TJ de Créteil : « Ce n’est pas vous qui posez les questions ! »

Madame M. et Monsieur B., dans une relation conjugale compliquée, sont présentés en comparution immédiate après s’être battus dans la rue. L’un et l’autre reconnaissent l’altercation, mais pas le degré de violence décrit par les témoins.
Une fois n’est pas coutume, le président du tribunal choisit de commencer d’aborder en premier la personnalité des prévenus avant d’en venir aux faits qui leur sont reprochés.
« — Mademoiselle, vous avez déjà eu à faire à la justice ?
— Non. Je n’y suis pas allée.
— Je vois une peine de six mois de prison et 300 euros d’amende pour des violences sur policier.
— (L’air sincèrement surpris, la prévenue répond du tac au tac) : Ça, j’avais complètement oublié !
— Et une peine de trois mois datant du mois dernier. Vous aviez aussi oublié de venir ?
— Non, j’avais vraiment des problèmes.
— Vous avez été condamnée pour des violences sur votre conjoint – qui se trouve justement dans le box avec vous.
— Ça fait un moment qu’on ne se voit plus ! »
Après cet échange lunaire, le juge continue son interrogatoire à partir des réponses que Madame M. a données à l’enquêteur social :
« — Vous avez dit en garde à vue que vous ne vous voyez plus mais êtes toujours ensemble ?
— C’est compliqué… Pour l’instant, je m’occupe de moi. On verra par la suite. »
Gouailleuse et agitée, la prévenue est sans domicile fixe depuis un an et sans travail. Elle explique ne pas avoir envie de parler de son enfant, « enlevé par son père » et qu’elle dit ne pas avoir vu depuis un an : « C’est trop personnel. » À toutes les autres questions, elle répond sur-le-champ, n’hésitant pas à entrer dans les détails et sans cacher ses désaccords avec les magistrats.
« — L’examen psychiatrique conclut qu’il y a des troubles du comportement en rapport avec l’alcool.
— Je ne suis pas dépendante. J’en consomme mais pour les problèmes que j’ai, je ne mets pas l’alcool en cause.
— Le médecin préconise des soins en addictologie.
— C’est ce que dit le médecin. Moi je ne mets pas en cause l’alcool.
— (Le président, en balayant la salle du regard) Est-ce qu’il y a des questions ?
— (La prévenue) Non je n’ai pas de question.
— (Le président, agacé) Ce n’est pas vous qui posez les questions ! »
Au tour de l’examen de personnalité de Monsieur B. Le juge fait état de ses quelques mentions au casier – vol en réunion en 2012, consommation de stupéfiants en 2014, violences sur conjoint en 2023. « C’était sur Madame ? », demande le président du tribunal en désignant sa voisine dans le box.
« — C’est quelle année déjà ?
— 2023.
— Bien sûr que c’était Madame », répond le prévenu, l’air outré par le sous-entendu.
En mars, 2024, nouvelle peine, à nouveau pour des faits de violences sur Madame M. , pour lequel il a écopé d’un sursis probatoire. Le juge demande : « Ça se passe bien le sursis ?
— Parfaitement bien, répond le prévenu avec un large sourire.
— Réfléchissez un peu.
— Il y a eu quelques trucs…
— On a un rapport du juge d’application des peines qui dit que nous n’avez pas honoré plusieurs convocations et en résumé que vous n’avez pas compris le sens du sursis. Il se dit favorable à une révocation partielle. »
Après cet état des lieux, le président en vient finalement aux faits : les deux prévenus se seraient mutuellement battus en pleine rue près de la station de RER à Vincennes, altercation en partie filmée par des caméras de vidéosurveillance et vue par des témoins. Au cœur de la querelle : une valise contenant les affaires de Madame M. Si les deux prévenus reconnaissent une partie des faits, ils assurent que la bagarre n’a pas été violente. Après lecture d’un procès-verbal d’audition de témoin, Monsieur B. réplique poliment : « Je ne remets pas en doute le témoignage mais il n’y a pas eu ce que vous avez indiqué, il n’y a pas eu de coups. »
Dès qu’elle n’a plus la parole, Madame M. tient à commenter et faire des remarques. Elle est réprimandée par les juges, son avocate – « Taisez-vous ! » – et même l’escorte de police assise derrière elle. Alors le président de séance, fin nez, finit par lui demander : « Vous consommez du crack, Madame ? — Par occasion, j’ai besoin de me détendre. Mais ça n’a aucun rapport », insiste-t-elle.
La ronde des monologues débute ensuite. Tenant compte du fait que Madame semble avoir donné les premiers coups, la procureure requiert contre elle douze mois de prison, dont trois avec sursis assortis d’une obligation de soins. Pour la partie ferme, elle requiert un mandat de dépôt et un aménagement sous forme de semi-liberté. Contre Monsieur B., elle requiert sept mois de prison avec mandat de dépôt et aménagement sous la forme d’un bracelet électronique, ainsi que la révocation partielle du sursis, sous bracelet électronique également.
L’avocate de Madame M. est la première à plaider, insistant sur la valeur de cette valise qui contient tout ce que sa cliente possède, pouvant expliquer sa virulence sur le sujet. La conseille demande une peine de sursis, sans prison ferme, pour permettre à la prévenue de « sortir la tête de l’eau » et de recevoir des soins. Sa consœur, avocate de Monsieur B., plaide la relaxe au bénéfice du doute pour son client.
Peu après 22 heures, les juges rendent leur verdict : Monsieur B. et Madame M. sont reconnus coupables et condamnés chacun à six mois de prison ferme, sans mandat de dépôt. À cela s’ajoute une interdiction d’entrer en contact l’un avec l’autre pour une durée de trois ans, avec exécution provisoire. Devant l’air circonspect des deux trentenaires dans le box, le président explicite : « Ça veut dire que vous ne partez pas en détention ce soir et si vous avez un projet, le juge d’application des peines pourra aménager la peine. »
Référence : AJU013l7
