TJ de Créteil : « Il y avait juste un collier qui était bon, on l’a vendu environ 180 €»
C’est « la médiocrité de la délinquance » que les juges de Créteil vont avoir à juger : une série de vols de bijoux à l’arraché commis contre des dames âgées. De maigres butins qui risquent de coûter cher, puisque le procureur requiert six ans de prison contre le prévenu à l’audience.
Quand Monsieur C. entre dans le box des prévenus, des pleurs sonores se font entendre sur les bancs du public. De quoi agacer le président de la 12e chambre correctionnelle du TJ de Créteil : « Dans la salle, on a des victimes de plus de 80 ans qui se sont fait arracher leur collier. Alors le grand cinéma dans le public, ce n’est pas possible. Sinon vous sortez ! »
Le ton est donné, les pleurs s’arrêtent immédiatement. Le juge s’applique ensuite à énumérer l’ensemble des faits qui valent à Monsieur C. de se trouver là. La liste est longue : six vols de bijoux (et une fois d’un sac à main) dans différentes villes. À chaque fois, la victime est une femme âgée (entre 77 et 90 ans). « La médiocrité de la délinquance », s’indignera le procureur dans ses réquisitions. « C’est le bas de gamme pour un délinquant que de s’adonner à ce genre de pratiques ! »
Le président du tribunal en vient à la procédure, expliquant comment les enquêteurs ont identifié Monsieur C. – ainsi que deux autres hommes prévenus d’un des faits commis en réunion, mais qui ne sont pas venus à l’audience. C’est grâce à la voiture Citroën C4, immatriculée en Allemagne et vue sur deux des vols que les policiers ont pu ensuite identifier deux numéros de téléphone. À partir de leur bornage, les enquêteurs sont remontés aux autres vols visés par la procédure en Île-de-France et même en dehors, puisque l’un des faits a été commis à Méru dans l’Oise. « Un travail minutieux », salué par le président du tribunal.
L’un des deux numéros de téléphone a quitté le territoire français à la fin du mois d’août, si bien qu’un mandat d’arrêt a été décerné contre son propriétaire. L’autre appartient à Monsieur C., 26 ans et arrivé en France depuis la Roumanie il y a seulement trois mois. Il est seul à comparaître dans ces vols qui impliquent pourtant au moins trois autres personnes.
« — Quelle est votre position aujourd’hui ?, demande le juge au prévenu.
— Je regrette infiniment d’avoir participé à ça. Je me souviens de celui à Robinson, Domont et celui où il y avait le sac. »
Après ce bref échange, le président fait venir Madame R. à la barre. Veste de tailleur violet foncé et brushing impeccable, l’octogénaire raconte le vol de son bracelet, les marques bleues laissées sur son poignet et surtout l’après : « Je suis stressée maintenant, je suis sur les nerfs, je ne vis pas bien. » Puis Madame L., 90 ans, vient témoigner du vol de son collier alors qu’elle promenait son chien. « J’ai été contrariée, c’est sûr. Mais il n’y a pas eu plus de conséquences que ça », assure-t-elle, digne.
Retour à Monsieur C. « C’était pour faire quoi ces vols ?, demande le président.
— Gagner un peu d’argent.
— Vous vendez les bijoux après les avoir volés ?
— On a jeté le bracelet, il n’était pas bon. Il y avait juste un collier qui était bon. On l’a vendu environ 180 euros, on a partagé l’argent et on a acheté ce dont on avait besoin. »
Le président du tribunal fait revenir les deux victimes à la barre, l’une après l’autre, pour qu’elles formulent leurs demandes de dommages et intérêts. Madame R. demande 1 000 euros pour le préjudice moral. Madame L., aidée par sa belle-fille, demande 500 euros de préjudice moral et 1 280 euros pour le préjudice matériel, facture à l’appui.
Puis c’est au tour d’un élève-avocat de plaider dans l’intérêt d’une troisième victime, âgée de 77 ans. Avec assurance et théâtralité, il raconte l’histoire de « Mamie Josiane » qui, avant le vol, cuisinait des tartes aux pommes pour ses proches et achetait toujours du morbier pour sa petite-fille. Jusqu’à ce qu’elle soit attaquée devant chez elle, qu’ils s’y mettent à plusieurs et lui volent le collier offert par son mari – désormais défunt – pour ses 50 ans. « Elle a peur d’être reconnue par les prévenus, c’est pour ça qu’elle n’est pas venue ! » La plaidoirie dure mais aboutit : 1 500 euros pour le préjudice matériel du collier en or 18 carats, 3 000 pour le préjudice moral et 800 euros au titre de l’article 475-1 pour bénéficier de l’aide juridictionnelle.
« Vous prenez le risque de tuer quelqu’un pour 200 euros, ou même pas, 50 euros », s’indigne le procureur dans ses réquisitions, relatant le cas récent d’une dame décédée lors d’un vol à l’arraché. Il dénonce une stratégie faite d’« une équipe, un mode opératoire, une façon de vivre ». Sans entrer dans le détail des faits, il assure qu’il y a tous les éléments en procédure pour entrer en voie de condamnation et requiert six ans de prison avec maintien en détention pour Monsieur C., ainsi qu’une interdiction définitive du territoire français. Pour les deux prévenus absents, quatre ans de prison et une interdiction définitive du territoire. Ainsi que, pour tous, une amende de 10 000 euros à payer de manière solidaire.
L’avocate commise d’office hérite d’un dossier dense, qui avait fait l’objet d’un renvoi justement pour cette raison. Son axe de défense principal : « Je ne voudrais pas que Monsieur C. prenne pour les trois autres. » Elle regrette aussi que son client n’ait pas été précisément interrogé sur chacun des faits et insiste sur la précarité de cet homme qui vit dans un squat et n’a pas d’antécédent judiciaire. « Vous devez avoir le courage d’assortir cette peine d’un sursis », termine l’avocate.
Les juges ne l’entendront pas ainsi : Monsieur C. est condamné à 4 ans de prison avec maintien en détention et une interdiction de territoire français (ITF) pour 5 ans. Les deux autres sont condamnés en leur absence à 2 ans de prison, une ITF de 5 ans et un mandat d’arrêt est décerné contre eux.
Les trois dames à s’être constituées parties civiles devront être dédommagées comme elles l’avaient demandé (sans le préjudice matériel du collier de « Mamie Josiane »).
Référence : AJU016c3