TJ de Créteil : « Il serait le seul au monde à ne pas savoir comment fonctionne TikTok ? »
Monsieur B., 28 ans, comparaît devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil pour apologie du terrorisme et détention de faux papiers d’identité. Entre les réquisitions du procureur et la plaidoirie de la défense, un fossé : quatre ans de prison ferme au nom de « l’intérêt collectif » d’un côté, la relaxe de l’autre…
Monsieur B. risque gros mais il semble serein. Calme, les mains jointes devant lui, il a la tête légèrement baissée en avant pour entendre son interprète qui lui traduit les mots du juge. « Je vais répondre », dit-il par son intermédiaire après que le président de séance a rappelé le droit à répondre ou au silence des prévenus. Ce Tunisien de 28 ans est présenté en comparution immédiate pour deux faits. Le premier, non contesté et relativement insignifiant par rapport au second, est d’avoir possédé une fausse carte d’identité italienne. « On va commencer par le plus simple, explique le juge. Les policiers vous ont trouvé en possession de documents d’identité italiens. Tout de suite, les enquêteurs constatent que c’est un faux… »
Au milieu de ces explications, l’alarme retentit pour ordonner à tout le monde d’évacuer. Procureur, greffière, juges se regardent.
« — C’est un exercice ?
— Je ne crois pas, c’était vendredi… »
Lentement, tout le monde se lève : l’audience est suspendue. Au bout de quelques minutes, l’alarme assourdissante s’arrête, la salle des pas perdus du tribunal de Créteil se vide et les chambres se remplissent à nouveau. Après le retour du procureur, recherché à tous les étages du tribunal pendant quelques minutes, le président du tribunal reprend le cours de l’audience :
« — Monsieur B., avant la suspension, je vous interrogeais sur une fausse carte d’identité acquise pour 150 euros dans un café en Italie, où vous êtes arrivé en août 2023. Pourquoi cet achat ?
— Pour travailler.
— Vous avez réussi ?
— Un jour.
— Pourquoi êtes-vous venu en France ?
— J’ai trouvé un travail en France.
— Comment depuis l’Italie trouve-t-on un travail en France ?
— Par des amis. »
La possession de faux documents, retrouvés par les policiers lors de la perquisition du logement de Monsieur B. est reconnue. C’est sur les faits qui ont conduit à l’intervention des forces de l’ordre que se joue le cœur de l’affaire : il est reproché à Monsieur B. d’avoir partagé sur les réseaux sociaux des vidéos faisant l’apologie du terrorisme. L’une d’elles met notamment en scène trois individus s’apprêtant à commettre un attentat à la voiture piégée. D’autres vidéos dénoncent le sort réservé aux musulmans dans les prisons de la « mécréance » ou relaient la propagande djihadiste. Après ce rappel des faits, le président demande, en regardant l’interprète :
« — Pourquoi il fait ça ?
— J’ai regardé des vidéos sur la guerre à Gaza, je suivais les événements et c’est tout.
— En garde à vue, vous avez reconnu la diffusion de certaines vidéos.
— Il y avait un problème d’interprète, je n’arrivais pas à me faire comprendre. »
Cette dernière réponse n’empêche pas le juge de poursuivre sa lecture du procès-verbal dressé lors de la garde à vue du prévenu : « L’officier de police a demandé pourquoi vous partagiez du contenu à caractère islamique, qui promeut l’application de la charia et l’islamisation du monde. Il a répondu : « Parce que c’est comme ça ». Peut-il expliquer sa réponse ?
— On ne m’a pas posé cette question.
— Bah… si.
— Il y a vraiment eu un problème d’interprète, intervient l’avocate du prévenu.
— Vous y étiez ? rétorque le juge.
— Non, mais quand on lui demande si ce compte est le sien, il répond non dans le PV d’audition alors qu’il ne dit nulle part que ce n’est pas lui. »
Là encore, le juge poursuit sa lecture de plusieurs passages du procès-verbal comme si de rien n’était. Le prévenu nie certains passages, en confirme d’autres, comme le fait qu’il a partagé des vidéos sur les réseaux sociaux sans le savoir, pensant juste enregistrer ces documents pour pouvoir les regarder à nouveau plus tard. « Ces vidéos, comme elles sont sur TikTok et internet, ça prouve que ce n’est pas interdit », avait-il dit lors de sa garde à vue.
Cette ligne de défense, le procureur n’en croit pas un mot. « Il serait le seul au monde à ne pas savoir comment fonctionne TikTok ? Parce qu’il est bête, il faudrait le relaxer ? On ne peut pas y croire ! », s’exclame-t-il la voix remplie d’indignation. Pour le ministère public, l’affaire est simple : Monsieur B. a opté pour la « Taqqiya », stratégie djihadiste érigeant la dissimulation en un art. Il en veut pour exemple le fait que le prévenu laisse penser qu’il n’est pas pratiquant, puisqu’il boit de l’alcool… Le magistrat remet aussi cette affaire dans le contexte des « terribles attentats depuis dix ans », rappelle les condamnations pour apologie du terrorisme par centaines et insiste sur le profil du prévenu sur les réseaux sociaux, avec sa bannière noire, la représentation de la figure du « loup solitaire » et les vidéos partagées sur TikTok, « ce réseau d’enfants, d’adolescents ». Parce qu’« il en va de notre intérêt collectif à tous », le procureur requiert quatre ans de prison ferme avec mandat de dépôt, de prononcer une interdiction définitive de séjour sur le territoire français et la confiscation des scellés, notamment du téléphone.
« C’est atterrant d’entendre ces réquisitions, rétorque l’avocate du prévenu, et ça ne m’empêchera pas de plaider la relaxe pour apologie du terrorisme. » Elle cite la maxime prêtée à Benjamin Franklin selon laquelle « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux » et assure que l’intentionnalité prosélyte manque pour caractériser les faits. « Je ne veux pas faire passer Monsieur pour quelqu’un de bête mais je ne peux pas laisser dire qu’il est dans la dissimulation. Ou il s’est tellement bien dissimulé qu’il a mis son adresse… » La conseille au débit mitraillette poursuit sa démonstration en comparant l’usage de l’expression arabe « Allah akbar », signifiant « Dieu est grand », à la communion chrétienne. Concernant la possession de faux documents d’identité, elle demande un avertissement ou une dispense de peine, compte tenu des efforts de son client, qui travaille et réussit à envoyer de l’argent à sa famille en Tunisie malgré sa situation irrégulière.
Elle ne sera pas entendue. Monsieur B. est condamné à dix-huit mois de prison, l’interdiction définitive de séjour sur le territoire français, la confiscation des deux téléphones perquisitionnés et son nom est inscrit sur le fichier des délinquants terroristes.
« — Je reste en prison ? interroge le prévenu par la voix de son interprète.
— Il reste en prison dix-huit mois », répond le juge.
Référence : AJU013c7