TJ de Créteil : « Je te bute avec tes grands-mères » !

Publié le 20/11/2023

Monsieur S. a envoyé des milliers de messages contenant des menaces à son ex-compagne. Elle a porté plainte une première fois, le juge des libertés a décidé d’une interdiction de contact. Malgré cela, le prévenu a recommencé. Il est jugé en comparution immédiate à Créteil pour des menaces et l’envoi réitéré de messages malveillants.

— « Tu vas te faire violer pour 2 000 euros », vous n’avez pas honte d’écrire des SMS comme ceux-là ? interroge le président de séance.

— Un petit peu.

— Un peu, ça va alors. Le magistrat s’interrompt, lève la tête de ses dossiers pour regarder le prévenu droit dans les yeux et hausse le ton comme s’il s’adressait à un petit garçon. Vous avez honte ou vous n’avez pas honte ?

— Oui », murmure le prévenu de 41 ans.

Monsieur S. comparaît devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil pour l’envoi réitéré de messages malveillants et des menaces. Sur une période d’un an, ce sont 13 000 messages envoyés par salves à son ex-compagne, aussi mère de leur fils, qui ne s’est pas constituée partie civile. Le président du tribunal lie quelques-uns des SMS en cause : « Je te bute avec tes grands-mères », « Il y a des voix qui parlent de toi » ou encore « Dis à l’OPJ qu’elle s’est plantée, c’est pas moi qui te menace, c’est eux ».

Malgré la teneur des messages, les deux expertises psychiatriques versées au dossier n’indiquent ni activité délirante, ni paranoïa. De quoi agacer le juge : « Je ne lis même plus l’expertise de ce docteur, ça suffit », lance Sylvain Bottineau. Le juge interroge lui-même le prévenu pour comprendre de quoi il retourne, sans succès. Monsieur S. justifie ces messages par les contextes des disputes et assure qu’il ne se sent pas victime d’un complot.

Quoi qu’il en soit, les messages envoyés par Monsieur S. à son ex-compagne – ils sont séparés depuis 2016 – sont d’autant plus dérangeants que Madame D. avait déjà porté plainte quelques semaines plus tôt. Pire : le prévenu a renvoyé des messages alors qu’il était sous le coup d’un contrôle judiciaire, décidé lors d’une audition devant le juge des libertés à peine 10 jours avant cette comparution immédiate. Le président de séance, pédagogue, essaie de comprendre ce que le prévenu a retenu de cette précédente audition :

— « Imaginons que je ne sais pas du tout ce qu’est un contrôle judiciaire, est-ce que vous pouvez m’expliquer ?

— Je dois me soumettre à des restrictions, tente le prévenu, hésitant, comme s’il était à l’école.

— Lesquelles ?

— Je ne dois pas lui envoyer de messages, je dois être suivi par un psychologue… »

Monsieur S. tâtonne, son avocat lui souffle le suivi SPIS. « C’est triché », réprimande le juge. Une fois son joker consommé, impossible pour le prévenu de se souvenir de la quatrième et dernière mesure mise en place. « Ça fait dix jours et vous n’êtes pas foutu de citer toutes les obligations et restrictions », soupire Sylvain Bottineau. De guerre lasse, le magistrat donne la bonne réponse : « C’est l’interdiction de paraître à son domicile. »

Comme à son habitude, le président du tribunal demande au prévenu ce qu’il faut faire : « On va devoir en passer par un séjour en prison ?

— Je n’espère pas.

— Mais le contrôle judiciaire, vous n’en avez rien eu à faire la première fois.

— C’est que je n’avais pas vu mon fils depuis deux semaines. J’ai réagi comme un enfant.

— Sûrement pas, vous avez réagi comme un homme méchant », corrige le juge.

La procureure de la République profite de ses réquisitions pour fournir une nouvelle analyse, évoquant l’adoption du prévenu à l’origine d’un rapport compliqué à l’abandon et d’une situation complexe avec son fils. Elle rappelle aussi que sa consommation d’alcool a explosé après la séparation du couple. Enfin, la magistrate parle de l’hyperémotivité du prévenu qui « nécessite un sursis probatoire ». Elle requiert donc 12 mois de prison avec sursis, assorti des mesures déjà mises en place dans le cadre du contrôle judiciaire.

Côté défense, l’avocat du prévenu plaide selon le principe « non bis in idem » qui dit qu’on ne peut pas être puni deux fois pour les mêmes faits : il demande la relaxe pour les menaces, puisqu’elles seraient selon lui proférées dans les SMS par ailleurs en cause dans l’infraction d’envoi réitéré de messages malveillants. Concernant la peine, Me Tanneguy de Bellescize propose un stage de prévention aux violences sexistes au lieu de la peine de prison avec sursis requise, rappelant que son client ne s’est jamais rendu au domicile ou sur le lieu de travail de son ex-compagne et qu’il a toujours répondu aux convocations de la justice.

Plutôt que de trancher entre les réquisitions de la procureure et la plaidoirie de l’avocat, le tribunal opte pour le cumul : déclaré coupable de tous les faits reprochés (envois réitérés et menaces), Monsieur S. est condamné à une peine de 12 mois de prison avec sursis renforcé, le stage de prévention recommandé par l’avocat ainsi que les interdictions habituelles de contact avec la victime et des obligations de soins.

« Le suivi renforcé, c’est pour l’évaluation pluridisciplinaire », explique le juge à l’avocat, une fois que le prévenu a quitté le box. Avant l’arrivée du prochain dossier, Sylvain Bottineau recommande des hôpitaux où Monsieur S. pourrait se faire soigner et insiste : « Je pense que c’est un vrai parano qui s’ignore. Il ne faut pas qu’il décompense. Si vous pouvez aider là-dessus, Monsieur l’avocat… » Et sans prendre plus de temps pour respirer, il faut déjà faire place au prochain mis en cause.

Plan