TJ de Créteil : « Connaissez-vous beaucoup de gens bien ancrés dans le milieu de la drogue et qui donnent tout, même l’accès aux messageries sécurisées ? »
Mme C. comparaît pour avoir caché un sac rempli de différentes drogues. Elle assure y avoir été contrainte et a collaboré avec la police pour partager toutes les informations en sa possession. Pour la procureure, la prévenue est surtout une récidiviste bien ancrée dans le milieu, et elle requiert une peine de prison ferme.
« Ça m’a soulagée quand on m’a attrapée », proteste Mme C. devant les juges de la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil. À tout juste 25 ans, cette jeune femme comparaît pour avoir été « nourrice » de drogues en récidive : elle a caché des stupéfiants, en l’occurrence de la cocaïne, de l’héroïne, de l’ecstasy et du cannabis, pour un total inférieur à cent grammes.
— « Là où c’est très embêtant, c’est que vous avez déjà été condamné à une peine d’un an de prison dont six mois avec sursis pour les mêmes faits… Que se passe-t-il ?, demande le président du tribunal.
— J’ai été contrainte.
— Vous avez déposé plainte ? Parce que dans ces cas-là de nourrice, soit on fait tomber au-dessus, soit on assume.
— J’ai fait tout ce que je pouvais, j’ai donné mon téléphone, mes codes… »
Mme C. explique qu’elle ne connaît pas le nom de celui qui lui a confié la drogue à cacher, qu’elle l’a rencontré en boîte de nuit quelques mois auparavant et qu’il lui a prêté 200 euros. « Quand j’ai dû les lui rendre, je ne pouvais pas et il m’a demandé de garder un sac. » Sans domicile fixe, c’est chez l’amie qui l’héberge qu’elle a dissimulé la drogue, en assumant immédiatement toute la responsabilité dès l’arrivée de la police.
Avec ses longs cheveux bouclés qui cascadent sur ses épaules et son beau visage, son allure détonne dans le box. Elle répond avec pudeur aux questions du tribunal qui concernent sa situation d’enfant né sous X et baladé dans les foyers de l’Oise. Sa jeunesse, elle ne la qualifie que de « compliquée » et n’entre pas dans les détails. Un oncle que Mme C. n’a pas vu depuis deux ans a quand même signé un certificat d’hébergement que l’avocat de la prévenue remet au juge.
— « C’est plutôt sympa de sa part d’avoir fait ça. Vous allez supporter de vivre avec lui ?, demande le juge.
— Oui, je regrette ce que j’ai fait.
— Va falloir se mettre un peu de plomb dans la cervelle… C’est une façon de dire qu’il va falloir grandir vite. Vous avez un suivi psy ? Parce que vous avez l’air cassé en mille morceaux.
— Un peu. »
Sans grande conviction, elle explique vouloir se lancer dans le maquillage ou le management et envisager de changer complètement d’environnement pour se défaire de la drogue. Face à elle, le juge démuni se prend de temps à autre la tête dans les mains. Visiblement touché par cette jeune femme, il continue l’interrogatoire mi-empathique, mi-moralisateur.
— « Si vous souhaitez construire quelque chose avec votre compagnon, il ne faut pas faire ça.
— Je ne savais pas.
— Vous demandez 200 euros, il vous demande un service. Vous n’êtes pas débile ? !
— …
— Deux ans à Fresnes, on peut faire aussi. Plus de stups, jamais ! »
La procureure entame ses réquisitions en désignant à nouveau la prévenue comme une personne « cassée en mille morceaux » mais assure qu’aucun élément objectif ne permet de caractériser la contrainte dont Mme C. assure avoir été victime. La magistrate démontre l’ancrage de la prévenue dans le milieu en s’appuyant sur sa condamnation précédente à de la prison avec sursis pour les mêmes faits. Avant l’audience, Mme C. a vu un magistrat qui a révoqué son sursis : quelle que soit la décision des juges, elle dormira ce soir en prison. Pour autant, la procureure requiert en plus une peine de deux ans de prison dont un an ferme et un an avec sursis, ainsi que des obligations de soins et de formation.
« Connaissez-vous beaucoup de gens bien ancrés dans le milieu et qui donnent tout, même l’accès aux messageries sécurisées ? », rétorque l’avocat de la prévenue en réponse aux réquisitions de la procureure. Il décrit sa cliente comme une informatrice qui n’a pas su tirer avantage de sa collaboration avec la police et insiste sur sa situation sociale. « La faim, le froid… C’est la nécessité plus qu’une autre raison qui la pousse à la délinquance », explique-t-il avant d’ajouter qu’il trouve Mme C. « admirable, très pudique », dans sa manière évasive de répondre aux questions du tribunal sur son parcours de vie, pourtant difficile. Le conseil demande une peine de sursis : « Le ferme, elle va déjà le faire avec la révocation du sursis précédent. »
Après avoir enchaîné deux autres audiences puis, enfin, une pause pour délibérer, le verdict tombe. Mme C. est condamnée à un an de prison avec sursis et des obligations de travail, de soins psy et de fixer sa résidence. « Si on doit se revoir pour du stup, je vous préviens, ça va faire très très mal », avertit le juge avant de lui souhaiter bon courage pour son entrée en détention.
Référence : AJU011h0