TJ de Bobigny : « Une maison dans laquelle il n’y a personne à 20 heures, c’est une maison abandonnée ? »

Publié le 26/11/2024

Dzianis Vasilyeu/AdobeStock

Monsieur F. reconnaît être entré à deux reprises dans une maison par effraction et en être ressorti avec un sac à doc. Pour autant, il ne reconnaît qu’à demi-mot le cambriolage et assure avoir été à la recherche d’un endroit où dormir.

Le prévenu est à peine arrivé dans le box que l’avocat de permanence se précipite vers les trois juges de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny pour dire qu’il ne sait pas quelle va être la position de Monsieur F. à l’audience quant à sa défense : avoir recours aux services de l’avocat de permanence resté à cette dernière audience pour lui, ou se défendre seul ?

« On va quand même commencer par le commencement », modère la présidente du tribunal qui demande à l’interprète de prêter serment et énumère les faits reprochés au prévenu : vol de bijoux, d’objets multimédias, de deux ordinateurs, avec effraction dans une maison et à plusieurs. La juge en vient finalement à cette question de la défense :

« — Est-ce que vous souhaitez que l’avocat de permanence assure votre défense ?

— Je peux me défendre tout seul. Je ne voulais pas un avocat commis d’office mais je n’ai pas pu contacter l’avocat que je voulais.

— C’est vous qui choisissez.

— Je ne sais pas.

— Est-ce que l’avocat de permanence peut vous assister ?

— Oui.

— Vous êtes en état, Maître ?

— Oui. »

Cette question réglée, place aux faits. Quatre mois avant cette audience, les policiers sont appelés pour un vol avec effraction dans un pavillon d’Aulnay-sous-Bois. La fille du propriétaire de la maison est rentrée et a découvert la maison mise sens dessus dessous – à l’exception d’une chambre – et a constaté que plusieurs objets avaient disparu (ordinateurs, argenterie, bijoux…). Les images de vidéosurveillance de la caméra du voisin montrent que deux individus sont entrés dans la maison une première fois pendant trois minutes vers 19 heures, puis sont revenus à 20 h 20, y restent une vingtaine de minutes et repartent avec un sac à dos.

« — Sur les images, on voit deux personnes et l’un est vêtu tout en blanc. C’est vous ?, demande la juge.

— Oui.

— Vous reconnaissez les faits ?

— Je suis rentré dans la maison à la recherche d’un endroit où dormir.

— Comme toujours ! Mais la maison ressemble à une maison… bourgeoise. Pas à un squat. »

La recherche d’un lieu où dormir est un prétexte récurrent et Monsieur F. n’y fait pas exception. Il continue en assurant « qu’il faisait nuit » et n’a pas pu voir l’apparence de la maison. S’ensuit un débat sur la luminosité aux alentours de 20 heures en mars. « On est entre chien et loup », assure la présidente avant de trancher : « On est en ville de toute façon, il y a de la lumière. »

Elle poursuit pour bien comprendre dans quelle mesure Monsieur F. reconnaît le vol :

« — Est-ce que vous avez volé deux ordinateurs ?

— Je ne me souviens de rien, j’étais ivre.

— Vous quittez la maison et ensuite vous y retournez, pourquoi ?

— Pour avoir la confirmation qu’il n’y avait personne dans la maison.

— Une maison dans laquelle il n’y a personne à 20 heures, c’est une maison abandonnée ? Le tribunal appréciera mais on n’est pas obligé de vous croire… »

Pour identifier les deux hommes qui sont entrés dans cette maison, les policiers ont établi un portrait-robot à partir des images de vidéosurveillance, appliqué à un logiciel de reconnaissance faciale qui est arrivé jusqu’à Monsieur F., déjà condamné en 2022 pour un vol. Le second homme n’a pas été identifié. Le dossier est très complet, puisque les policiers ont même exploité le téléphone porté par ce second individu et le bornage correspond aux deux venues dans la maison.

« — Mais moi je n’avais pas de téléphone, proteste Monsieur F.

— C’est celui de l’individu qui était avec vous.

— Moi je reconnais seulement que j’étais avec lui.

— Si vous reconnaissez que vous étiez avec lui dans le cambriolage, c’est que vous avez cambriolé. D’autant que c’est vous qui portez le sac en quittant la maison.

— Il me l’a donné. Je ne me souviens pas. »

Concernant sa situation, Monsieur F. est actuellement en détention provisoire en vue d’un procès qui se tiendra la semaine suivante, encore pour un vol. Il est en situation irrégulière sur le territoire, n’a pas de famille et consomme de la cocaïne depuis son arrivée en France en 2020.

En l’absence du propriétaire de la maison cambriolée ou d’un avocat côté parties civiles, la procureure ouvre la ronde des monologues. Elle est « déconcertée, perdue », par la position de Monsieur F., qui commence par reconnaître les faits, puis seulement les dégradations, puis assure que c’est son comparse qui a volé. « On ne peut pas se fier à ce qu’il dit », en conclut-elle, tandis que les éléments en procédures sont « limpides ». Elle requiert quatre mois avec maintien en détention et la révocation totale du sursis prononcé en 2020 – de quatre mois également.

Côté défense, la plaidoirie est brève et commence sur un mode inhabituel : « Si je m’écoutais, je prendrais la porte… Mais on va respecter la robe et la permanence », commence l’avocat commis d’office. Il assure avoir trouvé un élément en procédure pour étayer la version de son client : une chambre n’a pas été retournée, laissant penser qu’il comptait bien y dormir. « Enfin, ça aurait été le cas s’il n’y avait eu pas le départ avec le sac à dos », termine-t-il avant de se rasseoir. La présidente du tribunal ne peut réprimer un large sourire et demande quand même à Monsieur F. s’il a quelque chose à ajouter : « Ce sera la dernière fois et je ne vous reverrai plus. J’assume. »

Le prévenu est reconnu coupable et condamné selon les réquisitions. La présidente du tribunal résume : « 4 et 4, ça fait 8 mois. Et à chaque vol ça risque d’augmenter. »

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