TJ de Créteil : « La façon dont les Italiens s’expriment, ce n’est pas forcément de l’agressivité, même si ça a pu être perçu ainsi par les policiers » !

Publié le 17/11/2023

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Le séjour en amoureux s’est transformé en cauchemar. Monsieur B., 27 ans, est arrêté pour des dégradations – qu’il reconnaît – mais aussi rébellion, insultes, outrages, menaces de mort et violences contre des agents de police, ce qu’il nie. Dans le box, le prévenu est dans tous ses états.

Quand le président du tribunal entame la lecture des faits reprochés à Monsieur B., son visage se déforme sous les pleurs. Sa détresse est évidente, bien qu’inhabituelle dans le box des prévenus en comparution immédiate. Il faut dire qu’un passage devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil n’était pas prévu au programme du voyage en amoureux de cet Italien et de sa compagne. Et la liste des faits pour lesquels il comparaît est longue : dégradations mais aussi rébellion, outrages, menaces de mort et violences à l’encontre de fonctionnaires de police, le tout en état d’ivresse. Il est accusé d’avoir donné deux coups de tête à l’un des agents entraînant une ITT d’un jour, de lui avoir craché dessus et menacé dans les termes suivants : « Toi mourir. Toi connais mafia ? Toi bientôt mourir. »

— « Monsieur l’interprète, pouvez-vous lui demander pourquoi il pleure ? interroge le président de séance une fois la lecture des faits terminés.

— Parce que je présente mes excuses, je regrette ce qu’il s’est passé mais je conteste le fait d’avoir été violent avec les policiers.

— Mais vous aviez beaucoup bu, peut-être ne vous en souvenez pas ?

— Si, j’étais conscient. Avec ma fiancée, nous avons partagé une bouteille de vin et comme je travaille dans un restaurant, j’ai l’habitude de goûter. »

Monsieur B., 27 ans, reconnaît avoir donné un coup de poing, par énervement, dans le rétroviseur d’une voiture. C’était après que les agents de police ont été appelés par l’hôtel où séjournaient Monsieur B. et sa compagne à Rungis, parce qu’ils faisaient du bruit en se disputant. Il conteste tous les autres faits. Afin de lui poser des questions précises sur les violences évoquées dans le dossier, les magistrats se mettent à chercher le certificat médical faisant état des blessures du fonctionnaire de police, sans succès. « On est fatigués », déclare le président alors qu’il est déjà plus de 22 heures et que Monsieur B. est le douzième prévenu à comparaître depuis le début de l’après-midi. Le président du tribunal retrouve seulement une photo du policier montrant qu’il a reçu des gouttes de sang sur le visage mais aucun certificat médical n’a été versé à la procédure et n’atteste de l’ITT d’un jour.

En revanche, un certificat fait état des blessures du prévenu, notamment à la lèvre mais aussi sur la jambe, qui lui valent trois jours d’ITT : Monsieur B. explique que les policiers l’ont frappé dans la voiture pour l’embarquer au poste. « Grazie », répète le prévenu, les mains en prière, dès que le tribunal évoque sa version des faits. « Du calme », lui intime régulièrement le juge.

L’avocate de la partie civile entame la ronde des monologues pour représenter les intérêts du policier qui se dit victime des violences de Monsieur B. Quelques instants après le début de sa plaidoirie, évoquant la « mémoire sélective » du prévenu et ses pleurs qui la « gênent », Monsieur B. semble au plus mal et tente de s’aérer le visage comme il peut. « On va éviter d’avoir un malaise pour ce monsieur en cette fin de journée », interrompt le président du tribunal. « Quelqu’un a un mouchoir ? », demande-t-il. Des paquets sortent de toutes les poches, puis l’avocate reprend pour demander un renvoi sur intérêt civil, dans l’attente d’évaluer si son client n’a pas été contaminé par une infection à cause des gouttes de sang reçues.

Au tour de la procureure. La fin de journée aidant, elle commente avec sarcasme le « voyage romantique à Rungis » du prévenu et fait sourire les juges. Surtout, la magistrate reconnaît que le dossier est « mal ficelé », puisque seuls le prévenu et un policier ont été auditionnés, alors qu’ils étaient quatre ou cinq lors de l’interpellation. Aucun élément ne permet selon elle de caractériser la rébellion mais elle requiert le maintien des autres chefs d’accusation. « Ce n’est pas parce qu’on fait un métier, qu’on ne peut pas en souligner les limites », déclare-t-elle. Concernant la peine, « pas de séjour à Fresnes » mais elle demande six mois de prison avec sursis et une interdiction de séjour dans le Val-de-Marne pour trois ans.

L’avocate de Monsieur B. commence par expliquer la détresse de son client : arrêté durant le week-end, il a été incarcéré en attente de son jugement et se retrouve désormais seul en France, puisque sa compagne est repartie la veille, à la date prévue du retour. Pendant ce temps, son père est gravement malade en Italie et risque de mourir dans les semaines à venir. Particulièrement touchée par ce dossier, l’avocate rungissoise assure que sa ville est « super » pour répondre à la procureure et ajoute, en tant que Franco-Italienne, que « la façon dont les Italiens s’expriment, ce n’est pas forcément de l’agressivité, même si ça a pu être perçu ainsi par les fonctionnaires de police. Par ailleurs, les menaces sur la mafia, ça n’existe pas en Italie », ajoute-t-elle. L’avocate relève que le policier n’a pas allumé sa caméra piéton au moment de l’interpellation et assure qu’aucun élément matériel n’accrédite la version des policiers. Elle demande la relaxe pour les faits de violences, outrages, rébellion et menaces et une peine moins sévère que celle requise par le parquet pour les dégradations reconnues.

Après des excuses renouvelées et l’audience du treizième et dernier prévenu de la journée, le verdict est rendu un peu avant minuit. Monsieur B. n’est condamné que pour les dégradations à 500 euros d’amende avec sursis et relaxé pour le reste. « Ça veut dire qu’il est innocenté », précise le juge pour s’assurer que le message est bien compris. Le fonctionnaire de police est reçu en sa constitution de partie civile mais débouté du fait de la relaxe. « Grazie, Grazie », répète le prévenu à leur intention, toujours les mains en prière.

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