TJ de Bobigny : « Si vous avez une réponse à toutes les questions, arrêtons-nous là ! »
Rébellion, outrage, usage de cannabis, port d’arme et dégradation : c’est pour tous ces faits que Monsieur B. est présenté en comparution immédiate. Avec 21 mentions au casier et 17 ans passés en prison, l’habitué des tribunaux ne reconnaît presque aucun des faits reprochés et trouve de bonnes raisons à tout…
« On a perdu l’avocate », soupire la présidente du tribunal… Tout le monde est en place mais l’audience ne peut commencer sans Me Nina Peter, qui enchaîne les plaidoiries depuis le début de l’après-midi. Après quelques minutes de flottement, l’avocate entre dans la salle d’un pas rapide pour défendre Monsieur B., 36 ans dont 17 passés en prison. Veste blanche, longues dreadlocks nouées en chignon, il est présenté devant la 17e chambre du tribunal judiciaire de Bobigny pour rébellion, outrage, usage de cannabis, port d’une arme de catégorie D et dégradation. Là-dedans, il ne reconnaît pas grand-chose : juste avoir traité un policier de « bounty » et cassé une caméra de vidéosurveillance au commissariat – qu’il a proposé de réparer –, car les agents l’auraient d’abord insulté.
Le couteau qu’il avait dans son sac ? Un outil de travail nécessaire dans le cadre de son stage chez Kiloutou. La menace envers les policiers en leur disant qu’il vient de sortir de prison où il a passé 17 ans ? Une invention des agents, « Ils ont appelé le centre de semi-liberté où je suis pour savoir ». Le sachet contenant 2,9 g de cannabis tombé de sa chaussette et le bloc de 72,8 g retrouvés dans ses parties génitales ? « Ma consommation personnelle de CBD. » Quand la procureure fait remarquer au prévenu que les échantillons contiennent une quantité importante de THC, le composant à l’origine des effets psychoactifs du cannabis, il rétorque immédiatement :
« — Le CBD contient aussi du THC, c’est scientifique.
— Si vous avez une réponse à toutes les questions, arrêtons-nous là ! »
En le disant, la procureure se rend compte de la maladresse de sa formule et enchaîne aussitôt avec de nouvelles questions. Tout au long de l’audience, les magistrates essaient de comprendre la logique du prévenu :
« — Pourquoi est-ce que les policiers vous chargent ?, demande la présidente de séance.
— Parce qu’ils ont fauté, assure Monsieur B. du tac-au-tac. Ils se sont dit, « c’est un dealer ». Si on m’avait dit « contrôle d’identité », j’aurais dit ok, je me suis déjà fait contrôler. »
Le prévenu s’indigne que les policiers n’aient pas allumé leurs caméras-piétons lors de l’interpellation et lance : « Vous savez qu’il y a un témoin ? » Le tribunal ne s’en soucie guère et passe à l’examen de personnalité. Né en Guadeloupe, arrivé dans l’Hexagone après un transfert d’établissement pénitentiaire, il a 21 antécédents judiciaires dont une condamnation, en 2009, par la cour d’assises de Basse-Terre pour violences avec arme ayant entraîné une infirmité permanente.
« — Il y a pas mal de violences dans votre casier, souligne la présidente du tribunal.
— J’étais jeune.
— Où est-ce que le curseur de la jeunesse s’arrête ? La dernière condamnation pour violence, c’était en 2019, vous aviez 32 ans. »
Place aux réquisitions. Le monologue qu’entame la procureure n’est pas au goût du prévenu qui chahute et contredit. « Monsieur B., vous me laissez parler », coupe-t-elle sèchement. « Je vous livre le fond de ma pensée : Monsieur B. est un peu de mauvaise foi », poursuit la magistrate. Elle insiste sur la capacité du prévenu à trouver une bonne raison à tout et l’enjoint à porter plainte pour faux contre les policiers. « Par honnêteté intellectuelle », elle demande la relaxe pour la rébellion, parce que « le PV n’est pas suffisant », mais assure que le port d’arme, l’usage de cannabis, l’outrage et les dégradations sont bien caractérisés. Des faits pour lesquels elle requiert 18 mois de prison avec sursis : une main tendue vers le prévenu, grâce à ses « qualités indéniables de réinsertion », soulignées par le suivi d’insertion de Monsieur B. et pour qu’il puisse signer le CDI qui l’attend chez Kiloutou. La procureure veut que cette condamnation flotte comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du prévenu et requiert des obligations de travail, de soins pour l’addiction aux stupéfiants, le paiement des sommes dues au Trésor public et l’interdiction de porter une arme. « C’est assez clément au vu du dossier et des faits reprochés », souligne-t-elle avant de se rasseoir.
Du côté de la défense, l’enjeu de cette audience est la peur, celle du prévenu « de retourner d’où il vient, c’est-à-dire en prison ». « L’enjeu est clair pour nous toutes, c’est celui de réussir cette semi-liberté après 17 années de détention où Monsieur B. s’est construit comme un adulte. Quel genre d’homme peut-on trouver après 17 ans passés dans un milieu ultra-violent et où on abuse de drogues et d’alcool ? », demande l’avocate aux magistrates du tribunal. Me Nina Peter plaide la relaxe pour le port d’arme : « C’est un couteau à huître utilisé dans le cadre de son travail, il entretient le matériel chez Kiloutou. » Concernant les insultes faites aux policiers, elle pose la question aux juges : « Est-ce que dire « bounty » est un outrage ? » L’avocate pantinoise salue la peine de sursis requise par la procureure mais demande un quantum plus léger.
Les juges l’entendent à moitié : le tribunal déclare Monsieur B. coupable de tous les faits qui lui sont reprochés, hormis la rébellion, et le condamne à 14 mois de prison avec sursis ainsi que toutes les obligations requises, y compris l’interdiction de détenir ou porter une arme.
« — Comment je fais pour le travail ? tempête le prévenu.
— Vous vous faites fournir un justificatif par votre employeur. »
Loin d’être soulagé d’échapper à un retour en détention, Monsieur B. ne comprend pas cette interdiction. Malgré ses protestations, il disparaît de la 17e chambre correctionnelle escorté par deux policiers pour retrouver le quartier de semi-liberté de Nanterre où il réside.
Référence : AJU011a2