TJ de Créteil : « Ce n’est pas commun de piloter un drone et ils n’en sont pas forcément à leur coup d’essai » !

Publié le 10/05/2024
TJ de Créteil : « Ce n’est pas commun de piloter un drone et ils n’en sont pas forcément à leur coup d’essai » !
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Âgés de 19 à 23 ans, quatre prévenus sont présentés en comparution immédiate pour avoir tenté de remettre trois téléphones portables au sein du centre pénitentiaire de Fresnes par l’intermédiaire d’un drone. Dans une ambiance électrique et devant un public nombreux, le conducteur du drone reconnaît les faits mais accuse l’un des coprévenus de l’avoir contraint.

Sous la surveillance d’escortes de police venus en renfort, les bancs du public de la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil se remplissent rapidement. Ils sont une vingtaine à être venus soutenir les prévenus, chacun ayant son favori parmi les quatre jeunes adultes serrés les uns aux autres dans le box. Ce qui leur est reproché ? Avoir permis le survol d’une chaussette remplie de trois téléphones portables au-dessus du centre pénitentiaire de Fresnes, grâce à un drone – la « mission » – n’a pu être menée à bien en raison de l’intervention des policiers.

Les faits peuvent prêter à sourire mais l’audience révèle combien le phénomène est un casse-tête pour les directeurs de prison. Le procureur dégaine des chiffres pour montrer l’explosion du problème à l’échelle nationale : 700 survols de drone au-dessus d’établissements pénitentiaires ont été recensés en 2023, contre seulement 28 en 2022 ! Le développement du « largage d’objets » suscite une « réelle inquiétude » quant à la sécurité du personnel des prisons et des détenus. « On ne peut plus le tolérer, il faut un coup d’arrêt », insiste le ministère public par la voix de Jean-Marc Parisot, justifiant le choix de juger les quatre jeunes hommes en comparution immédiate.

Revenons aux faits. Après des déclarations contradictoires et romanesques en garde à vue, émerge à l’audience une nouvelle version. Quand c’est au tour de Monsieur B. de s’exprimer, accusé d’avoir été le pilote du drone, il demande au juge :

« — Vous aimeriez savoir quoi ?

— Que s’est-il passé ?

— Je vais rétablir la vérité, parce que j’ai accepté des choses sous la contrainte. Les gens connaissent ma femme à Orly mais moi je viens du XIXe. On m’a sollicité pour que je fasse rentrer un drone en prison, j’ai refusé [Monsieur B. explique avoir appris à faire voler un drone en autodidacte pour s’amuser avec ses enfants]. Après, ils ont inventé qu’un drone a disparu et on m’a accusé. Ils m’ont dit, soit je rembourse, soit je fais la mission.

— Qui vous a demandé de faire la mission ?

— Ce n’est pas lui qui m’a contacté au début (en montrant Monsieur A., debout juste à côté de lui dans le box), mais après oui.

— Vous le connaissez ?

— Moi, je ne suis pas d’Orly. Monsieur Idriss je le vois souvent mais ce n’est pas mes fréquentations. »

Sur les bancs du public comme dans le box, l’ambiance est tendue. Le juge demande au désigné « Monsieur Idriss » de s’approcher du micro pour donner sa version : « Je trouve que son histoire est rocambolesque au garçon. Moi je prends mes responsabilités. Son histoire a l’air farfelu. » Il parle fort à tel point, que le juge lui demande plusieurs fois de baisser d’un ton. De temps à autre, ses yeux se dirigent vers une femme un peu plus âgée que le reste de l’audience, assise au milieu du public. Elle abaisse sa main gauche vers le sol pour lui faire signe de se calmer, sans succès.

Après cet interlude, l’avocate de Monsieur B. demande à son client qui sont les personnes qui l’ont menacé pour le forcer à accepter la « mission » :

« — Les personnes commanditaires sont en prison, défavorablement connues des ser…

— C’est souvent comme ça quand on est en prison, interrompt le juge.

— Le jour du test de drone, Monsieur A. m’a dit : « Si ce soir tu n’es pas là, je m’occupe de ta famille et de ta belle-famille ». C’est facile, ils sont dans le même bâtiment.

— Qui est la personne derrière le pseudo « Bibi » sur le groupe Snap pour préparer la mission ?

— Le frère d’Idriss. »

À côté, Idriss A. bouillonne. « Quel âge il a pour dire que je l’ai menacé ? Je suis plus jeune que lui, je crois… Et je n’ai aucun souvenir des menaces ! »

La prison se constitue partie civile

En balayant la salle du regard, le président du tribunal se rend soudainement compte qu’une avocate est installée sur le banc des parties civiles. « Vous avez trouvé un préjudice ? », demande-t-il, étonné, à l’avocate du centre pénitentiaire de Fresnes. Visiblement, oui, mais elle n’est pas de questions à poser aux prévenus.

La suite des échanges permet de se rapprocher d’une histoire qui tient plus ou moins debout : Idriss A. a croisé par hasard un ami d’enfance à Orly qui, au milieu de la nuit, devait aller chercher du poisson chez sa tante à Fresnes. Coup de chance, puisque Idriss A. n’a pas de voiture. Il demande donc à son ami de l’emmener jusqu’au centre pénitentiaire de Fresnes. « Il ne savait pas pourquoi je lui ai demandé ça. Je m’excuse car je l’ai foutu dans la merde », reconnaît Idriss A. Le chauffeur de la voiture confirme. Ensuite, Monsieur B. reconnaît avoir conduit le drone, tout en assurant qu’il a été contraint et fournit une explication plausible à la présence du quatrième dans le box : il aurait dû lui remettre la manette pour lui faire porter le chapeau en cas d’arrestation. Il ne l’a pas fait et explique que « [s]a morale [l]empêche d’envoyer en prison quelqu’un qui n’a rien fait ». Monsieur B. assure aussi qu’il a volontairement fait voler le drone dans les brouilleurs installés par le centre pénitentiaire pour faire capoter l’opération. « Grand prince », commentera le procureur.

Le juge passe tour à tour à l’examen de la personnalité de chacun des prévenus. Idriss A. a le casier le plus lourd et une lettre de son juge d’application des peines se prononçant en faveur de la révocation d’un sursis probatoire antérieur. Le casier du chauffeur de la voiture ne porte qu’une mention pour rébellion depuis sa majorité. Celui du conducteur du drone, Monsieur B. , est vide, tout comme celui du quatrième, dont le rôle dans l’affaire est flou.

« — Vous travaillez ? demande le juge à ce dernier.

— J’attends le badge pour commencer à travailler à l’aéroport. Il faut prendre en compte que c’est la première fois qu’on m’attrape, Monsieur.

— Ça veut dire que les autres fois, on ne vous a pas attrapé ?

— Je m’exprime mal.

— Voulez-vous ajouter autre chose ?

— Il faut que je réfléchisse, Monsieur le juge, je suis stressé, c’est la première fois… »

Au bout d’une heure d’échanges, la ronde des monologues commence par la plaidoirie de l’avocate du centre pénitentiaire de Fresnes. Le survol par des drones est un « sujet de sécurité important auquel sont confrontées les prisons », ce qui explique sa présence ainsi que celle, dans le public, d’un homme en costume et attaché-case qui représente la maison d’arrêt. « Les prévenus minimisent mais ce n’est pas commun de piloter un drone et ils n’en sont pas forcément à leur coup d’essai », suggère-t-elle, avant d’insister sur les risques pour la sécurité mais aussi pour l’atteinte à la confidentialité que posent ces survols. Se protéger de ces intrusions coûte de l’argent à la prison – caméras, brouilleurs, masse salariale –, ce qui conduit l’avocate à demander 10 000 euros de réparation au titre du préjudice matériel, ainsi que 2 000 euros au titre du préjudice moral.

Le procureur raconte à nouveau l’histoire en attribuant à chacun un rôle clair assorti d’une sanction pénale : le chauffeur de la voiture (pour lequel il requiert sept mois de prison dont trois avec sursis), le conducteur du drone (six mois de prison dont trois avec sursis), le guetteur (six mois de prison dont trois avec sursis), le livreur qui voulait envoyer des téléphones à son frère (six mois de prison avec mandat de dépôt et la révocation du sursis probatoire).

Sur le banc des avocats, des politesses retardent le début des plaidoiries. C’est finalement la conseille du chauffeur qui commence en plaidant la relaxe. « Mon client a la plus grosse réquisition alors que la certitude qu’on a, c’est qu’il ne sait pas pourquoi il est là. » Il n’aurait fait que répondre aux sollicitations d’un vieil ami et il n’est pas dans le groupe Snapchat qui organisait la mission. L’avocate plaide ensuite dans l’intérêt de son second client, le livreur, Idriss A., en mettant en cause la version du conducteur de drone qui assure avoir été menacé. « Mon client reconnaît les faits reprochés, quel est son intérêt à aller menacer Monsieur B. de représailles ? », demande-t-elle.

Elle se rassied, sa consœur se lève pour justement défendre Monsieur B. et commence par s’attaquer aux demandes de la partie civile : « Quel préjudice moral ? C’est franchement tiré par les cheveux ! ». Concernant son client, elle plaide elle aussi la relaxe en raison des pressions qui ont pesé sur lui et demande a minima qu’il ne soit pas condamné à de la prison ferme et que le jugement ne soit pas inscrit sur son casier, enfin de ne pas l’entraver dans sa recherche d’emploi et sa demande de régularisation.

Le dernier avocat se lève à son tour pour défendre le guetteur, avec des premiers mots voulant atténuer la demande des parties civiles : « Heureusement pour tous, ça n’a été qu’une tentative. À cela s’ajoute que les ordres viennent de la prison », insiste-t-il en suggérant aux juges de se contenter d’une amende symbolique. Pour son client, il plaide lui aussi la relaxe. En cas de condamnation, il demande une peine non inscrite sur le casier B2 pour permettre à son client de travailler à l’aéroport comme il le souhaite. « Il faut répartir les responsabilités des uns et des autres et ne pas condamner mon client aux mêmes peines que Messieurs B. ou A., qui ont un tout autre rapport aux faits. »

Les juges l’entendent. Ils rendent le verdict à 23 h 20 : le conducteur du drone est condamné à six mois de prison avec sursis, le drone est confisqué et la mention sera inscrite à son casier. Le chauffeur de la voiture et le guetteur sont tous les deux condamnés à quatre mois de prison avec sursis (la demande de non-inscription au casier est là aussi refusée) et Idriss A., le « livreur », est condamné à huit mois de prison ferme avec mandat de dépôt et la révocation des six mois de sursis prononcés précédemment. « Vous partez pour 14 mois », résume le juge. Lors du délibéré, le juge ne mentionne même pas les demandes formulées par le centre pénitentiaire de Fresnes. « Ils sont durs », maugrée un jeune homme du public en quittant la salle.

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