TJ de Créteil : « Il nous explique être le compagnon parfait et victime d’un complot ! »
Le prévenu comparaît pour des menaces de mort contre sa compagne – il les reconnaît – et pour des violences habituelles sur elle. Sur ce point, il nie et assure être victime d’un complot. Difficile à croire, d’autant que l’expertise psychiatrique faite en garde à vue décrit un prévenu d’une « dangerosité extrême ».
Monsieur Y., un grand jeune homme longiligne, les cheveux attachés en queue-de-cheval, a passé le week-end à Fresnes en détention provisoire avant d’être présenté devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil. Ce qui lui est reproché : des menaces de morts envoyés par message à sa compagne, ainsi que des violences habituelles sur elle ayant entraîné trois jours d’incapacité totale de travail.
Les faits : sa compagne lui avait donné rendez-vous devant un commissariat pour qu’il lui rende sa carte bancaire. Sur place, il l’aurait étranglé et lui aurait craché dessus. C’est après cette scène, que confirme une amie de la compagne, qu’elle va porter plainte et fait part des violences répétées depuis l’été 2023, deux fois par semaine environ. Aux policiers, elle décrit un homme maladivement jaloux, qui l’humilie et s’immisce dans sa vie. Lors de son dépôt de plainte, les fonctionnaires prennent des photos des traces qu’elle a sur le coup et le médecin qui l’a examiné constate des ecchymoses compatibles avec les faits relatés, lui décernant 3 jours d’ITT.
Concernant les menaces, les messages envoyés par le prévenu à sa compagne sont explicites – et reconnus par le prévenu : « Je vais tuer toute ta famille » ou « Tu vas voir qui je suis », lit le président du tribunal.
Le portrait du jeune homme dans le box est encore un peu plus noirci par le témoignage de la mère de Monsieur Y. qui décrit quelqu’un d’impulsif et d’autoritaire vis-à-vis de sa compagne. Puis l’expertise du psychiatre en rajoute une couche, faisant part d’une jalousie pathologique, d’une fascination ancienne pour la violence et surtout d’une « dangerosité extrême » du prévenu.
Dans le box, on reconnaît les menaces (en assurant qu’elles sont réciproques), mais pas la violence physique : c’est sa compagne qui serait « folle » et aurait inventé les coups. Les traces sur sa gorge ? C’est l’amie avec laquelle elle était qui les lui aurait faites dans le but d’aller porter plainte.
« — Je l’ai totalement pas touché. Je n’ai jamais levé la main sur cette femme. En aucun cas je l’ai touché une fois.
— Comment vous expliquez les traces de coup ? À quel moment son amie aurait fait les traces ?, demande le juge.
— Avant.
— C’est d’un machiavélisme total de planifier tout ça.
— Elle est comme ça. Elle m’a menacé plein de fois, aussi d’aller porter plainte pour viol. »
L’examen de la personnalité de Monsieur Y. commence par le rappel de son casier judiciaire léger (deux ordonnances pénales pour des stupéfiants) avant de s’attarder sur sa santé mentale : le prévenu a un temps été reconnu handicapé par la MDPH mais il n’a pas renouvelé son dossier et ne peut pas indiquer ce qui lui a été diagnostiqué. Alors le président du tribunal essaie de deviner : « Vous preniez un traitement ? Lequel ? De la ritaline ? » Bonne pioche, il en déduit que le prévenu a été diagnostiqué d’un trouble de l’attention.
Après tout cela, le juge demande comme de coutume à chacune des parties si elle souhaite poser des questions au prévenu. L’avocate de la défense se lève solennellement :
« — Il va falloir que je pose la question. Il s’est passé quoi avec votre père ?
— (La voix du prévenu se met soudainement à trembler) Il y avait beaucoup de punitions sévères… Il déchirait mes habits… Quand j’étais petit, je voulais les cheveux longs, il me les coupait… Plein de choses comme ça avec mon père… »
Pas de quoi émouvoir le procureur qui moque les « révélations spontanées » auxquelles la salle vient d’assister. « Ça tiendrait s’il reconnaissait les faits. Là, il nous explique être le compagnon parfait et victime d’un complot ! » Le magistrat insiste sur la « dangerosité extrême » du prévenu soulignée dans l’expertise psychiatrique. Et il rappelle les circonstances des dernières violences : « Même se trouver devant un commissariat ne l’arrête pas ! » En répression, le représentant du ministère public demande une peine de trois ans de prison dont six mois avec sursis assorti des obligations de soins, de payer les sommes dues au Trésor public et d’une interdiction de contact avec la victime ou de paraître à son domicile.
« Je regrette que ce qu’il a raconté sur son père soit vu comme un rebondissement. C’est difficile pour lui de parler de tout ça, aussi bien en garde à vue qu’à l’expert », rétorque l’avocate en défense. Selon elle, c’est justement le fait d’avoir été victime de son père étant enfant qui sous-tend tout le dossier. L’avocate en vient aussi à l’expertise psychiatrique qui « colore le dossier de manière catastrophique » et serait partiale. Et surtout, elle s’indigne des lourdes réquisitions du procureur : « Avec seulement trois jours d’ITT, on requiert trois ans. Quand on aura 15 jours d’ITT, on requerra 15 ans ? » Elle fournit une promesse d’embauche et une attestation d’hébergement, espérant que son client échappera « à la violence de Fresnes ».
Les juges l’entendront : Monsieur Y. est condamné à 18 mois de prison dont six mois avec sursis probatoire pour deux ans (avec obligation de travail ou de formation, de payer les sommes dues, d’effectuer un stage de sensibilisation aux violences conjugales et l’interdiction de contact avec la victime). La partie ferme est aménagée ab initio sous surveillance électronique.
Le juge traduit à l’attention du prévenu : « Ça veut dire que vous allez rester en prison une semaine avant qu’on vous pose un bracelet. »
En chuchotant, son avocate corrige : ce sera plutôt 10 ou 15 jours…
Référence : AJU016c1