tout, on n’est pas tous égaux, on a des réactions différentes aux événements. » En lieu et place d’une incarcération, le conseil plaide la pose d’un bracelet antirapprochement.

Son client profite de sa dernière occasion de parler pour assurer qu’il est « vraiment peiné » et de conclure sur une note étonnante : « Le chat serait content de revoir les enfants. »

Ça n’aura pas suffi à émouvoir le tribunal, qui condamne Monsieur à 8 mois de prison avec mandat de dépôt et 12 mois de prison avec sursis, avec pose d’un bracelet antirapprochement. Il devra également verser 3 000 euros à la partie civile au titre du préjudice morale et 800 euros au titre de l’article 475-1.

En sortant de la salle, Mme F. sourit pour la première fois depuis le début de l’audience. Il est 22 h 30, il fait nuit noire mais trois dossiers s’empilent encore devant la présidente de séance.

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