TJ de Créteil : « Il ne faut pas imputer à Monsieur T. la commission des faits parce qu’il a un problème psychiatrique ! »

Publié le 04/06/2024
TJ de Créteil : « Il ne faut pas imputer à Monsieur T. la commission des faits parce qu’il a un problème psychiatrique ! »
Mel Stoutsenberger/AdobeStock

Monsieur T. comparaît pour avoir intentionnellement incendié une voiture à quelques mètres de chez lui. Aucun témoin ne l’a vu mettre le feu et lui nie les faits, répétant qu’il s’est juste trouvé au mauvais endroit au mauvais moment… En plus du manque d’éléments concrets, les magistrats de la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil doivent composer avec l’altération du discernement du prévenu, établi par un expert psychiatre.

« Toute cette histoire, c’est un incident tout bête », assure Monsieur T., dans sa veste de survêtement, la voix calme et sans colère. « C’est manque de pot, pas de chance, au mauvais endroit au mauvais moment… », répète-t-il. L’homme de 64 ans, cheveux fous et grisonnants, n’en démord pas. Tout au long de l’audience, il reste très poli, mais maintient fermement sa version des faits : ce n’est pas lui qui a mis le feu à une voiture garée dans une impasse près de chez lui.

« Je vais vous raconter ce qu’il s’est passé », assure le prévenu, espérant convaincre les juges. « Ah ! », s’exclame le président du tribunal, espérant y voir plus clair. Mais pas du tout : « Je rentrais chez moi, j’avais bu deux ou trois bières. Je vois une voiture qui brûle. Je m’approche. Mon premier réflexe, c’est de regarder s’il y a quelqu’un dedans. Alors je penche la tête et je vois une dame sortir. Quand je me suis approché de la voiture, le feu a touché mes mains et mon visage. J’ai paniqué, je suis rentré chez moi. Ce qui m’inquiétait, c’était la barbe qui avait disparu. Et j’ai été arrêté. »

Le président de séance complète ce récit de quelques détails non négligeables : c’est la compagne de Monsieur T. qui a appelé la police pour le dénoncer – elle explique dans son audition que quelques jours avant l’incendie, il parlait de sa volonté de mettre le feu. Autre difficulté : des traces de liquide inflammable ont été retrouvées sur les mains du prévenu après son interpellation. « Je sentais le white-spirit, parce que j’avais nettoyé les jantes de ma voiture », assure-t-il.

Sans prêter plus d’attention à cette réponse, le juge passe à l’examen de la personnalité du prévenu :

« — Vous avez déjà eu à faire à la justice ?

— Non.

— Vous êtes sûr ?

— Vous parlez de la plainte de ma femme ?

— Entre autres. Vous avez été condamné le 1er février 2024 à 10 mois de prison avec sursis pour harcèlement et menace de mort. Puis le 1er mars 2024 pour menaces de mort à six mois de prison avec sursis. Et le 18 mai 2022 pour transport d’arme blanche et conduite sous l’emprise de stupéfiant. »

Monsieur T. reste impassible. De temps à autre, il regarde dans le coin de la salle où sont installés deux de ses enfants et sa compagne. Le renvoi de l’affaire a permis au prévenu d’être examiné par un psychiatre qui établit une altération de la responsabilité s’il devait être reconnu coupable par le tribunal, en raison d’une schizophrénie stabilisée.

« — Est-ce que vous suivez un traitement ?

— Je le fais pour faire plaisir à ma femme, je n’ai jamais déliré. »

Dans son expertise, le psychiatre relate les propos que Monsieur T. aurait tenu auprès de lui, affirmant savoir à qui appartient la voiture incendiée. « Si j’avais voulu lui brûler sa voiture, j’aurais brûlé son autre voiture », aurait assuré le prévenu. À la lecture de cette phrase par le président du tribunal, Monsieur T. n’a rien à redire et confirme.

Sans entrer plus dans les détails, la parole est au parquet. Disant tenir compte du discernement altéré du prévenu, la procureure requiert une peine mixte de 18 mois de prison, dont 9 avec sursis probatoire renforcé pour trois ans. Concernant la partie ferme, elle entre dans les détails de sa réflexion : bien que les proches soient d’accord avec un aménagement de peine sous la forme d’un bracelet électronique, la procureure assure – à leur place – que ce serait trop lourd à porter au quotidien. Quant à un aménagement en semi-liberté, il lui paraît « difficilement tenable ». Faute de mieux, la magistrate demande donc un maintien en détention pour la partie ferme.

Au tour du conseil de Monsieur T. Après avoir préparé sa plaidoirie pendant le déroulé de l’audience en consultant divers sites sur les explosions de voiture, il commence par « les zones d’ombre » qui entourent cette histoire d’incendie. « Je suis vraiment pris d’un doute », confie-t-il au tribunal. « Pour qu’un véhicule explose [comme dans le cas présent, NDLR], il faut au moins 14 litres d’essence. Et on ne retrouve pas de bidon d’essence. » L’avocat ébauche beaucoup de phrases sans les finir mais arrive quand même au bout de sa démonstration pour conclure « qu’il ne faut pas imputer à Monsieur T. la commission des faits, parce qu’il a un problème psychiatrique ! Le doute est trop important pour envoyer quelqu’un en prison. »

Après avoir laissé une dernière fois l’occasion au prévenu de répéter qu’il était « désolé d’avoir été là ce jour-là » et une pause pour délibérer, le verdict tombe : Monsieur T. est reconnu coupable, condamné à 16 mois de prison dont 12 avec sursis. Les quatre mois ferme seront à effectuer en prison. « Vous sortirez dans un peu plus d’un mois », rassure le juge, prenant en compte le mois déjà effectué en détention provisoire et les réductions de peine.

Le prévenu quitte le box en secouant la tête, l’air dépité mais toujours aussi flegmatique.

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