Val-de-Marne (94)

TJ de Créteil : « Les Français dépensent plus en stup qu’en livres » !

Publié le 12/04/2023
TJ de Créteil 1 - Photo Pierre Anquetin
P. Anquetin

Aux comparutions immédiates de Créteil, les affaires de stups se suivent mais ne se ressemblent pas toujours ! À la fin du mois de février, un militaire aux faux airs de gendre idéal comparaissait dans le box. Un profil qui a ému un procureur pourtant sans états d’âme en matière de stups…

Dans le box vitré de la salle des comparutions immédiates de Créteil, un grand type élégant regarde ses pieds. Il porte un pull beige à col rond, se tient les mains dans le dos. À chaque question qui lui est posée, Monsieur B. répond, d’un ton vif et sonore : « Oui, monsieur le Président ! ». Cette discipline n’est pas habituelle, et on pense qu’il ressemble à un militaire. C’était en effet son occupation. Jusqu’à il y a six mois, Monsieur B. servait la France en OPEX, sur des terrains périlleux au Niger, au Mali, au Tchad.

Mais en ce jour-là, le militaire comparaît pour trafic de stupéfiants… Il lui est reproché d’avoir embarqué pour Fort-de-France avec, dissimulé dans sa valise, plus de 15 kg de cannabis. Pour cet emploi de « mule », il avait touché 5 000 euros. « Les mules voyagent généralement en sens inverse. Vous vous les exportez », souligne le président. Mais autre chose retient son attention.  « 15 kg, c’est énorme ! », dit-il, en regardant l’homme aux larges épaules, penaud dans le box. Dans ce dossier, la douane s’est constituée partie civile et réclame au prévenu 56 000 euros d’amende.

Le président chausse ses lunettes pour regarder l’enquête sociale. Le profil de l’homme dans le box semble le désarçonner, et il ne s’en cache pas. En direct, il découvre que l’homme qui comparait doit devenir papa… dans quinze jours au plus tard. Il lève le nez de ses feuilles, croise le regard d’une toute jeune femme, enceinte de huit mois et demi, le ventre rond moulé dans une robe noire. Depuis le début de la journée, elle est là, au premier rang, stoïque et attentive à chaque mot des magistrats.

L’enquête sociale précise la trajectoire de Monsieur B. Militaire, il enchaînait les missions. Mais un jour, il n’a pas pu repartir. Les experts mentionnent un état de stress post-traumatique après deux attaques au Mali. « Effectivement, la presse s’en est fait suffisamment l’écho », abonde le président. L’avocate en défense demande à son client d’incliner la tête. Monsieur B. s’exécute. La cour constate qu’il a des trous dans les cheveux, « des pelades dues au stress », souligne la robe noire.

Si Monsieur B. s’est retrouvé à transporter de la drogue, c’est qu’il a des dettes : 7 000 euros d’arriérés de loyer, 2 000 euros d’arriérés sur la voiture. En opération, il gagnait bien sa vie : jusqu’à 4 000 euros certains mois. Mais depuis qu’il est malade, il ne peut plus partir en mission, il ne touche plus que 1 300 euros par mois.

« Est-ce une raison pour succomber aux sirènes des stups ? Je ne crois pas car vous encourez dix ans de prison, Monsieur », l’interpelle le Président.

– Vous faites souvent des voyages ?

– Non, Monsieur le juge.

– C’est le seul ?

– Oui, Monsieur le juge ».

L’instruction a montré que Monsieur B. avait déjà fait un précédent voyage de ce genre en Islande, mais curieusement, personne n’a l’air de considérer que cela mérite qu’on s’y attarde.

Le procureur, depuis le début de la journée, a la main lourde et peu d’états d’âme pour les trafiquants de stups, qui « empoisonnent la vie des quartiers, avec ce qu’on sait de violences et de règlements de compte ». Mais face à ce prévenu, il se dit « démuni » !  « C’est vertigineux que ces quelques éléments vous fassent encourir 10 ans de prison. Je prends en considération deux choses. D’un côté, l’extrêmement grande quantité de cannabis transportée appelle une peine sévère. La lutte contre les stups est une des deux plus grandes priorités de l’action publique. Et d’un autre côté, il faut prendre en compte l’apparente insertion sociale et ce qu’il a fait et fait encore pour servir la France ». Il rappelle que dans certains quartiers, le cannabis coûte plus de 8 euros le gramme et que les Français dépensent en moyenne plus d’argent en stup qu’en livres ! Il demande 3 ans de prison, dont deux avec sursis, et 25 000 euros d’amende douanière. Il précise que la partie ferme pourrait être aménagée ab initio.

Pour son avocate, la situation de Monsieur B. pose de manière cruelle la question de la réinsertion des anciens militaires. « C’est un homme qui est malade, un militaire qui a risqué sa vie sur plusieurs Opex ». L’avocate cherche surtout à réduire le montant de l’amende douanière. « C’est déjà très très triste, la misère sociale que vous avez à juger. Alors, rajouter une dette à la misère… je vous demanderai de réduire l’amende au maximum. J’ai déjà obtenu dans des dossiers similaires qu’elle soit ramenée à 2 000 euros. Vous allez entrer en voie de condamnation, c’est certain, mais il faut que Monsieur s’en sorte. Que Monsieur puisse être présent à l’accouchement de sa femme »…

Le président propose à Monsieur B. de dire un dernier mot. « J’ai demandé de l’aide à l’assistante sociale, à la mairie. Vous ne me verrez plus jamais ici. Je vous demande pardon » !

Le tribunal condamnera Monsieur B. à 3 ans de prison dont 2 avec sursis. La peine ferme est aménagée ab initio avec bracelet. Il devra s’acquitter d’une amende douanière de 5 000 euros. Au premier rang, sa femme esquisse le premier sourire de la journée.

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