TJ de Créteil : « Le plus court chemin pour rejoindre l’Italie depuis le Maroc, c’est de passer par le Brésil ? »

Publié le 25/09/2023
TJ de Créteil : « Le plus court chemin pour rejoindre l’Italie depuis le Maroc, c’est de passer par le Brésil ? »
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Deux prévenus se succèdent dans le box des comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Créteil pour avoir refusé de monter, à Orly, dans l’avion qui devait les reconduire à la Barbade. Ces deux Marocains reconnaissent les faits mais l’audience révèle surtout l’absurdité de leur situation.

Le visage entouré d’une dense barbe noire qui contraste avec son pull blanc, le prévenu a l’air triste. Monsieur M., Marocain né à Casablanca, ne parle pas français. Une interprète commence par prêter serment pour rendre la communication possible. Monsieur M. comparaît devant le tribunal judiciaire de Créteil en cette fin juillet pour avoir refusé d’embarquer sur le vol qui devait le reconduire à la Barbade, dans les Caraïbes, après que la France a refusé son entrée sur le territoire. « Quand les policiers vous ont interpellé, vous avez fait usage d’une lame de cutter pour vous taillader l’avant-bras gauche. C’est bien ouvert comme on le voit sur les photos », explique le juge en montrant aux juges assesseurs installées à sa droite et à sa gauche les images de la blessure.

Monsieur M., 31 ans, reconnaît les faits. Ses réponses aux questions de Philippe Langlois, président de séance, permettent surtout d’apercevoir l’absurdité de la situation dans laquelle il se trouve. C’est en fait la troisième fois qu’il est empêché d’entrer sur le territoire français et invité à remonter dans un avion. Il a d’ailleurs déjà été reconduit une première fois à la Barbade… avant que l’entrée sur le territoire ne lui soit là aussi interdite. « J’avais peur qu’ils me renvoient à nouveau à la Barbade comme la première fois, c’est pour me défendre que je me suis coupé », explique Monsieur M. par la voix de son interprète.

 – « Quel a été votre trajet ? », demande le président.

– « Maroc, Brésil, Barbade, Antilles, Europe.

– Pourquoi ce trajet ?

– Pour aller en Italie, où vit mon cousin.

– Le plus court chemin pour rejoindre l’Italie, c’est de passer par le Brésil ? Il va falloir que je revoie ma géographie… »

Le procureur requiert trois mois de prison avec sursis, rappelant que le casier judiciaire du prévenu est vierge. Son avocate insiste sur l’échec de la procédure administrative et demande : « Combien de temps aurait duré ce ping-pong entre avions ? »

Concernant le trajet emprunté par son client pour aller du Maroc à l’Italie, elle émet une hypothèse : « Il n’a pas emprunté le chemin le plus court, mais peut-être le plus sûr, quand on voit le nombre de migrants qui meurent en Méditerranée… »

Pour son dernier mot, Monsieur M. ne souhaite ajouter qu’une chose : rappeler qu’il ne veut pas rester en France mais rejoindre son cousin en Italie.

À Monsieur M. succède Monsieur A. Et rebelote : ce jeune homme de 22 ans est lui aussi né à Casablanca, souhaite lui aussi rejoindre l’Italie et a lui aussi fait le tour du monde dans l’espoir d’y parvenir. Il comparaît pour la même raison que son prédécesseur : s’être soustrait à une mesure d’éloignement au moment de son réacheminement vers la Barbade. Messieurs M. et A. assurent tous les deux ne s’être rencontrés qu’à la Barbade et avoir perdu leur passeport dans l’avion. « Ça paraît tellement bien rodé, souffle le président. Ça me fait penser à un réseau ».

Après les réquisitions du procureur – trois mois de prison avec sursis également –, l’avocate de Monsieur A. insiste sur le point soulevé par le juge. « Mon client n’est pas un mauvais garçon et il répond à toutes les questions. Il comparaît ici comme prévenu, alors que c’est plutôt une victime : d’un parcours administratif fastidieux, d’un échec diplomatique. Peut-être aussi d’un réseau de passeurs. » Elle demande une peine plus légère avant que son client n’ait le dernier mot : « Je ne suis pas venu ici pour faire des bêtises mais pour me créer un meilleur avenir », termine le jeune homme aux cheveux en bataille.

Après la suspension de séance, le verdit tombe. Les deux prévenus écopent de la même peine, trois mois avec sursis, comme l’avait requis le procureur. « Vous lui faites bien comprendre qu’il va être libéré, s’il vous plaît ? », insiste le juge auprès de l’interprète.

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