TJ de Créteil : « Je préfère garder le silence mais c’est pas moi qui ai volé »

Publié le 28/10/2024
TJ de Créteil : « Je préfère garder le silence mais c’est pas moi qui ai volé »
Thanakorn Thaneevej/AdobeStock

C’est au cours d’une audience laborieuse que Monsieur D. est jugé en comparution immédiate pour deux vols survenus la même nuit : l’un avec effraction, l’autre avec violence. Le prévenu est quasiment inaudible et tout à fait incohérent dans ses déclarations. Son conseil plaide la relaxe pour l’un des deux vols, voyant dans Monsieur D. « le coupable idéal pour boucler deux affaires ».

« Les faits sont simples et reconnus », semble se réjouir le président de la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil, quand Monsieur D. entre dans le box. La suite de l’audience va pourtant mettre la patience du juge à rude épreuve.

Monsieur D. est présenté en comparution immédiate pour deux délits : un vol avec violence, un autre avec effraction, au cours de la même nuit. Le jeune homme, à l’allure timide et effacée, aurait brisé la vitre d’un Carrefour Market pour y dérober des bouteilles d’alcool, avant de pénétrer dans une supérette de laquelle il serait reparti avec la caisse sous le bras après avoir donné des coups au gérant.

Le juge commence par le premier vol :

« — Pourquoi est-ce que vous avez fait ça ?

— …

— Vous ne voulez pas répondre ?

— Euh… (il semble articuler mais personne n’entend rien)

— On ne vous entend pas du tout !

— J’étais pas le seul. J’ai ramassé des bouteilles et je me suis barré en courant. »

Le président d’audience ne tente pas d’arracher plus de phrases au prévenu et commence à lire la description des images de vidéosurveillance du Carrefour Market qui montrent un seul homme, vêtu d’un pantalon noir et d’un manteau noir, frapper la devanture à l’aide d’une barre de fer. Au bout d’une minute environ, il pénètre par le trou ainsi formé à l’intérieur du magasin, prend cinq bouteilles d’alcool et s’enfuit. Le juge demande à nouveau à Monsieur D. des explications. Il marmonne, ses mains agrippées à une feuille blanche qu’il semble vouloir lire, sans que personne dans la salle ne comprenne ce qu’il raconte.

« — Madame l’huissier, faites quelque chose ! s’emporte le juge.

— Je ne peux pas parler à sa place, marmonne-t-elle, agacée, avant d’essayer d’amener le micro à la hauteur de la bouche du prévenu, sans parvenir à le fixer.

Le juge passe au second vol : dans la même nuit, Monsieur D. se serait présenté dans un autre commerce pour proposer au gérant de lui vendre des bouteilles d’alcool. Il aurait refusé et aurait alors reçu des coups de poing dans la foulée. Ensuite, le prévenu serait reparti avec la caisse d’une valeur de 1 000 euros et les 450 euros contenus à l’intérieur. En réponse aux questions du président, Monsieur D. répond encore de manière inaudible : « Si vous préférez user de votre droit au silence, dites-le et ce sera plus simple ! », s’emporte le juge.

Comme en réponse à cette formule, le prévenu se met à commencer toutes ses phrases par « Je préfère garder le silence », avant d’ajouter des éléments sur l’affaire, de manière plus ou moins audible. On distingue par exemple : « Je préfère garder le silence mais je n’avais rien à me reprocher » ou « Je préfère garder le silence mais c’est pas moi qui ai volé. » Malgré tout, le prévenu reste difficile à comprendre et c’est au tour de la procureure de crier : « Parlez dans le micro, jusqu’au bout ! Ou que quelqu’un vous aide, votre conseil ou je ne sais pas… » L’avocat de la défense ne bouge pas d’un sourcil et reste assis sur son banc, accolé au box.

Aux difficultés à comprendre les mots prononcés par le prévenu s’ajoutent celles à comprendre le sens des bribes qu’on entend : en garde à vue, il a reconnu avoir commis les deux vols et a même confirmé, le matin même de l’audience, être en accord avec sa déposition. La procureure lui demande :

« — Pourquoi vous avez dit tout ça, si ce n’est pas vrai ?

— (réponse inaudible)

— (Le président de séance sort de ses gonds) Vous n’êtes pas le premier à passer devant le box et on a entendu tous les autres ! Faites un effort ! »

Ne réussissant à tirer du prévenu aucune autre explication audible et cohérente, le juge continue avec les éléments du dossier : le casier de ce jeune majeur est vierge, il vit chez ses parents, a travaillé quelques mois en tant qu’éboueur en intérim.

Après quelques mots ajoutés par le prévenu, toujours inaudible, la procureure passe à ses réquisitions. La matérialité des faits est selon elle incontestable : tenant compte de l’absence de peine antérieure, la magistrate requiert 14 mois de prison avec sursis simple.

Silencieux jusque-là, l’avocat de la défense surprend en plaidant la relaxe concernant le premier vol. Il pointe les incohérences du dossier : son client est vêtu d’un short gris, d’un t-shirt rouge et d’une veste de sport noire, alors que les images de vidéosurveillances du Carrefour Market montrent quelqu’un portant un jogging et un manteau noir… Ensuite, deux bouteilles d’alcool ont certes été retrouvées près de Monsieur D. au moment de son interpellation, ainsi que des pièces de monnaie, mais aucun billet. Aussi, le gérant du Carrefour Market qui a signalé Monsieur D. aux policiers plusieurs heures après le vol dans son magasin a indiqué avoir veillé toute la nuit, s’enfilant trois bouteilles d’alcool. Et pour finir : le conseil assure qu’on ne peut pas prendre en compte les déclarations de son client en garde à vue – où il n’avait pas d’avocat –, tant elles sont incohérentes et varient d’une situation à l’autre. En résumé : « Monsieur D. était le coupable idéal pour boucler deux affaires. » Le conseil plaide la relaxe pour le premier vol et demande un quantum de peine plus réduit.

Le tribunal reconnaît Monsieur D. coupable des deux vols et le condamne à un an de prison avec sursis simple et l’interdiction de porter une arme pendant deux ans.

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