TJ de Créteil : « Dis bonjour à tout le monde. Et prends soin de papa ! »
Monsieur Poney*, pris d’une « envie de galoper » selon son avocat, n’est pas retourné dans le centre de semi-liberté où il venait d’être placé par le juge d’application des peines. Face à l’évidence, il reconnaît l’évasion sans difficulté et, avec plus de 30 mentions au casier, risque gros : la procureure requiert un an de prison avec mandat de dépôt.
Petit, les bras croisés, cheveux grisonnants et l’air gouailleur, Monsieur Poney* ne semble pas inquiet à l’idée de comparaître devant la 12e chambre du tribunal judiciaire de Créteil. Il faut dire que ce n’est pas une première pour lui. Avec plus de 30 mentions au casier judiciaire, les tribunaux ne l’intimident plus. Et sa présence dans ce box, ce soir, est directement liée à une condamnation précédente : Monsieur Poney effectuait une peine longue qui se passait bien, le juge d’application des peines l’a placé dans un centre de semi-liberté duquel il est aussitôt parti sans y revenir. Presque trois mois après son évasion, il est contrôlé dans la nuit par des policiers en patrouille alertés par les cris d’une femme et aussitôt placé en garde à vue.
« — Vous n’avez pas réintégré le centre, parce que votre père a de gros problèmes de santé, c’est ça ?, demande le juge.
— Oui.
— Pourquoi n’étiez-vous pas avec votre père alors ?
— Je ne peux pas vous dire.
— Quel âge a votre père ?
— 62. »
L’évocation des faits s’arrêtera là. Célibataire, sans enfant, ayant passé l’essentiel de son temps d’adulte en prison, Monsieur Poney semble particulièrement attaché à son père malade, ainsi qu’à son frère, présent à l’audience.
La procureure souhaite poser une question, qui a tout l’air d’un début de réquisition : « Vous avez déjà trois condamnations pour évasion… On fait quoi pour que vous acceptiez ? Vous préférez rester en prison ? » Monsieur Poney ne répond pas.
La magistrate entame ensuite ses réquisitions officielles, entre « agacement et désespoir ». Elle rappelle que les places en semi-liberté sont rares et qu’en prendre une pour s’évader empêche d’autres d’en profiter. Quant à l’argument du père, cela ne lui suffit pas : « Tous ceux qui sont en semi-liberté avec des proches dans des situations compliquées ne s’évadent pas ! ». Elle requiert douze mois de prison avec mandat de dépôt et « espère qu’on ne plaidera pas de semi-liberté ou sinon la décence n’est vraiment plus de ce monde » !
Malgré cette pique conclusive, l’avocat ose commencer sa plaidoirie par une blague : « Monsieur Poney a été pris d’une envie de galoper ! » Il sourit et demande qu’on relativise la situation, insistant sur l’absence de violence qui a accompagné cette évasion. « Et c’est bête, il ne lui restait que 28 jours à effectuer, après avoir passé 17 mois en centrale ! Mais ce n’est pas bien, effectivement. » Il se dit étonné par la sévérité des réquisitions et, plutôt que de plaider la semi-liberté, demande un aménagement de peine sous la forme d’un bracelet électronique : « Nous avons un père malade qui a besoin de son fils et Monsieur Poney, sans domicile et qui ne souhaite qu’une chose, être avec son père. On pourrait faire d’une pierre deux coups. »
Les juges ne l’entendront pas ainsi et condamnent le prévenu à six mois de prison avec mandat de dépôt.
« — Dans quelle prison ? demande Monsieur Poney.
— Fresnes.
— Pff… Ça ne peut pas être Fleury ?
— Non, désolé », s’excuse le président de séance.
Devenu indifférent aux robes noires qui peuplent la pièce, Monsieur Poney se tourne vers les bancs du public et envoie des baisers à son frère :
« — Dis bonjour à tout le monde. Et prends soin de papa !
— Ne t’en fais pas. »
* Le nom du prévenu a été modifié pour préserver son anonymat.
Référence : AJU014l4