TJ de Créteil : « Ça a fait le tour de Villejuif. Il est cramé ! »
Tout juste âgé de 20 ans, Monsieur X a comparu 10 fois devant un tribunal en 4 ans. Mais il assure que cette affaire sera la dernière. Il en veut pour preuve qu’il a donné de précieuses informations à la police. Les juges de l’audience de comparutions immédiates de Créteil vont-ils le croire ?
Avec sa doudoune sur le dos et ses petites tresses décolorées tout autour du visage, il fait encore plus jeune que ses 20 ans. Mais Monsieur X a un casier judiciaire déjà long comme le bras. Depuis 2020, le jeune homme a fait l’objet de plusieurs condamnations : pour usage de stup, conduite sans permis, conduite sous stup, détention de stup. Il a expérimenté le travail d’intérêt général, le bracelet électronique… En cette fin de mois de février, lorsqu’il comparaît pour trafic de stup en récidive, c’est la onzième fois que Monsieur X se présente à la justice.
Monsieur X s’est fait prendre avec 124 grammes de cannabis dans son sac à dos à proximité d’un point de deal. Monsieur X reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Il a d’ailleurs collaboré avec la police. Aux enquêteurs, il a dit tout ce qu’il savait, ou presque : la gaine où était planquée la drogue, l’adresse de l’appartement servant de laboratoire et loué à son nom. Il y a mené les policiers qui y ont découvert tout un attirail pour conditionner la drogue : des thermo-soudeuses, des balances, des couteaux, des petits carnets de comptes remplis de chiffres et de termes sibyllins, des petites barrettes de cannabis en pagaille et 515 euros en liquide. « J’ai dit tout ce que je savais. Je voulais en finir. Si j’avais eu les noms de ce qui tiennent le réseau, je vous les aurais donnés aussi » !
Le prévenu explique qu’il a accepté de louer cet appartement après une première condamnation pour rembourser une dette de stups de 600 euros. « Ils ne croyaient pas que la police avait gardé la drogue », explicite-t-il. Monsieur X reconnaît avoir eu un rôle de « nourrice », pas plus, pas moins. Autrement dit, il se contentait de ravitailler le point de vente. « Je ne conditionnais pas la drogue, je ne la vendais pas, je ne voulais pas être en contact avec les clients ». Le Président s’en agace : « En garde à vue, vous avez dit que vous participiez à la découpe ! »
– « Non, non. Je ne conditionnais pas. Vu là où j’en suis, je vous le dirais. Ça ne change pas grand-chose de toute façon » ! Tout le monde en convient…
Monsieur X, avec l’aide de son avocat, Me Guillaume Herzog, affirme qu’il veut en finir avec les stups. Il a entrepris des démarches de soin. « Tout ce qui m’arrive, c’est à cause du shit. Je veux décrocher. Je ne fume plus qu’un joint par jour », explique-t-il. Et c’est pour ça, explique-t-il, qu’il a de lui-même donné à la police l’adresse du laboratoire mais aussi son téléphone. Une forme de politique de la terre brûlée qui lui interdit tout retour en arrière, insiste son avocat. « Ça a fait le tour de Villejuif. Il est cramé ! », insiste Me Guillaume Herzog. À Fresnes, Monsieur X a déjà été tabassé en règle, en guise de représailles.
Cette comparution est-elle enfin celle du déclic vers un changement de vie ? Après tout, Monsieur X n’a que 20 ans, mais le procureur n’y « croit pas une seconde ». « C’est la dixième fois qu’il comparaît devant un tribunal correctionnel en 4 ans, dont 7 fois pour stup. La dernière fois, il a été condamné à une peine aménagée ab initio et 10 jours après il était repris dans le trafic » ! Monsieur X est titulaire d’un bac pro commerce, et le procureur voit dans sa participation au trafic une mise en application dévoyée de ses compétences. « Vendre, c’est son corps de métier. Il ne pouvait pas trouver 600 euros autrement ? Les faits ont eu lieu en décembre. Un mois pendant lequel on trouve du travail comme on veut partout ». Il répète : « Comme on veut, partout ». Pour le procureur, la motivation de Monsieur X est bien plus simple : l’argent. « Les stups, c’est plus rentable. Il pouvait payer le loyer, 490 euros en espèce. Monsieur X ne se déplaçait qu’en Heetch. Il ne prenait pas le métro comme moi le matin ». Et qu’importe que Monsieur X ait donné des renseignements exploitables. « On va nous dire que c’est grâce à lui qu’on a trouvé la drogue. Non : c’est à cause de lui qu’il y a des règlements de compte, des nuisances, des habitants à bout de nerfs dans les cités ». Le représentant du ministère public requiert 30 mois de prison avec mandat de dépôt. « Une peine de nature à le dissuader. Ça suffit ! ». Il répète, en écartant les syllabes. « Ça suffit » !
Me Guillaume Herzog trouve les « réquisitions lourdes, sur le quantum mais aussi sur la forme ». « On le traite comme ce qu’il n’est pas : quelqu’un qui gère un trafic de stups. Comme si c’était lui qui détenait les produits et en tirait des bénéfices. Il a fait le choix de coopérer totalement. Si on refuse de le prendre en compte, on n’est plus dans la justice ».
L’avocat tacle le procureur, qui « fait de la lutte contre les stups une priorité mais qui n’a pas fait le choix de ne pas poursuivre les uns et les autres. On a fait le choix de ne pas exploiter ce téléphone jusqu’au bout ». Le procureur fusille l’avocat du regard, et a un petit rire nerveux. L’avocat poursuit. « Quelqu’un qui est responsable d’un trafic ne met pas le bail à son nom. Il ne met pas son téléphone au nom de sa mère. On est très fort avec le faible dans ce dossier. Monsieur X n’est qu’un maillon. Il a été remplacé à la minute ou il a été interpellé ». Me Guillaume Herzog demande pour son client « une peine mixte qui lui permette d’être soigné ».
Ce jour-là, le tribunal n’a pas voulu croire aux bonnes intentions de Monsieur X. Les juges ont suivi les réquisitions du procureur, et ont condamné Monsieur X à 2 ans de prison ferme, avec maintien en détention. À 20 ans, condamné pour la onzième fois, Monsieur X est parti dormir en prison…
Référence : AJU008i6