TJ de Bobigny : « Vous êtes d’accord qu’une personne qui dort à l’hôpital, c’est une personne vulnérable ? »

Monsieur C., 56 ans, dont 30 de consommation de crack et de vols réguliers, est présenté en comparution immédiate pour une évasion de son centre de semi-liberté, ainsi qu’un vol et une tentative de vol… dans un hôpital.
Chétif, les yeux cernés, élocution difficile : la rude vie de Monsieur C. se lit sur son visage. Consommateur de crack depuis presque 30 ans, il est un habitué des tribunaux et vole pour financer son addiction. Sa première condamnation remonte à 1991. 29 sont désormais inscrites à son casier judiciaire, presque toutes concernent des vols. Mais cette fois-ci, un cap est franchi, estime le parquet : Monsieur C. s’est attaqué à des personnes très vulnérables, en volant dans un hôpital.
Le 1er juillet, Monsieur C. ne regagne pas le centre de semi-liberté dans lequel il vient d’être placé par le juge d’application des peines. Il ne lui reste que trois semaines pour terminer sa peine (pour vol), mais il ne revient pas. « J’avais passé le délai, je ne pouvais plus rentrer », se justifie-t-il.
Le lendemain, il est interpellé par les policiers après un appel de l’hôpital d’Aubervilliers : Monsieur C. a été vu rôdant dans les couloirs et fouillant dans les affaires d’une patiente endormie. Lors de son arrestation, il a en sa possession un téléphone portable appartenant à un autre patient : en garde à vue, il reconnaît l’avoir volé dans la chambre alors qu’il dormait.
« — Vous reconnaissez le vol et la tentative de vol ?, demande la présidente du tribunal.
— Oui, mais je n’étais pas allé à l’hôpital pour voler.
— Vous y étiez allé pour consulter et vous en avez profité. Sur la vidéo, on voit que vous cherchez à entrer dans les chambres, que vous vous cachez quand une infirmière passe.
— Je ne suis pas entré dans le but de voler.
— Dans l’hôpital d’accord. Mais dans la chambre ?
— Dans la chambre, oui.
— Monsieur R., à qui vous avez volé le téléphone portable, venait d’être opéré et dormait.
— Je ne savais pas.
— Vous pouviez vous douter. Des gens qui dorment dans une chambre d’hôpital, ce sont des gens vulnérables !
— Mais moi aussi je suis malade.
— On va en parler plus tard. Vous êtes d’accord qu’une personne qui dort à l’hôpital, c’est une personne vulnérable ?
— Oui. »
Une fois cet élément acquis, place à la situation personnelle du prévenu. « Toxicomane » : la présidente du tribunal répète plusieurs fois le mal dont souffre le prévenu et qui le renvoie en permanence devant les tribunaux correctionnels. Lui tient à rappeler qu’il est aussi épileptique.
« — Mais ce qui entraîne la délinquance, c’est la toxicomanie : vous volez le téléphone pour acheter du crack. Ce n’est pas un cercle vicieux ?
— Oui. Moi, tout ce que je veux, c’est être soigné.
— Ah j’adore ça ! (La juge fait une pause, un large sourire ironique aux lèvres) Vous croyez que je peux vous soigner ? Ça dépend de qui ?
— De moi, répond, bon élève, Monsieur C. Mais ça me ramène toujours à Aubervilliers [il est suivi à l’hôpital de cette commune] où j’ai vécu 35 ans et où j’ai mes mauvaises habitudes. »
Les victimes du vol et de la tentative de vol ne sont pas représentées par un avocat et ne peuvent être là à l’audience, en raison de leur état de santé, explique la procureure qui se lève pour entamer ses réquisitions. Elle insiste sur l’état de vulnérabilité des patients de l’hôpital et l’état dans lequel la tentative de vol a mis Madame M. : « Elle se dit traumatisée, elle n’arrive plus à fermer les yeux par peur que ça recommence. »
La magistrate rappelle que le prévenu risque gros : du fait des deux circonstances aggravantes (vol sur une personne vulnérable et en récidive), il risque 14 ans de prison. Elle requiert cependant bien en-deçà, demandant six mois de prison pour le vol et la tentative de vol, et six mois de prison pour l’évasion du centre de semi-liberté. Le tout avec maintien en détention, « pour entamer des démarches et préparer un projet de placement extérieur », assure la procureure, qui termine en requérant une interdiction de paraître à Aubervilliers.
Au tour de la défense, qui dresse le même constat que le parquet mais tire des conclusions opposées : le problème, c’est bien le crack. C’est cette drogue qui le conduit dans un état second à l’hôpital d’Aubervilliers, où il ne peut pas être pris en charge ce jour-là. « Il ne sait pas comment il en arrive là mais déambule, voit un téléphone portable et le prend », insiste la jeune avocate. « Monsieur arrive à se détacher de son addiction quand il a un pied dans la société », poursuit-elle, préconisant une hospitalisation en dehors de la région parisienne plutôt que de la prison.
Monsieur C. est reconnu coupable et condamné selon les réquisitions, avec interdiction de paraître à Aubervilliers pendant deux ans.
« — On n’est pas médecins, ni psychiatres, ni un centre de cure ici. On fait ce qu’on peut. La prison, ce sera peut-être le moyen de préparer quelque chose pour après, justifie la présidente du tribunal.
— C’est ce que j’avais essayé déjà.
— Ça n’a pas marché visiblement », répond la juge, sèchement, mettant fin à l’audience.
Référence : AJU014p1
